Bouddhisme du Chămpa (3è partie)

Dynastie chame d’Indrapura

Version vietnamienne

Le dessin du piédestal de Henri Parmentier à l’intérieur du sanctuaire 

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est comparé à ce que nous voyons aujourd’hui  au musée de la sculpture du Champa à Đà Nẵng.

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Malheureusement pour une raison inconnue, ses attributs distinctifs ont été cassés et confisqués par le bureau du comité populaire de Bình Định dont dépend aujourd’hui le site Đồng Dương. Ils n’ont pas été rendus jusqu’à ce jour au musée cham de Đà Nẵng malgré l’exposition de cette pièce au public depuis longtemps. C’est pourquoi la statue de bronze continue à être l’objet de diverses interprétations iconographiques. En s’appuyant sur les informations fournies (les photos) au moment où il consacra une étude approfondie en 1984, Jean Boisselier pensa à la représentation de Tara. Pour cela, il tenta de se fonder sur les idoles de Đại Hữu, la codification des gestes de la divinité (mudra), le rang dans le panthéon bouddhique, l’ornementation des parures (nànàlankàravati), l’importance du regard et l’existence du troisième oeil pour réussir à identifier la divinité. Certains chercheurs vietnamiens voient dans cette statue, l’épouse Laksmi de Vishnu car dans l’un de ses deux attributs distinctifs, on retrouve la conque (con ốc). Pour le chercheur vietnamien Ngô Văn Doanh, il n’y a aucun doute sur l’identité de cette divinité. Il s’agit bien de Laksmindra-Lokesvara car pour lui chaque attribut distinctif a une signification particulière. Le lotus symbolise la beauté et la pureté. Quant à la conque, elle symbolise la propagation de l’enseignement de Bouddha et l’éveil après le sommeil de l’ignorance. C’est aussi l’hypothèse admise  depuis longtemps  par les chercheurs vietnamiens. Selon la spécialiste thailandaise Nanda Chutiwongs, ce magnifique bronze s’appelle Prajnàpàramità (Perfection de la Sagesse). Mais cela n’enlève pas la conviction de la plupart des spécialistes qui comme Jean Boisselier continuent à voir aujourd’hui dans cet exceptionnel bronze la séduisante déesse Tara dont la lourdeur des seins reste l’un des traits saillants trouvés dans sa prime jeunesse. Elle est toujours la parèdre du bodhisattva Avalokitesvara.

Récemment, dans le compte-rendu de l’archéologie ayant eu lieu en 2019 à Hànội, les chercheurs Trần Kỳ Phương et Nguyễn Thị Tú Anh ont eu l’occasion de redéfinir le nom de la statue de bronze, Tara en s’appuyant sur l’image décorative du Bouddha trouvée dans les cheveux de la statue, les attributs distinctifs (le lotus et la conque) dans ses deux mains ainsi que le geste de la main. Selon ces chercheurs vietnamiens, Tara est l’incarnation féminine du bouddha de méditation Amoghasiddhi, héritier du bouddha historique Shakyamuni dans le bouddhisme tantrique (Tibet). Il était assis souvent sous l’éventail déployé par le cobra à sept têtes Mucalinda, connu sous le nom « Succès efficace ». Dans l’iconographie, il tenait souvent dans sa main gauche une épée et  un geste significatif est  reconnaissable sous le vocable « Abhayamudra (ou absence de crainte) » dans sa main droite au moment de sa méditation. C’est pourquoi on trouve sur les cheveux de la statue en bronze  l’image décorative du petit bouddha  correspondant exactement à ce qu’on décrit.  De plus, cette statue a la couleur verte pour tout le corps. C’est aussi l’identité du dhyani bouddha Amoghasiddhi. Si le lotus symbolise la pureté, la conque et le geste  de sa main sous la conque correspondent bien à la mudra dharmacakra  mettant en branle la roue de la loi Dharma.

Selon les chercheurs Trần Kỳ Phương et Nguyễn Thị Tú Anh,  la région Yunnan était autrefois  la zone du relais  destinée à  faciliter la propagation de la religion et l’art du Tibet dans toute l’Asie du Sud-Est à travers la route intitulée « Chemin du thé et des chevaux » .Elle était aussi le lieu où le bouddhisme tantrique était  vénéré par tout le monde, du peuple jusqu’au roi et où la production  des bodhisattvas Lokesvara et Tara en bronze  destinée à l’Asie du Sud-Est  était extrêmement importante à partir du 7 ème ou 8 ème siècle. C’est pourquoi l’adulation des bodhisattvas Lokesvara ou Tara n’était pas hors norme au Chămpa. Jusqu’à présent, aucune statue  de Lokesvara n’est apparue et découverte à Đồng Dương, en particulier  au monastère bouddhiste car c’est ici que le roi Indravarman II a érigé un temple pour aduler son Bouddha protecteur Lokesvara.  Il a associé même son propre nom à celui de bodhisattva Lokesvara pour donner  à ce site bouddhiste le nom  Laksmindra-Lokesvara. C’est pourquoi il n’y a  aucun doute sur l’existence de la statue de Lokesvara. C’est un énigme sans explication jusqu’à ce jour. Selon le chercheur Trần Kỳ Phương, il est possible que cette statue soit fabriquée en bronze et de la même taille que celle de Tara. Elle doit être  déposée en même que celle de Tara sur l’autel au moment où l’honneur a lieu pour la première fois à cette époque. Peut-être après  cette glorification en son honneur, elle est déplacée ailleurs ou enterrée dans la terre à cause de la guerre.

  Bodhisattva Tara

Dans la deuxième enceinte il y a une longue salle d’attente (ou mandapa) (2 ) que Henri Parmentier nomma dans sa description « la salle aux fenêtres ». Puis dans la troisième enceinte (3) se trouve une grande salle à colonnes, longue d’une trentaine de mètres. Elle est probablement la salle de prière des moines (vihara) où trône majestueusement une imposante statue de bouddha auquel est consacré le deuxième autel au soubassement décoré en relief et entouré de deux acolytes nimbés. Ce site bouddhique fut reconnu par les autorités vietnamiennes comme le patrimoine national du pays en mai 2001. La destruction aveuglante provoquée par le bombardement américain durant les années de guerre a laissé pour ce site une unique tour de gopura intacte que la population locale désigne sous le nom « Tháp sáng » (ou tour de la lumière) du fait qu’elle est ouverte aux quatre orients laissant entrer la lumière. Malgré cela, ce site continue à faire revivre un passé glorieux avec son grand monastère qui fut à une certaine époque l’un des centres intellectuels religieux de renom dans l’Asie du Sud Est. C’est ici qu’après sa victoire éclatante sur le Champa en 985, le roi vietnamien Lê Đại Hành (ou Lê Hoàn) ramena au Vietnam un bonze religieux indien (Thiên Trúc) qui était en train de séjourner dans ce monastère. En 1069, le grand roi vietnamien Lý Thánh Tôn réussit à y capturer un moine célèbre chinois Thảo Đường lors de sa victoire sur le Champa. Mais c’est aussi ici qu’en 1301, le roi fondateur de l’école zen (Phái Trúc Lâm Yên Tử) du Vietnam, Trần Nhân Tôn accompagné par le bonze vietnamien Đại Việt et reçu par le roi cham talentueux Jaya Simhavarman III (Chế Mân en vietnamien), le futur époux de la princesse Huyền Trân, passa 9 mois de méditation dans ce centre religieux.

Pour le chercheur français Jean Boisselier, la sculpture chame était toujours en liaison étroite avec l’histoire. Des modifications notables ont été relevées dans le développement de la sculpture chame, en particulier la statuaire avec les événements historiques, les changements de dynasties ou les rapports que le Champa avait eus avec ses voisins (Vietnam ou Cambodge). C’est pourquoi on ne peut pas ignorer que le changement de dynastie favorise un élan créateur dans le développement de la sculpture chame qui s’illustre par un nouveau style particulier que l’on dénomme aujourd’hui sous le vocable de « Đồng Dương ».


icones_dongduong2icones_dongduong1Phong cách  Đồng Dương


Celui-ci ne peut pas passer inaperçu à travers ses caractéristiques suivantes localisées au niveau facial: les sourcils proéminents, reliés en une ligne continue, sinueuse et remontant jusqu’aux cheveux, les lèvres épaisses avec les commissures relevées, une moustache qui est confondue parfois à la lèvre supérieure et un nez épaté, large de face et aquilin de profil, le front étroit et le menton court. L’absence de sourire est à signaler. Ce style continua à se développer en même temps que le bouddhisme mahàyàna dans d’autres régions du Champa sous les règnes des successeurs immédiats du roi bouddhiste Indravarman II. Ceux-ci persistèrent à vénérer tout particulièrement Avalokitesvara et à adopter le bouddhisme comme la religion d’état. C’est ce qu’on a appris grâce aux inscriptions royales. C’est le cas du sanctuaire de Ratna-Lokesvara auquel le roi Jaya Simhavarman Ier, le neveu du roi Indravarman II, accorda son patronage. Ce sanctuaire a été localisé à Đại Hữu dans la région de Quảng Bình. Dans ce lieu sacré, un grand nombre de sculptures bouddhiques ont été exhumées. Puis autour de Mỹ Đức dans la même province de Quảng Bình, on a découvert un complexe bouddhique ayant les mêmes similitudes que celles trouvées à Đại Hữu et à Đồng Dương au niveau architectural et décoratif. La foi bouddhique n’est pas absente non plus à Phong Nha où certaines grottes servant de lieu de culte gardent encore leur empreinte au fil des années. Enfin un temple dédié à la divinité Mahïndra-Lokesvarà fut érigé en 1914 à Kon Klor (Kontum) par un chef nommé Mahïndravarman. Même il y a deux pèlerinages qui furent organisés par un haut dignitaire sur ordre du roi Yàvadvipapura (Java) dans le but d’approfondir le siddhayatra (ou le savoir mystique), ce qui a été rapporté par les inscriptions de Nhan Biểu datant de 911 après J.C. 

Dynastie chame d’Indrapura


Statue de Bouddha, Thăng Bình, Quảng Nam

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854-898     Indravarman II (Dịch-lợi Nhân-đà-la-bạt-ma)
898-903     Jaya Simharvarman I (Xà-da Tăng-gia-bạt-ma)
905-910     Bhadravarman III (Xà-da Ha-la-bạt-ma)
910-960     Indravarman III (Xà-da Nhân-đức-man)
960-971     Jaya Indravarman I (Dịch-lợi Nhân-di-bàn)
971-982     Paramesvara Varman I (Dịch-lợi Bế- Mĩ Thuế)
982-986     Indravarman IV (Dịch-lợi Nhân-đà-la-bạt-ma)
986-988     Lưu Kế Tông
989-997     Vijaya shri Harivarman II (Dịch-lợi Băng-vương-la)
997-1007   Yan Pu Ku Vijaya Shri (Thất-ly Bì-xà-da-bạt-ma)
1007-1010  Harivarman III (Dịch-lợi Ha-lê-bạt-ma)
1010-1018  Paramesvara Varman II (Thi Nặc Bài Ma Diệp)
1020-1030  Vikranta Varman II (Thi Nặc Bài Ma Diệp)
1030-1044  Jaya Simhavarman II (Sạ Đẩu)

 


Cette foi bouddhique commença à s’ébranler sérieusement face à l’invasion des gens du Nord (les Vietnamiens) qui venaient d’être libérés du joug d’oppression chinois. Ceux-ci, dirigés par le nouveau roi Lê Đại Hành n’hésitèrent pas à saccager la capitale Indrapura en 982 après que le roi des Cham Parameçvaravarman I (Ba Mĩ Thuế) avait retenu par maladresse et pour une raison inconnue deux émissaires vietnamiens Từ Mục et Ngô Tử Canh et  soutenu ouvertement Ngô Tiên, fils du roi libérateur de la nation vietnamienne, Ngô Quyền dans la lutte du pouvoir. Le bouddhisme mahayana ne permit pas aux rois cham de retrouver tout ce dont ils avaient besoin dans leur lutte contre les ennemis vietnamiens. Ils commencèrent à douter de la sagesse de cette religion lorsque cette dernière n’arriva pas à séduire jusqu’alors la population locale. Elle continua à rester la religion d’élection personnelle des élites et de leurs rois cham. Ceux-ci préférèrent retrouver désormais leur salut dans l’adoration de leur dieu destructeur Shiva afin de mieux protéger leurs victoires et de leur permettre de résister tant bien que mal aux envahisseurs étrangers (Chinois, Môn, Khmers et Vietnamiens) dans la création, le maintien et la survie de leur nation.

Leur belligérance sempiternelle inspirée probablement par le shivaïsme devint un argument de poids et une justification légitime d’abord pour les Chinois suivis ensuite par les Vietnamiens de mener des interventions militaires et d’annexer progressivement leur territoire dans la marche vers le Sud (Nam Tiến).

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Référence bibliographique


Du khảo Văn Hoá Chăm – Pérégrinations culturelles au Chămpa (Nguyễn văn Kự- Ngô văn Doanh- Andrew Hardy) Ecole française d’Extrême Orient
L’art du Chămpa Jean François Hubert
Boisselier, Jean (1984). ‘Un bronze de Tara du Musee de Đà-Nẵng et son importance pour l’histoire de l’art du Champa’. Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient (BEFEO), 73(1984):319-38.
Chuttiwongs, Nandana (2005). ‘Le Bouddhism du Champa.’ Trésors d’art du Vietnam: La Sculpture du Champa, V-XV siècle (eds. Pierre Baptiste and Thierry Zéphir), Page 65-87. Paris: Musée Guimet.
Ngô Văn Doanh (1980). ‘Về pho tượng đồng phát hiện năm 1978 tại Đồng Dương (Quảng Nam-Đà Nẵng)’. Những Phát hiện mới về Khảo cổ học năm 1979, trang 195-96. Hà Nội: Nxb. Khoa học Xã hội.
Glossaire


Avalokitesvara: nom d’un bodhisattva représentant l’infinie compassion du Bouddha.
Bodhisattva: être destiné à l’éveil ( Bồ tát)
Dharma: loi morale (Đạo pháp)
Lokesvara: seigneur du monde. Désignation d’un bouddha ou Avalokistesvara.
Mandapa: édifice religieux à colonnes dans l’enceinte du temple.
Tara: celle qui sauve. Contrepartie féminine d’Avalokitesvara. Très vénérée en Inde et au Tibet.
Vishnu: Dieu qui maintient le monde entre sa création par Brahma et sa destruction par Shiva.

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