Conquêtes chinoises: Nan Yue et Yelang

Version vietnamienne
Au moment où Zhang Qian fut chargé d’aller chercher en l’an -126 les alliances pour mettre en tenaille les Xiongnu, ceux-ci continuèrent à monter des raids de plus en plus meurtriers avec plusieurs milliers de Chinois morts ou captifs vivant dans les commanderies frontalières (Dai, Yanmen ou Shang) au nord de la Chine, ce qui obligea Wudi, plus sûr de la consolidation de son pouvoir et de ses arrières, à adopter une nouvelle politique vis à vis de ces « barbares ». Désormais, les offensives chinoises destinées à empêcher une concentration Xiongnu en lisière du territoire chinois étaient plus fréquentes.

Le premier succès eut lieu en automne -128 dans la région de Yuyang avec Wei Qing (Vệ Thanh), le nouvel héros de l’armée chinoise. Il fut suivi par d’autres conquêtes éclatantes et décisives au printemps -121, conduites par Huo Qubing (Hoắc Khứ Bệnh), fils de la sœur aînée de Wei Qing et « champion de l’armée » avec le titre de Guanjun accordé exceptionellement par Wudi en choissisant une nouvelle tactique de frapper comme la foudre,  la tête des armées Xiongnu au cœur de leur territoire, ce qui permit aux Chinois de reconquérir l’Ordos, toute la zone au sud de la boucle fleuve Jaune (Hoàng Hà), de fonder les commanderies de Shuofang et de Wuyuan et de déporter des gens dans les zones conquises dans le but d’apporter à long terme une logistique non négligeable à l’armée dans la poursuite des ennemis vers d’autres régions lointaines et inconnues. L’empire de Wudi avait le moyen de pratiquer cette politique de colonisation avec une population de 50 millions d’habitants à cette époque. On estima à plus de 2 millions de Chinois déplacés sous le règne de Wudi le long de la frontière nord. Cette politique fut  payante car ces colonies agricoles devinrent définitivement quelques années plus tard le rempart sûr de la Chine face à ces « barbares ». Cela nous fait penser à la politique des Vietnamiens dans la conquête du Champa et du delta du Mékong et celle des Chinois dans le Tibet d’aujourd’hui. Le harcèlement incessant des Xiongnu excités comme des guêpes dérangées de leurs nids, obligea Wudi à changer la tactique en donnant priorité désormais au front nord et en abandonnant provisoirement toutes ses ambitions territoriales au sud-ouest de son empire dans la région de Yunnan et dans le royaume de Nanyue (Nam Việt) dont faisait partie autrefois le Nord Vietnam.

Grâce à la stratégie immuable suivante:

1°) Attaquer et refouler les Xiongnu le plus loin possible dans leurs territoires par l’effet de surprise.

2°) Déporter les populations victimes des inondations ou les gens condamnés dans les zones conquises à leurs adversaires Xiongnu et y créer de nouvelles commanderies. C’est le cas des commanderies de Jiuquan, Dunhuang, Zhangye et Wuvei tout le long du corridor du Gansu.

3°) Affaiblir les Xiongnu en jouant la carte de division et séduire les nouveaux alliés Xiongnu avec le système de tribut. (création de cinq états indépendants alliés (ou shuguo) servant de tampon entre son empire et les Xiongnu ennemis sous son règne)

Wudi réussit à freiner ainsi l’élan des belligérants Xiongnu. Ceux-ci furent obligés de transférer leur quartier général à proximité du lac Baïlkal (Sibérie) et desserrer leur emprise sur tout le Turkestan oriental.

Cela permet à Wudi d’avoir les mains libres et retrouver le désir expansionniste vers le Sud et vers le nord-est afin d’assurer le commerce et d’avoir d’autres alliés depuis que Zhang Qian lui avait tenté de miroiter l’existence d’une voie directe permettant de rejoindre le royaume de Shendu (l’Inde) à partir du royaume Shu (conquis par Shi Huang Di à l’époque de Printemps et Automnes (ou Chunqiu, 722-453 avant J.C.). Cette déduction instinctive, Zhang Qian l’a eue au moment de son séjour à Daxia (Bactriane) où il avait découvert, les produits de Shu (bambous, toiles etc..) acheminés par cette voie d’accès direct. Wudi tenta de réutiliser la même stratégie qu’il avait optée pour les Xiongnu.

Annexion des royaumes du Sud

Profitant de la dissension des Yue et de la mort du roi de Nanyue Zhao Yingqi ( Triệu Anh Tề), Wudi trouva l’occasion d’incorporer le royaume du Nanyue à son empire. Puisque le nouveau roi Zhao Xing (Triệu Ái Đế) n’avait que 6 ans, la régence revint à sa mère, une Chinoise de nom Jiu (Cù Thị). Celle-ci ne cacha jamais son attirance pour son ancienne patrie car elle était très impopulaire auprès de ses sujets Yue. Wudi tenta de la soudoyer en proposant à cette dernière un marché ayant pour but l’incorporation du royaume Nanyue à son empire en échange des titres royaux. Ce projet fut avorté à cause d’un coup d’état organisé par le premier ministre Lữ Gia (Lữ Gia) soutenu en grande majorité par les Yue. Cette reine traîtresse, son fils, le nouveau roi et les officiels Han furent massacrés par Lü Gia et ses partisans Yue. Ceux-ci installèrent le nouveau roi Zhao Jiande (Triệu Dương Đế) dont la mère était une Yue. Furieux, Wudi ne put pas laisser impuni un tel affront lorsqu’il avait l’occasion de s’approprier définitivement une région connue pour ses richesses naturelles et pour ses ports Canton et Hepu facilitant l’accès à la mer du Sud. Au dire des commerçants chinois, l’économie était florissante à Nanyue car on y trouvait non seulement les perles, les cornes des rhinocéros, les carapaces de tortues mais aussi les pierres précieuses et les essences d’arbres. Ces produits exotiques deviendraient ainsi des objets de mode auprès de la cour des Han.

L’expédition militaire fut dirigée par le général Lu Bode (Lộ Bác Đức) avec cent mille marins des bateaux à tours acheminés sur place pour mater la révolte de Nanyue. Il fut secondé dans cette mission par Yang Pu (Dương Bộc) connu pour son caractère cruel et impitoyable envers ses victimes comme un faucon sur ses proies. Par contre, Lu Bode magnanime joua sur sa réputation et invita ses ennemis à se rendre. Il réussit à avoir l’adhésion des Yue à la fin de l’affrontement militaire. Quant à Lü Gia et à son jeune roi Zhao Jiande, ils furent capturés au printemps -111 lors de leur fuite. Leurs têtes furent exposées à la porte nord du palais du Chang An (Trường An). Connu pour sa suprématie régionale, la défaite de Nanyue sonna le glas des espoirs Yue et obligea les autres à se soumettre aux Han. C’est le cas des Ou de l’Ouest (Tây Âu)  et du roi de Cangwu, (Kouangsi) (Quảng Tây) ainsi le royaume Yelang (Dạ Lang) situé à cheval à cette époque sur les territoires de Guizhou (Quí Châu) et de Kouangsi. Le Nord Vietnam fut occupé également par les Chinois qui tentaient de pousser leurs avantages jusqu’à Rinan dans l’Annam.

Wudi divisa le Nord Vietnam en deux commanderies: Jiaozhi (Giao Chỉ) and Jiuzhen (Cửu Chân). La capitale administrative de Jiaozhi fut au début à Miling (Mê Linh) puis elle fut transférée plus tard à Lũy Lâu dans la province de Bắc Ninh. Face à la dislocation de Minyue (Mân Việt) et à la résistance d’une partie de la population de ce dernier ((Dong Yue)(Đông Việt) que Wudi considéra comme une source de trouble dans le futur, il n’hésita pas à employer les grands moyens. Il publia un décret permettant de vider la population de ce royaume en l’an 111 avant J.C. par la déportation de tous les autochtones dans une autre zone située entre la rivière Huai et le fleuve Yanzi.

Grâce à la conquête des territoires des Yue et de Yelang, Wudi réussit à entrer en contact pour la première fois avec le royaume de Dian et à connaître son importance. Il ne tarda pas à y dépêcher les envoyés dans le but de convaincre le roi Changqian de ce royaume de venir à Chang An pour faire acte d’allégeance. Face à la réticence de Changqian, Wudi donna l’ordre de liquider toutes les tribus hostiles, en particulier les Laojin et Mimo tentant de bloquer la voie méridionale évoquée par Zhang Qian pour atteindre Daxia et l’Asie centrale. On parla plus de ving mille ennenis tués ou capturés lors de cette intervention. Le roi Changqian de Dian fut obligé de se rendre avec ses sujets. Au lieu de le punir, il fut épargné par Wudi en raison de sa lointaine ascendance chinoise et reçut comme le roi de Yelang le sceau d’investiture royale pour administrer le territoire annexé. Son royaume fut transformé désormais en commanderie de Yzhou en -109 avant J.C. C’est ainsi que se termine l’annexion au sud-ouest de la Chine (Yunnan) par Wudi. Selon l’historien Sima Qian, la question des relations entre Chinois et barbares du Sud-Ouest advint car quelqu’un voit une sauce « ju » à Panyu (Canton) et les gens de Daxia possèdent des cannes en bambous de Qiong (tribu du Sud-Ouest) pour rappeler avec humour que Wudi fut intéressé uniquement au départ par l’existence de la voie méridionale vers Daxia pour le commerce. La colonisation du Sud commença à battre son plein tout en laissant à l’aristocratie Yue locale la possibilité d’avoir une plus grande autonomie comme cela a été accordé au roi de Dian. Entre-temps, pour séparer les Xiongnu de leurs tributaires, les éleveurs de chevaux Wuhuan et Donghu, l’armée de Wudi ne tarda à être implantée en Mandchourie. Entre 109 et 106 avant J.C., l’armée de Wudi occupa la moitié nord de la péninsule coréenne et y installa quatre commanderies: Letun dans le nord-ouest, Zhenfan sur la côte ouest, Lintu à l’est et Xuantu au nord.

 

Après un long règne de 54 ans, Han Wudi mourut en 87 avant J.C. et laissa la Chine dans un état exsangue et ruiné comme Louis XIV laissa la France dix-huit siècles plus tard. Si les campagnes militaires menées par Wudi ont amené la dynastie Han à l’apogée de sa gloire et de sa puissance, elles ont épuisé par contre les finances publiques. Le début de son règne correspond à la période Yang durant laquelle le peuple a de quoi se nourrir, c’est ce qu’a écrit Sima Qian dans ses mémoires historiques. Les greniers à blé étaient bien remplis ainsi que le trésor public. L’empire était stable. Tout cela était dû en grand partie à l’effort de son prédécesseur Jing Di de gouverner tout au long d’un règne de 17 ans selon le précepte taoïste: Dirige avec le minimum d’intervention. (Wu wei er zhi). Les corvées et les impôts étaient très réduits. Malheureusement, les splendeurs de la cour accompagnées par la diplomatie dispendieuse à l’égard des Xiongnu et des pays vassaux (système de tribut) et par la politique annexionniste ont englouti toutes les richesses humaines et économiques du pays, ce qui permet au Yang de basculer en Yin où les propriétaires terriens (nobles et fonctionnaires) accaparèrent toutes les parties des terres irriguées en les achetant à bas prix aux paysans démunis. On était dans une situation catastrophique: le riche plus riche, le pauvre plus pauvre. Les gens de la capitale Luoyang vivaient dans l’excès et l’insolence et portaient de fins brocarts, des perles et du jade tandis que le sort des pauvres empira, certains préférant de devenir des esclaves privés ou gouvernementaux. Les catastrophes et les crues n’épargnaient pas non plus le pays. Entre-temps, les intrigues et débauches se multipliaient à la cour des Han à la fin du Ier siècle. Le pouvoir impérial fut affaibli par les diverses factions, les rivalités entre les épouses impériales et les jeux de leurs parentèles, ce qui permet à Wang Mang (Vương Mãng), un ministre régent ambitieux d’en profiter pour empoisonner le jeune empereur Pingdi (Hán Bình Đế) (9ans) en l’an 5 après J.C. et usurper le trône avec le concours de sa tante, l’impératrice douairière Wang de l’empire.[RETOUR]

Tombes des princes Han: en quête d’immortalité (Suite)

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