Les gongs des Hauts Plateaux: quatrième partie

Quatrième partie

Dans les cérémonies rituelles, les joueurs des gongs se déplacent lentement en file indienne ou se disposent en demi-cercle devant un public admirateur. Ils partent de droite à gauche dans le sens inverse des aiguilles d’une montre pour remonter le temps et revenir à leurs origines. Leurs pas sont lents et rythmés aux battements des gongs dont chacun a un rôle bien déterminé dans le jeu. Chaque gong correspond exactement à une corde de la guitare ayant chacune une note, une sonorité particulière. Quelle que soit la mélodie jouée, il y a la participation active de tous les gongs dans la procession. Par contre un ordre très précis de succession et de composition de battements leur est imposé afin de répondre aux mélodies et aux thèmes propres choisis de chaque ethnie.

Parfois, pour mieux écouter la mélodie, l’auditeur a intérêt à se placer dans un emplacement équidistant de tous les joueurs disposés en demi cercle sinon il ne peut pas l’écouter convenablement à cause de la faiblesse et l’amplification de la résonance de certains gongs dûes respectivement à l’éloignement ou au rapprochement excessif de sa position géographique par rapport aux joueurs.

Cồng Chiềng Tây Nguyên

Pour la plupart des groupes ethniques, le jeu des gongs est réservé uniquement aux hommes. C’est le cas des ethnies Jarai, Edê, Bahnar, Sedang, Co Hu. Par contre, pour le groupe ethnique Eđê Bih, les femmes sont autorisées à utiliser les gongs. D’une manière générale, les gongs sont de taille variable. Le disque des grands gongs peut aller de 60 à 90 cm de diamètre avec un bord cylindrique de 8 à 10 cm. Cela ne permet pas aux joueurs de les porter car ils sont trop lourds. Ces gongs sont suspendus souvent aux poutres de la maison par des cordes. Il y a par contre les gongs plus petits dont le disque varie de 30 à 40 cm avec un bord de 6 à 7cm. Ceux-ci sont fréquemment rencontrés dans les fêtes rituelles. Pour l’identification des gongs des Hauts Plateaux, le musicologue vietnamien Trần Văn Khê a l’occasion d’énumérer un certain nombre de caractéristiques dans l’un de ses articles:

  • 1°) Ils sont très variés.
  • 2°) Ils sont liés étroitement à la vie spirituelle des minorités ethniques des Hauts Plateaux. Etant considérés comme des instruments sacrés, ils favorisent la communication avec les esprits et les génies.
  • 3°) Ils accompagnent les gens des Hauts Plateaux, depuis leur naissance jusqu’à leur mort. Leur présence est visible non seulement dans les évènements importants ( mariages, funérailles, guerres etc…) mais aussi dans les fêtes agricoles (germination du paddy, formation de l’épi, fête de la clôture agricole etc..).
  • 4°) La manière de jouer le gong des Hauts Plateaux est très particulière et reflète la structure familiale de chaque minorité ethnique. Cela permet d’identifier facilement l’ethnie en question grâce aux mélodies de timbres jouées.
  • 5°) Le déplacement des joueurs est effectué toujours dans le sens inverse des aiguilles de la montre dans le but de remonter le temps et retourner à la source. Il est identique à la démarche employée par l’école bouddhiste Zen dans sa méditation marchée (thiền hành) et orientée  de « l’extérieur vers le coeur » (từ ngoài vào tim).
  • 6°) La composition de la mélodie jouée est basée essentiellement sur la séquence des battements rythmés selon les procédés originaux de répétition et de réponse.

On ne trouve pas ailleurs autant de gongs comme on les a eus sur les Hauts Plateaux du Vietnam. C’est pourquoi, lors de sa visite au Vietnam sur les Hauts Plateaux, étant en contact avec les gongs et en présence du musicien Tô Vũ,  l’ethnomusicologue philippin José Maceda a eu l’occasion de souligner que les gongs des Hauts Plateaux sont très originaux. Pour lui, en raison du nombre élevé de gongs trouvés, il est possible que les Hauts Plateaux soient peut-être le berceau des gongs de l’Asie du Sud Est.

Au fil des années, le risque de voir disparaître le caractère « original » et « sacré » est réel à cause du trafic illicite de gongs, du manque des accordeurs, du désintéressement des jeunes et de la destruction de l’environnement où les gongs ont été « éduqués ».

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Photo Đinh Xuân Dũng ( Nha Trang )

Depuis quelques années, étant considérés comme des biens culturels, les gongs deviennent l’objet de convoitises des antiquaires vietnamiens et des collectionneurs étrangers, ce qui amène les autorités locales à un contrôle sévère dans le but de stopper l’hémorragie des gongs (chảy máu cồng chiêng).

L’effort gouvernemental est visible aussi au niveau local par la mise en place des programmes d’incitation à l’apprentissage auprès des jeunes. Mais selon certains ethno-musicologues vietnamiens, cela permet de pérenniser physiquement les gongs sans donner à ces derniers le moyen de posséder une âme, un caractère sacré, une couleur sonore ethnique car ils ont besoin non seulement de la main habile et de l’ouïe fine de l’accordeur mais aussi de l’environnement. C’est ce dernier facteur qu’on oublie de protéger efficacement dans les dernières années. A cause de la déforestation intensive et de l’industrialisation galopante pour les années à venir, les minorités ethniques n’ont plus la possibilité de pratiquer la culture sur brûlis. Elles n’ont plus l’occasion de honorer les fêtes rituelles, leurs génies, leurs traditions. Elles ne savent plus exprimer leurs tristesses et leurs joies à travers leurs gongs. Elles ne connaissent plus leurs épopées orales (sử thi). Leurs champs de riz sont remplacés par les plantations des caféiers et d’hévéas. Leurs jeunes enfants ne sont plus des essarteurs mais ils s’adonnent à des activités industrielles et touristiques leur permettant de procurer des subsistances confortables. Peu de gens d’aujourd’hui savent accorder ces gongs.

Le caractère « sacré » des gongs n’existe plus. Ceux-ci deviennent des instruments de divertissement comme d’autres instruments de musique. Ils peuvent être utilisés partout sans avoir besoin des événements importants, des heures bien précises et sacrées (giờ thiêng). Ils sont joués à la demande touristique. Ils ne sont plus ce qu’ils étaient jusqu’alors. C’est pour cette perte irréparable que l’UNESCO n’a pas hésité de souligner le caractère urgent dans la reconnaissance de l’espace de la culture des gongs des Hauts Plateaux (Tây Nguyên) comme le chef d’œuvre du patrimoine immatériel et oral de l’humanité le 25 Novembre 2005. Les gongs ne constituent qu’un élément essentiel dans la réalisation de ce chef d’oeuvre mais il faut qu’on sache que d’autres éléments sont aussi importants que ces gongs: l’environnement, les us et coutumes, les ethnies etc.

Les gongs sans leur environnement et leur couleur sonore ethnique ne possèdent plus l’âme sacrée (hồn thiêng) des Hauts Plateaux. Ils perdent le caractère original pour toujours. Il y a toujours un prix à payer dans la préservation de la culture des gongs des Hauts Plateaux mais il est à la portée de nos efforts collectifs et de notre volonté politique. On ne peut pas réfuter que la culture des gongs des Hauts Plateaux fait partie désormais de notre héritage culturel.

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