Nguyễn Huy Thiệp (Version Française)

English version
huythiep

Cantonné jusqu’en 1986 dans le travail de dessin des illustrations pour manuels scolaires dans un bureau des Editions de l’Education à Hànội, Nguyễn Huy Thiệp, profitant de la nouvelle politique d’ouverture connue sous le nom  » Ðỗi Mới « ( Renouveau ) lors du 6ème congrès du parti communiste vietnamien, publia en Janvier 1987 son premier recueil intitulé « Les vents de Hứa Tát » paru dans le journal prestigieux de l’Association des écrivains nationaux « Littérature et Art ».

Son succès ne tarda pas. Mais il le dut surtout à son recueil intitulé « La retraite du général » quand celui-ci parut en Juin 1987. Cela provoqua non seulement un séisme dans l’opinion publique vietnamienne mais aussi un espoir de voir drainer dans son sillage une nouvelle génération de jeunes écrivains sans compromission et ayant un esprit d’indépendance et de critique qui semble être quasi inexistant jusqu’alors dans la littérature vietnamienne.

Un général à la retraite
Le coeur du tigre
La vengeance du loup
Les démons vivent parmi nous.
Conte d’amour. Un soir de pluie
L’or et le feu
Mon oncle Hoat
 A nos vingt ans

licorneGrâce à ses recueils de nouvelles, Nguyễn Huy Thiệp devint du jour au lendemain la figure de proue de la littérature vietnamienne. Ses lecteurs y compris ceux de la diaspora retrouvèrent en lui non seulement le talent d’un écrivain mais aussi l’audace de briser le tabou et le non-dit entretenus jusqu’alors par les coutumes et par un système tombé en désuétude. On le considère actuellement comme le plus grand écrivain vietnamien. Avec son style très sobre, il arrive à sensibiliser facilement le lecteur car il sait se servir des métaphores et des allusions avec son langage cru pour décrire la réalité d’aujourd’hui du Vietnam, celle de toutes les aliénations formant actuellement le tissu social du pays.

En sélectionnant des situations et des héros types dans ses nouvelles et ses contes, il nous fait découvrir avec effroi toutes les contradictions de la société vietnamienne, toutes les vérités insupportables, le gangrène du Mal, l’effondrement des valeurs morales d’une société. Il ose déballer sur la place publique la débâcle d’un système, fouailler la chair sociale avec son humour noir et son réalisme glacial. Il arrive à nous montrer toutes les facettes de la société à travers ses textes brefs et dépouillés avec le talent d’un conteur et celui d’un écrivain en rupture totale avec la génération des écrivains compromis avec le régime. S’il arrive à construire ses nouvelles avec une facilité étonnante, cela est dû en grande partie à sa jeunesse qu’il a vécue dans le milieu rural avec sa mère et à sa formation d’historien qu’il a suivie à Hànội dans l’université de Pédagogie à partir de 1970. L’oeuvre de l’historien chinois Si Ma Qian (Tư Mã Thiên) a influé énormément sur ses recueils, en particulier sur son style. Il a déclaré un jour en 1990 au journal français Libération: Je ne crois pas qu’on puisse écrire quand on est déraciné. Il a préféré rester au Viêt-Nam dans le but de pouvoir écrire ses recueils, de relever le constat d’un système et d’exprimer la colère et l’exil intérieur d’un être broyé par des années de boue, de guerre et de privations. Bien qu’il ne fasse jamais de politique, il est toujours suspect aux yeux des autorités vietnamiennes car sa parole libre fait trembler les appareils de l’état et il incarne l’expression symbolique de l’état d’âme de tout un peuple à la quête d’un trésor perdu et volé.

Tous ceux qui ont pris sa défense en particulier le directeur de la revue Văn Nghệ ont été limogés. On n’a pas hésité à lancer dans le passé une campagne de dénigrement dans la presse officielle. On lui reprocha la publication de la trilogie à argument historique qui portait atteinte au héros national Quang Trung à travers l’oeuvre « Dignité ». Malgré la censure, les menaces et les intimidations, les journaux courageux continuent à publier aujourd’hui ses recueils dont certains sont déjà parus en français aux éditions de l’Aube.

Les héros de ses recueils sont des êtres aliénés sexuellement, moralement et socialement. Ce sont des gens ordinaires que les aléas de la vie et le système précipitent dans la perversion, l’humiliation, l’abus, la folie et le profit. Dans « Il n’y a pas de roi », le vieux Kiên préfère reluquer en douce sur les jeunes femmes à poil, en particulier sa bru Sinh car à cause de ses 5 enfants qu’il est obligé de nourrir et d’élever, il n’a pas le moyen de se remarier, ce qu’il dit à son fils Ðoai lorsque ce dernier l’a critiqué ouvertement. C’est choquant de voir mourir d’une crise cardiaque dans « La terre oubliée » un homme âgé de 80 ans, Panh qui a tenté d’abattre un arbre pour relever le défi et pour pouvoir épouser une jeune fille de 14 ans qu’il a connue lors de son passage à Yên Châu. Dans  » Un général à la retraite », son héros, le général retraité Thuận ne sait pas retenir sa parole en osant parler devant son supérieur des trois activités formant le modèle économique indispensable dans le système actuel: le jardinage, l’élevage des poissons et des animaux domestiques. Il expie une faute dont il n’a pas su se préserver. Il préfère une mort honorable à la vie ignominieuse. On l’a enterré avec tous les honneurs militaires. C’est un grand homme. Il est mort pour la patrie au cours d’une mission, ce que le général Chương a dit à son fils. On voit se développer à toutes les couches de la société et à tous les niveaux le profit et le copinage. A chaque pays, ses coutumes, ce qu’a dit Mr Thuyết à ses employés scieurs dans la nouvelle « les scieurs de long ». De même, la bru du général Thuận, profitant de son rôle médecin, chargé des avortements et des curetages, récupère les foetus abandonnés qu’elle ramène à la maison tous les soirs dans une bouteille Thermos pour les faire cuire et pour nourrir les cochons et les chiens bergers constituant actuellement une ressource financière non négligeable pour une famille vietnamienne.

Nguyễn Huy Thiệp continue à croquer rageusement le Viêtnam avec ses recueils et ses contes. Comme les gens du Vietnam, il essaie de trouver une solution à ses besoins quotidiens et de donner surtout un sens, une signification à son existence comme son héros Mr Quý dans « Nostalgie de la Campagne (Thương Nhớ Ðồng Quê) »: Être intellectuel c’est être capable de donner un sens à la vie qu’on mène. Malgré un héritage amer, il se contente d’avoir néanmoins sa consolation à travers ses récits et ses contes.

Mais pour combien de temps encore?

C’est une question à laquelle personne n’est capable de répondre.

Seul l’avenir politique du Viêtnam nous le dira. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.