© Đặng Anh Tuấn
Depuis la nuit des temps, les Vietnamiens ont l’habitude de vivre dans un environnement inhospitalier. Leurs conditions de vie sont très dures et la nature est extrêmement rude et impitoyable. Il faut apprendre à vivre avec les créatures sauvages, à ruser et à les combattre. C’est avec elles que sont nés un grand nombre de préjugés et de superstitions. C’est dans la plupart des chansons populaires qu’on relève non seulement une sorte d’expérience vécue par les Vietnamiens avec le règne animal mais aussi une certaine philosophie à la fois juste et simple. En s’appuyant sur des observations et des comportements trouvés dans le monde des animaux, ils ont réussi à enrichir leurs chansons populaires en donnant à ces dernières un caractère plus tonique, plus humoristique, plus attrayant et plus moralisateur.
Sans se référer à ces créatures sauvages et familières, elles perdraient probablement l’attrait qu’elles continuent à garder jusqu’alors. L’exemple suivant témoigne incontestablement de cet agrément emprunté dans le règne animal:
Chim khôn tiếc lông
Người khôn tiếc lời
L’oiseau intelligent tient à ses plumes
L’homme intelligent ne prodigue pas ses paroles.
Sans faire allusion à l’oiseau et à son plumage, le deuxième vers n’aurait pas probablement toute sa portée significative et sa subtilité. De même, tout est décrit et résumé d’une manière concise dans le proverbe suivant:
Một con quạ, đồn ba con ác
Il existe un seul corbeau. Avec la rumeur, on se retrouve avec trois pies pour désigner un hâbleur.
Au lieu de réutiliser le mot « quạ » désignant le corbeau, on préfère le mot « ác » qui, malgré la même signification trouvée dans le dictionnaire sino-vietnamien, est aussi synonyme du mal. Par sa prononciation et sa connotation, cela nous fait penser inéluctablement à quelque chose nuisible tout en gardant intacte la portée significative de ce proverbe. Rien n’est étonnant de voir le corbeau y figurer car cet oiseau est détesté et honni par les Vietnamiens. Grâce à cette créature haïssable, on pourrait mesurer le degré d’importance accordé à la réflexion qu’on aime retenir avec ce proverbe.
Par le biais de ces chansons populaires, des proverbes et des légendes, les Vietnamiens ont l’occasion de montrer maintes fois leurs opinions sur le règne animal. Certaines créatures sauvages sont respectées et sacrées, d’autres ne le sont pas. À force de partager le même environnement, ils n’hésitent pas à les associer dans leur vie journalière, à réserver à chacune d’elles un égard particulier et à leur donner un classement hiérarchique à l’image de la société vietnamienne. Tout cela a été dicté indiscutablement par leurs observations et leurs expériences vécues qui deviennent au fil des années des préjugés transmis de génération en génération et ancrés intimement dans leur esprit.
L’aigrette est une sorte de héron qu’on est habitué à voir en compagnie avec des paysans sur les champs des rizières. S’appuyant sur de longues jambes, elle ne cesse pas d’y barboter silencieusement à la recherche de la nourriture ou elle s’avance gravement aux longues enjambées.
Cette image n’est pas étrangère à l’impression que les Vietnamiens ont accordée à cette créature. Est-elle l’échassier mystérieux qu’on a vu gravé sur les tambours de bronze de Ðồng Sơn? En tout cas, elle est le symbole de la pureté et du sacrifice. C’est ce qu’on a retrouvé dans la chanson populaire suivante:
Con cò lặn lội bờ ao
Tôi có tội nào ông sáo với măng
Có sào thì sáo nước trong
Chớ sáo nước đục đau lòng cò con !
Je suis l’aigrette qui barbote au bord de la mare
Si j’ai mal fait, vous pourrez me faire cuire avec les jeunes pousses de bambou
Mais en cas de préparation, faites-moi cuire dans de l’eau claire et propre
Ne me faites pas cuire dans l’eau malpropre. Cela fera mal au coeur à la pauvre petite aigrette!
S’identifiant à la femme vietnamienne, elle est évoquée dans une autre chanson:
Con cò lặn lội bờ sông,
Gánh gạo đưa chồng tiếng khóc nĩ non,
Nàng về nuôi cái cùng con,
Ðể anh đi trãy nước non Cao-Bằng.
Analogue à l’aigrette barbotant au bord du fleuve,
Portant le riz paddy, elle accompagne son mari avec douleurs et pleurs
En rentrant à la maison, elle s’occupe de sa belle- mère et de ses enfants,
Elle lui laisse le temps d’accomplir le service militaire.
L’aigrette est tellement appréciée que dans certaines régions du Việt Nam on n’hésite pas à lui accorder le titre de noblesse: Monsieur le Paysan (Ông nông). Ce respect est dû probablement à son beau plumage et à son allure imposante au milieu des champs des rizières. À force de la côtoyer, les paysans la considèrent comme un compagnon qui sait participer à leurs occupations journalières. De même le héron (vạc) est synonyme de l’élégance et de la longévité. On a l’habitude de dire: Cưỡi hạc chầu trời pour faire allusion à une personne âgée qui rend l’âme en douceur. Par contre, on voit d’un mauvais oeil le corbeau. À cause de son plumage noir, cette créature est synonyme du malheur. Son apparition instantanée devant la maison ou son passage annoncent un mauvais présage. Pour reprocher au public d’avoir une opinion erronée, on n’hésite pas à emprunter ce proverbe.
Quạ ăn dưa bắt cò phơi nắng
Nghĩ lại sự đời quạ trắng cò đen
Le corbeau est en train de manger la pastèque tandis que l’aigrette est punie sous un soleil accablant
En s’adonnant à la réflexion sur la vie, on s’aperçoit que le corbeau est blanc et l’aigrette devient noire
De même l’ours n’est pas très choyé. On l’appelle « Cha Cụ » ou « Cha gấu » (le père ours). Le qualificatif de « Cha » est très péjoratif. On voit dans cette désignation le caractère méprisable et ridicule. On voudrait faire allusion probablement à quelqu’un qui, étant pourtant père d’une famille, n’est pas à la hauteur de son rôle et ne mérite pas d’avoir un égard particulier. S’agit -t-il de la lourdeur et de la lenteur de ce plantigrade dans sa démarche? Malgré cette appellation injustifiée, l’ours n’est pas aussi malheureux par rapport aux autres créatures auxquelles la discrimination est encore plus visible. Le pélican (chim bồ nông), malgré sa taille respectable et sa poche extensible où sont emmagasinés les poissons destinés à nourrir ses jeunes, ne reçoit que le mince titre « thằng bè » ( ou le mec mastoc ). La sarcelle (con le le) est désignée souvent par le nom « thằng bồng » tandis que le martin pêcheur (chim bói cá) est connu souvent sous l’étiquette « thằng chài » (celui qui pêche à l’épervier) .
Pour ce dernier, il n’y a pas de doute sur le choix de cette attribution qui est liée probablement à l’agilité de cet oiseau dans sa plongée et dans la capture des poissons. Le qualificatif de thằng est employé intentionnellement dans le but de signifier l’état d’infériorité de la créature ou de la personne en question par rapport à d’autres espèces ou à d’autres individus. C’est aussi le cas du plongeon qu’on appelle souvent sous le nom thằng cộc ou thằng cha cộc. Certains oiseaux sont carrément féminisés car on leur accorde le titre « mệ » (ou grand-mère) ou mạ (ou mère). C’est le cas du héron (con diệc) qu’on a l’habitude d’appeler sous le nom » mạ diệc » (la mère héron). Une autre créature de la même famille que le héron, le crabier, reçoit le titre « mệ thợm » (la commère crabier).
Rien n’est contredit par la description de ces créatures dans le proverbe suivant:
Chống cậy mà đi là con cha cộc
Con độ mũi nốc là con thằng chài
L’oiseau qui s’appuie sur les bâtons dans sa marche est bien le plongeon
L’oiseau qui perche à l’avant de la barque est bien le martin-pêcheur
Certaines créatures sont considérées comme celles provenant du Ciel ou vivant à ciel ouvert. On trouve dans leur nom le mot « Ciel » (trời). C’est le cas de vịt trời (canard sauvage), ngỗng trời (oie sauvage) ou ngựa trời (mante religieuse) ou cheval du ciel. Par contre, pour d’autres créatures, le respect dicté par la crainte et les représailles n’est plus mis en doute. Les Vietnamiens pensent que ces créatures arrivent à capter leur pensée et qu’elles arrivent à s’échapper par conséquent de leur piège mortel. C’est pourquoi le mot « Thiêng » est utilisé dans le but de désigner ces créatures surnaturelles. C’est le cas de la petite souris (con chuột). Malgré sa taille minuscule, ils n’osent pas l’appeler par son nom. Ils préfèrent de lui attribuer le titre « Ông thiêng » (ou Monsieur le Sacré) car il est capable d’effectuer des représailles et de connaître tous les secrets et les intimités de leur famille et de leur maison. De même, le moineau (chim sẽ) reçoit le même honneur que la petite souris. Par sa force surnaturelle, il arrive à s’échapper de leur piège et peut leur causer de gros dégâts en détruisant tous leurs stocks de riz.
La fourmi fait partie aussi des créatures surnaturelles en même temps que l’éléphant (ông voi) et le tigre (ông cọp, ông Ba Mươi). Ces derniers ont la capacité d’écouter leurs conversations, ce qui fait d’eux connus souvent sous le nom « Ông thính » (Monsieur l’écouteur). On attribue au tigre l’aptitude d’emporter sur son dos l’âme de sa victime. Celle-ci, errante et connue sous le nom « Ma » oblige le tigre à revenir sur le lieu ou l’endroit où la victime habite pour chercher ses offrandes. C’est une façon d’interpréter le retour du tigre aux alentours de l’endroit où la victime a été dévorée dans le but de s’emparer d’autres proies.
C’est pour cette raison qu’il est indispensable de retrouver à tout prix ce qui appartient à la victime, de le brûler ensemble avec son sosie en papier ainsi que celui du tigre. Puis il faut les enterrer avec soin dans le but de faire entrer définitivement l’âme dans la tombe. On ne cesse pas de croire que les moustaches du tigre ont un caractère nuisible pour la santé. Pour parer à des dégâts que peuvent provoquer ces moustaches, on décide de les brûler immédiatement lors de la capture de ce fauve. On attribue également la formation des chenilles hérissonnes à partir de la bave du tigre. Il est impossible de trouver un médicament pour cicatriser une plaie provoquée par le contact inopiné avec ces bestioles.
Pour la plupart des Vietnamiens, le tigre est à la fois un animal redouté et vénéré. Par crainte des représailles, ils lui réservent non seulement des signes de respect mais aussi des temples et des autels dédiés en son honneur et éparpillés un peu partout dans la forêt. Même avant de le tuer après sa capture, ils n’oublient pas non plus de lui rendre un dernier hommage en célébrant préalablement une cérémonie. Ils sont habitués à se comparer au tigre par le biais de la maxime suivante:
Hùm chết để da, người chết để tiếng.
Le tigre mort laisse sa peau et l’homme décédé sa réputation.
et à accorder au roi des animaux une vénération irréprochable. Malgré cela, l’animal préféré reste le dragon. Celui-ci fait partie des quatre animaux au pouvoir surnaturel (Tứ Linh) ( dragon ( rồng, long ), licorne ( lân ), tortue ( qui, rùa ) et phénix ( loan, phượng, phụng ) ) et occupe la première place. Il est l’animal emblématique choisi traditionnellement par l’empereur sur ses vêtements. Il passe aussi pour un élément clé de la mythologie Việt. Tout Vietnamien se croit fermement descendant de cet animal fabuleux et mythique. La licorne est synonyme du bonheur. Quant à la tortue, elle est non seulement le symbole de la longévité mais aussi celui de transmission des valeurs spirituelles dans la tradition vietnamienne. Sa présence a été citée maintes fois dans l’histoire du Viêt-Nam par le biais des légendes. (L’arbalète magique offerte par le génie de la tortue d’or au roi An Dương Vương dans la lutte contre le général chinois Triệu Ðà, la remise de l’épée au génie de la tortue d’or par le futur roi Lê Lợi après sa victoire éclatante sur les envahisseurs chinois, les Ming dans le lac Hồ Hoàn Kiếm). Le phénix s’identifie toujours à la beauté. On fait référence souvent à cet oiseau mythique dans le mariage. Pour décrire quelqu’un ayant le profil de fils du ciel (tướng thiên tử) on lui dit qu’il a le nez du dragon et les yeux de phénix ( mũi rồng mắt phượng ).
Pour séparer les amoureux, on a l’habitude de dire: Chia loan rẽ phượng. Loan est employé souvent pour faire allusion à un phénix femelle tandis que le vocable « phượng » est réservé pour un mâle.
Outre ces animaux mythiques, il y a un animal dont on a parlé souvent dans les annales vietnamiennes. C’est le dragon d’eau (ou con thuồng luồng). C’est un serpent ressemblant beaucoup à l’anguille, c’est ce qui a été décrit dans le dictionnaire de P. Génibrel. Pour se protéger contre les dragons d’eau, les Vietnamiens avaient l’habitude de se tatouer. Ils n’étaient pas ainsi reconnus différents et ils évitaient d’être tués par ces animaux au moment de leur pêche. Cette coutume disparut seulement sous le règne du roi Trần Anh Tôn lorsque celui-ci renonça lui-même à cette pratique. Le dragon d’eau est aussi le sujet du proverbe suivant:
Thuồng luồng không ở cạn
Le dragon d’eau ne vit pas dans les endroits où il y a peu d’eau.
pour dire que les gens de qualité ne fréquentent pas le petit peuple.
Dans les régions côtières, l’animal vénéré reste la baleine (ou cá voi, cá ông). Rien n’est surprenant de voir surgir dans chaque village longeant la côte, un autel réservé à ce mammifère. L’attachement profond des pêcheurs vietnamiens à ce cétacé est dû en grande partie aux bienfaits qu’il leur rend.
Autel réservé à la baleine (Poulo Cham) (Cù Lao Chàm)
Au Vietnam, on fait attention aux signes avant-coureurs des phénomènes naturels en observant le comportement des créatures sauvages. Par le feulement du tigre à la recherche de la nourriture, le bramement sec et saccadé du cerf ou le cri de l’écureuil, on pourrait s’informer des changements climatiques (la venue de la pluie ou du vent venant du nord). Le hululement du coq des pagodes (chim bìm bịp) annonce la descente des crues. En voyant les fourmis de terre se hâter à construire de gros nids en terre sur les arbres longeant la berge du fleuve, on peut deviner que la montée des eaux serait imminente. Le chant injustifié du coq prévoit une mauvaise nouvelle. Le grignotement des souris dans la maison n’est pas non plus de bon augure. Le chuintement de la chouette ou du hibou près de la maison annonce la mort imminente du malade s’il y en a dans la maison. La chute de l’araignée accrochée au plafond est une marque d’infidélité dans le ménage. Le vol de la libellule au ras du sol ou en hauteur signale la venue imminente de la pluie ou du soleil. C’est ce qui a été dit dans le petit dicton suivant:
Chuổn chuổn bay thấp thì mưa
Bay cao thì nắng, bay vừa thì râm
La libellule qui vole au ras du sol entraîne la pluie
En prenant de la hauteur, elle emmène le soleil et en volant à une altitude moyenne, elle ramène l’ombre.
On peut trouver une explication scientifique à ce dicton car la libellule possède comme le poisson une poche de vapeur permettant de réguler les altitudes de son vol en fonction de l’humidité de l’air. C’est l’application judicieuse de la poussée d’Archimède dans l’air à travers ce comportement. Cette superstition a été exploitée dans le passé avec ingéniosité par un grand nombre de dirigeants vietnamiens pour consolider leur légitimité dans la conquête du pouvoir. Elle devient aussi une arme redoutable et efficace dans la lutte contre les agresseurs étrangers. On peut dire qu’elle fut à cette époque ce qu’on a aujourd’hui avec la guerre de communication. La crédulité a été mise en évidence maintes fois dans l’histoire du Viêt-Nam. Pour faciliter l’accès au trône du jeune vertueux Lý Công Uẩn, le futur roi de la dynastie des Lý, le bonze érudit Vạn Hạnh, décida de marquer discrètement le mot « Thiên tử » (fils du ciel) sur le dos d’un chien blanc dans le village Cổ Pháp et de faire circuler la rumeur de l’apparition prochaine d’un nouveau roi né sous le signe astrologique du chien dans le courant de l’année du chien de métal pour ramener la paix au peuple. C’est pourquoi personne ne contesta la légitimité de Lý Công Uẩn le jour de sa prise de pouvoir et de son intronisation dans l’année du chien (Canh Tuất 1010) sous la pression de son adjoint Ðào Cam Mộc et de ses proches dirigés par le bonze Vạn Hạnh car on pensa que tout était décidé à l’avance et qu’il était envoyé par le ciel pour devenir roi. Il était né sous le signe du chien de bois (Giáp Tuất ) en 974. Pour mettre la capitale à l’abri des caprices du fleuve rouge, Lý Công Uẩn, sur les conseils des géomanciens, avait l’intention de déplacer la capitale à Thăng Long (ou Hà Nội plus tard). Pour ce transfert, il fut obligé de faire croire à son peuple qu’il a vu un dragon d’or s’envoler de cette localité dans le songe. Cela lui permit de neutraliser pacifiquement toute idée de contestation et de révolte. De même, plusieurs siècles plus tard, rien n’était étonnant de voir l’édification d’une histoire prodigieuse, d’une légende sur le personnage de Lê Lợi , un riche fermier Mường à Lam Sơn, dans le but d’unifier tout le peuple vietnamien face à son destin et d’empêcher toutes les velléités de soumission dans la lutte contre les envahisseurs chinois ( les Ming ). Ce fut aussi la résistance organisée par un Vietnamien d’origine Mường pour la première fois dans l’histoire du Viêt-Nam. On réussit à faire croire au peuple qu’avant la naissance de Lê Lơi, il y avait un tigre noir fréquentant les alentours de son village. Dès sa naissance, on ne vit plus apparaître ce tigre. On attribua ainsi à Lê Lơi la réincarnation de ce roi des animaux. C’est Nguyễn Trãi, son conseiller politique et militaire qui l’a décrit dans son ouvrage « Lam Sơn Thực Lục » dans les termes suivants:
Vua Lê vai tả có bảy nốt ruồi, long lá đầy người, tiếng như chuông lớn, ngồi như hổ ….
Le roi Lê ayant sur son épaule gauche 7 boutons, son corps poilu, sa voix retentissant comme une cloche, s’assoit comme un tigre …
C’est aussi à Nguyễn Trãi l’idée géniale de faire circuler le message suivant gravé sur les feuilles à l’aide des cure-dents et du miel. Ce texte était rongé ensuite au fil des mois par les fourmis à cause de l’odeur du miel:
Lê Lợi vì dân, Nguyễn Trãi vì thân
Lê Lợi pour le peuple, Nguyễn Trãi pour Lê Lợi
dans le but de montrer au petit peuple que la volonté venait de Dieu lui-même et que Lê Lợi était désigné comme le seul héritier légitime dans la lutte contre les envahisseurs Ming.
Pour faire disparaître l’affliction visible d’un grand nombre de gens devant le sort réservé aux adversaires de Gia Long , en particulier à la famille du roi Quang Trung (décapitation de son fils, le roi Cảnh Thinh, déterrement de sa tombe, supplice infligé à tous ses partisans et ses proches par le biais de piétinement des éléphants) et pour légitimer sa prise de pouvoir, beaucoup de légendes autour de Gia Long ont été mises en plein jour. C’est d’abord l’histoire de sa rencontre avec son jeune général eunuque Lê Văn Duyệt. Connu pour son courage et sa force, celui-ci menait jusqu’alors une vie cachée et réservée avec sa mère dans un coin refoulé du Sud Viêt-Nam. Il n’hésita pas à tuer tous ceux qui osaient le déranger. Ayant connu sa réputation et poursuivi sans relâche par les Tây Sơn (les paysans de l’Ouest), Nguyễn Ánh, le futur empereur Gia Long décida d’aller le voir et voulut se lier d’amitié avec lui. Accompagné par son subordonné Nguyễn Văn Thành, il trouva sa maison mais Lê Văn Duyệt y fut absent à ce moment. Sa mère les invita à déjeuner et leur demanda de se retirer immédiatement car elle connaissait bien le caractère de son fils. En voyant des étrangers dans la maison, celui-ci n’hésitait pas à les tuer. Face à la résolution de Nguyễn Ánh de vouloir rencontrer son fils, elle fut obligée de les héberger cette nuit là. En rentrant à la maison, Lê Văn Duyệt fut énervé par la présence des étrangers. Mais il s’aperçut que le jeune homme était entouré par un serpent dont la tête était adossée contre sa poitrine. Troublé par cette protection divine, il demanda timidement à sa mère: Qui est cette personne protégée par le serpent? Surprise par cette question, celle-ci revint dans la chambre où le jeune Nguyễn Ánh dormait. Elle ne trouva aucun serpent. Il n’y avait que Lê Văn Duyệt qui a vu cette scène. Pour ce dernier, il n’y avait plus de doute qu’il était en face d’un personnage hors du commun et sous la protection divine. Il alla le réveiller et lui demanda ses nouvelles. Lê Văn Duyệt devint de ce jour l’un de ses meilleurs et brillants fidèles dans la reconquête du pouvoir. D’après l’érudit français Léopold Cadière, l’animal fabuleux ressemblant au dragon trouvé sur le costume impérial de Gia Long ou sur le palier de son trône évoquerait probablement la protection du serpent dont Nguyễn Ánh bénéficia durant ses années de vicissitudes. Une autre fois, pour aller se réfugier dans l’île de Phú Quốc, Nguyễn Ánh a failli être capturé par les Tây Sơn si son bateau n’avait pas été retenu et gêné par la présence d’une bande de crocodiles. Intrigué par cet augure, il s’agenouilla à l’avant de son bateau et invoqua le Ciel :
S’il y a des ennemis qui veulent me tendre un piège mortel à l’entrée du fleuve Ông Ðốc, vous me faites signe en faisant disparaître et réapparaître ces crocodiles trois fois de suite sinon vous me laissez partir maintenant car le temps est tellement précieux pour moi.
Effectivement, la disparition et la réapparition de ces reptiles eurent lieu trois fois de suite. Témoin de ce phénomène inhabituel répondant à son exaucement, il renonça à partir. Pour être sûr de la présence de ses ennemis, un éclaireur fut envoyé sur-le-champ. Il n’y eut plus de doute que ses ennemis l’attendaient en surnombre ce jour là. Si on ne sait pas que Nguyễn Ánh serait sous la protection divine ou non, on constate qu’à travers ces récits historiques, il était un jeune prince très courageux et intrépide. Il fut poursuivi une fois par ses ennemis. Il fut obligé de traverser le fleuve à la nage malgré la présence d’un grand nombre de crocodiles. Il dut recourir au buffle qui pataugeait au bord du fleuve pour entreprendre la traversée.
L’homme vietnamien est né avec cette croyance. Sans celle-ci, il lui paraît difficile de surmonter les difficultés journalières rencontrées dans un environnement inhospitalier où la fatalité est de mise. Si la superstition porte quelque image de la pusillanimité, elle reste néanmoins une arme efficace dont l’homme vietnamien ne manque pas l’occasion de se servir pour forger son destin et réaliser son dessein. Il ne se laisse pas entraîner trop dans l’esprit cartésien pour réfuter tout ce qui appartient à l’héritage de croyances de son peuple.