Dernière partie
Une fois le mariage célébré, les jeunes époux habitent par roulement dans leurs familles parentales au bout d’un certain temps suivant l’accord établi entre les deux familles. C’est seulement après la naissance de leur premier enfant qu’ils commencent à construire leur propre maison. Les Bahnar adoptent la monogamie. Le viol, l’inceste et l’adultère sont strictement condamnés. Au cas où l’adultère est commise par le conjoint survivant quel que soit son sexe au moment de la période d’entretien de la tombe, on dit qu’il saute par dessus le cercueil ko dang boăng. Le survivant n’est pas aussitôt délié de ses obligations envers le mort. Il est obligé de payer non pas aux ayants droit du défunt mais au défunt lui-même des indemnités qui sont réglées en un nombre de bêtes que l’on immole bơthi sur sa tombe. C’est pourquoi le conjoint survivant a l’intérêt d’écourter la période d’entretien s’il a envie de refaire sa vie. Même dans la mort, le préjudice causé au défunt par la faute de son conjoint a droit à une réparation matérielle par le nombre de bêtes qu’on immole sur sa tombe. Dans la tradition des Bahnar, chacun est « libre » sous réserve de ne pas nuire à la personne ou aux biens d’autrui. Dans le cas où la personne a été lésée dans son honneur ou matériellement dans ses biens, elle a droit à une réparation sous forme d’indemnité ou à un remboursement des frais engagés. Les Bahnar n’infligent pas la peine de mort. L’envoi de quelqu’un au bagne correspond à un bannissement. Les Bahnar savent pratiquer l’entraide en cas de disette. Dans leur maison, on ne boit jamais d’alcool de riz, on ne mange jamais de viande sans inviter les autres familles. Le premier riz mûr n’appartient pas seulement au propriétaire du champ mais au village tout entier.
Figurines de bois |
devant les maisons funéraires |
La liberté de choisir le conjoint ou la conjointe, la répartition des tâches dans un couple, le droit à une réparation matérielle ou morale, le respect d’autrui illustrent bien l’égalité entre hommes et femmes dans la tradition ancestrale des Bahnar. Il n’y a pas de différence essentielle entre la situation juridique de l’homme et celle de la femme. Chez les Bahnar, le mode de fonctionnement démocratique existe depuis longtemps avant que la démocratie soit découverte et pratiquée en Occident. Selon l’ethnologue français feu Georges Condominas, les « sauvages » n’attendent pas Minkowski ou Einstein pour avoir la notion d’espace-temps. En employant une expression liée à l’espace, ils indiquent une date. Ils donnent approximativement l’âge de quelqu’un par rapport à un événement saillant. Ils ne détruisent pas totalement la forêt car ils savent la laisser se regénérer des années après qu’ils l’avaient mangé dix ou vingt ans auparavant comme les Mnong de Georges Condominas. Ils ne tuent pas le gibier pour le plaisir de tuer mais ils le tuent pour manger seulement et pour savoir le partager avec leurs compatriotes.
Ils ne gardent que pour eux une part infime de leur chasse. L’épandage et l’utilisation des défoliants par les Américains durant la guerre du Vietnam, le massacre des animaux pour la pharmacopée traditionnelle, la destruction de la végétation et la déforestation liées à la démographie galopante, la stérilisation de la terre par l’utilisation excessive des engrais chimiques sont l’apanage des gens dits « civilisés ». La solidarité et l’entraide ne sont pas des mots creux.
Les Bahnar sont avant tout des « rơngơi » (ou libres). Ils sont habitués à dire: « Je suis rongơi ou kodră (maître) » pour dire qu’ils sont libres du choix de leurs activités ou maîtres de leur destin. Sont -ils des « sauvages » comme on y pense depuis longtemps? C’est à chacun de nous d’approfondir cette question et de se servir de leur genre de vie et de leur culture comme source d’inspiration et de réflexion afin de nous permettre de vivre mieux et d’être ensemble dans le respect d’autrui et de la nature.