Première partie
Les Bahnar font partie du groupe Môn-Khmer de la famille ethnolinguistique austro-asiatique. Ils vivent regroupés dans la partie septentrionale des hauts plateaux du Centre Vietnam (Kontum, Gia Lai, Bình Định etc …) à l’écart des gens de la plaine qui à une certaine époque, les ont traités encore comme de sauvages ( ou Mọi en vietnamien). Cela est dû à la méconnaissance de leur culture qui conduit à entretenir cette attitude déplorable et cette vision grotesque. Même les explorateurs français ne cessèrent pas de les désigner comme des Mọi dans leurs récits d’exploration à l’époque coloniale.
Il n’y a que les ethnologues comme feu Georges Condominas ayant réussi à les reconnaître comme des gens respectueux de la nature et de l’environnement, des gens épris d’un sentiment profond en accord avec le milieu où ils habitent et où tous les êtres (plantes et animaux), monts et eaux, ont une âme comme eux. Les Bahnar vivent dans les régions montagneuses à de diverses altitudes. Ils font pousser du riz sur les champs secs ou sur les rays. (brûlis). Ceux-ci nécessitent souvent le déplacement des plantations et celui des villages car les cendres de l’essartage ne permettent pas de fertiliser la terre au delà de deux ou trois ans à cause de la pluie qui les entraîne lors de son passage. Les récoltes sont abondantes pour la première année de l’incendie.
La deuxième année commence à être moins bonne. Dans de mauvaises conditions, il est impossible de garder le champ au delà de deux ans. C’est pourquoi les Bahnar ont tendance à utiliser les champs secs qui sont aménagés souvent au bord des cours d’eau. La houe est l’outil principal utilisé dans leur agriculture mais depuis le début du XXème siècle, le recours à la charrue dans les rizières inondées est fréquent de plus en plus.
Leurs croyances religieuses et leurs mythes sont similaires à ceux des autres groupes ethniques rencontrés au Vietnam. Animistes, les Bahnar vénèrent les plantes comme les banians et les ficus. Le kapokier est considéré comme le gardien et sert de pôle de sacrifice dans la célébration des rites et des cérémonies. Chaque rivière, chaque source d’eau, chaque montagne ou chaque forêt, chacune d’elles a son propre génie (ou iang). Les Bahnar séparent les génies en deux catégories: les génies de rang supérieur et les génies de rang inférieur. Les premiers sont les dieux qui ont crée le monde et veillent sur les activités humaines. Parmi ces dieux, on peut citer Bok Kơi Dơi (Principe mâle de la nature), Iă Kon Keh (Principe femelle de la Nature ), Bok Glaih (Dieu du tonnerre et de la foudre), Iang Xơri (Génie du riz) , Iang Dak (Génie des eaux) etc… Quant à la deuxième catégorie, la plupart des génies sont des génies d’animaux, d’arbres ou d’objets parmi lesquels figurent Bok Kla (Monsieur Tigre), Roih (Éléphant), Kit drok (Crapaud), Iang Long ( Génie d’arbres) , Iang Xatok (Génie de jarre) etc…
Face à ces croyances religieuses et à ces superstitions, les missionnaires catholiques ont eu du mal au début de leur mission pour convertir les Bahnar au christianisme. Ils étaient obligés de falsifier même leurs mythes pour corroborer la bible. Les Bahnar chrétiens étaient tellement attachés à leurs croyances animistes qu’ils arrivaient à assimiler tant bien que mal le christianisme au fil des années.
Pour les Bahnar, la mort n’est pas la fin d’une vie mais c’est le commencement d’une autre dans l’au delà. L’âme que les Bahnar désignent sous le nom de pơngơl, se mue en fantôme (ou atâu en bahnar) et rejoint les ancêtres dans le monde des esprits (dêh atâu). Les Bahnar croient que l’être humain est constitué d’un corps (akao) et de l’âme pơngơl. La vie n’est possible que grâce à l’âme et non au corps. Mais l’âme est invisible pour les humains. Il n’y a que le devin qui peut la voir sous la forme d’une araignée, d’un grillon ou d’une sauterelle. Les humains ont chacun trois âmes: une âme principale importante (pơngơl xok ueh) qui doit être attachée au sommet de la tête et deux âmes complémentaires (pơngơl kơpal kol et pơngơl hadang), l’une située sur le front et l’autre dans le corps. Au cas où l’âme principale qui constitue le souffle essentiel pour l’homme quitte le corps pour une raison inconnue et ne revient pas, l’homme sera malade et sera décédé. Les âmes complémentaires sont là pour remplacer temporairement l’âme principale. C’est cette dernière qui se métamorphose en fantôme dans l’autre monde. Cet esprit (ou fantôme) a besoin de nourriture, de vêtements et même d’une maison pour se protéger contre la pluie et le soleil. C’est la conception animiste d’après laquelle le défunt continue d’avoir les mêmes besoins dans l’autre monde. C’est aussi pour cela que lors de l’enterrement du décédé, sa famille construit une hutte sur sa tombe: c’est la maison du fantôme (h’nam atâu). Pour les Bahnar, le fantôme continue à vivre dans cette hutte et à rôder dans les environs de la cimetière. Il reçoit régulièrement tous les mois une offrande de porc et de poulet de la part de sa famille. Cette période d’entretien de la tombe peut durer plusieurs mois voire des années. Elle est liée à la situation financière de la famille du décédé. Elle se termine par une cérémonie rituelle (ou cérémonie d’abandon de la tombe ) dont le but est de permettre au fantôme de rejoindre définitivement le monde des esprits (dêh atâu) et de rompre le lien du trépassé avec les vivants. Cet esprit devient ainsi un « esprit grand-père ou grand-mère » (atâu bok ja). Contrairement à des Vietnamiens, des Nùng, des Mường etc…, les Bahnar ne font pas le culte des ancêtres.
Cette cérémonie rituelle a lieu une fois par an et débute d’une manière générale à la fin de la saison des pluies. On choisit la période où il y a la pleine lune. Cette cérémonie est en quelque sorte un enterrement secondaire. Elle est préparée avec soin et joie. Elle est choisie à un jour propice par tous les chefs des familles endeuillées en concertation avec les anciens du village et elle dure habituellement trois jours et trois nuits. On trouve dans cette cérémonie trois étapes essentielles: rites de construction, d’abandon et de libération. Chaque étape correspond à un jour entier.
Dans la première étape, on se débarrasse de la hutte recouvrant la tombe et on édifie à sa place, une maison funéraire avec les matériaux de construction (bambous, bois, herbe imperata) ramassés depuis plusieurs semaines. Le premier jour de construction est appelé « dong boxàt » par les Bahnar. Le travail de construction est accompagné toujours par la danse et la musique dans une liesse indescriptible.
Dans la seconde étape, la cérémonie rituelle débute toujours le soir. C’est l’étape de l’abandon de la tombe. Pour les Bahnar, c’est nar tuk (ou jour de l’abandon). On commence à faire une offrande d’alcool et de viande au défunt dans la maison funéraire. Puis c’est au chef de famille d’entamer une prière et d’officier tandis que ses proches peuvent entrer dans la maison funéraire et se lamenter pour la dernière fois sur le départ précipité du défunt. Une fois le rite terminé, la famille du défunt doit faire sept fois le tour de la maison funéraire dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Elle est accompagnée dans cette ronde par des hommes portant sur leurs épaules une maison miniature (ou maison du fantôme) et des figurines en bois articulées de diverses tailles et actionnées par un jeu de ficelles tentant de simuler toutes les activités humaines: pilage du riz, tissage etc.. Même un couple de figurines en copulation n’est pas absent non plus. Les Bahnar prétendent que l’animation de ces figurines devant la maison du fantôme a pour but d’apporter seulement le divertissement mais certains ethnologues pensent qu’il y a certainement une autre signification en comparaison avec les coutumes des autres ethnies de la région (celles des Batak du Nord de Sumatra). La procession est accompagnée par la danse des femmes au rythme des gongs frappés par des hommes revêtus avec de beaux vêtements et portant chacun une plume dans les cheveux. Etant le point culminant de la cérémonie, cette procession est destinée à accompagner le fantôme dans le monde des esprits.