Les bronzes de Sanxingdui (Di chỉ Tam Tinh Đôi)

Version vietnamienne

Depuis la découverte d’un grand nombre d’éléments de jade par le hasard à partir  d’un coup de pioche effectué en 1929 par un fermier, suivie ensuite par les deux fouilles sacrificielles en 1986 par les archéologues chinois, Sanxingdui révèle un pan inconnu de la civilisation de Sichuan. Jusqu’alors, selon les textes chinois, la civilisation chinoise émerge seulement dans la plaine centrale dont le cœur antique reste Anyang, l’ancienne capitale des Shang. C’est dans l’historiographie traditionnelle, que Yu le Grand, (Đại Vũ) le dompteur des eaux et le fondateur de la dynastie mythique des Xia, aurait le mérite d’inventer la métallurgie dans la vallée du fleuve jaune. Désormais, les archéologues sont obligés de réévaluer leurs idées sur les premiers développements de l’âge du bronze car il y avait à cette époque  d’autres foyers de civilisation aussi originaux et contemporains des Shang.

Sichuan (Tứ Xuyên)

L’image idéale d’une civilisation chinoise issue d’Anyang (An Dương)  s’effrite depuis la découverte du site Sanxingdui car ce dernier, situé dans une périphérie barbare, révèle une culture aussi sophistiquée que celle des Shang et ignorée jusque-là par les historiens chinois et par les écrits. Selon l’expert en archéologie Task Rosen du « British Museum », la découverte de la culture de Sanxingdui semble être plus remarquable que celle des guerriers et des chevaux en terre cuite de Qin Shi Huang Di à Xian. Les quatre plaques incrustées de turquoise et trouvées dans la fosse de Sanxingdui sont très similaires à celles rencontrées dans la région d’Erlitou (province de Henan) que les archéologues ont considéré jusqu’alors comme le berceau de la culture  du bronze chinois. Cette parenté témoigne évidemment de l’échange commercial et de la transmission de savoirs techniques sophistiqués de la plaine centrale vers le Sichuan.  Cette région du cours moyen du fleuve Bleu (ou Yangzi Jiang)(Dương Tữ Giang) a joué  peut-être, selon le sinologue Alain Thote, le relais dans cette transmission. Les résultats de l’analyse isotopique du plomb dans le bronze, que ce soit celui du site Sanxingdui, de la tombe de la reine guerrière Fu Hao (Phụ Hảo) de la dynastie des Shang à Anyang (An Dương) dans la province de Henan ou de Xin’gan au Jiangxi confirment la présence irréfutable du même plomb venant de la province de Yunnan. Dans ces trois régions, la technique de fabrication est la technique de la fonte renversée dans des moules d’argile segmentés, née au XVI ème siècle avant notre ère dans la culture d’Erlitou (Période Xia?)(Nhà Hạ). Sur la base de ces résultats, on est amené à supposer que ces échanges aient été établies entre différentes régions vers le milieu du II ème millénaire avant J.C. Les interactions culturelles ne sont plus mises en doute sur une vaste étendue de la Chine ancienne. Les Shang n’étaient pas les seuls à détenir le pouvoir universel comme cela a été donné par les écrits chinois mais ils avaient des voisins aussi puissants qu’eux et avec lesquels ils échangeaient des liens plus ou moins étroits.

Situé à une quarantaine de kilomètres au nord de la capitale Chengdu (Thành Đô) de Sichuan, le site archéologique Sanxingdui, proche de la ville de GuangHan (Quãng Hán) est désigné au début comme un endroit de terre damée où se trouve la formation de trois buttes (Trois Etoiles). C’est seulement lors de la découverte des deux célèbres fosses en 1986 que les archéologues commençaient à s’intéresser à ce site qui, grâce à la fouille en 1996, se révélerait être l’ancienne occupation d’une cité remontant aux environs de 1800 avant J.C. et s’étendant sur une dizaine de kilomètres. Ces deux fosses sont situées à trente mètres l’une de l’autre et ont chacune une profondeur d’environ 1,5 m et un écart d’âge de quelques décennies (30 ans au moins). La première contient un total de 420 objets, des fragments d’os carbonisés, de défenses d’éléphants, de coquillages marins (cauris) etc… tandis que dans la deuxième il y a non seulement un nombre de pièces trois fois plus important (1300 environ) mais aussi des pièces imposantes (une gigantesque statue verticale et mince  en bronze, , des arbres sacrés en bronze et des masques anthropomorphes). Aucun ordre précis n’est établi lors du dépôt de ces pièces. Par contre ces offrandes regroupées par catégories d’objets, ont été brisées et brûlées volontairement en grande partie dans les fosses. Parmi les trouvailles archéologiques du site Sanxingdui, les plus beaux éléments restent la statue d’un personnage monumental haut d’environ 1,71 m et debout sur un socle à décor masqué (constitué de quatre masques têtes d’animaux  renversés)  et portant selon certains archéologues, dans ses mains disproportionnées, soit un ou des objets de forme cylindrique soit une défense d’éléphant et un arbre des esprits en bronze brisé, pouvant atteindre 4 m de haut dans sa reconstitution et relatant le culte du soleil.

Mais ce sont plutôt les masques saisissants de bronze qui retiennent l’attention des archéologues lors la fouille de la fosse sacrificielle n°2 car ces têtes de bronze ont chacune un aspect plus grotesque que les figures humaines, de grandes oreilles d’éléphants, un nez droit, un visage carré,  une bouche étroite occupant la largeur du visage  et des yeux un peux exagérés  ayant la forme de la graine de  l’amande. On en a retrouvé treize  au total au moment de la découverte de cette fosse.

Contrairement aux Shang laissant des inscriptions sur leurs bronzes, le site de Sanxingdui n’a donné aucune trace écrite. Les archéologues ont été contraints de lui attribuer méthodiquement le caractère profondément religieux et sacrificiel. Leur justification s’appuie d’abord sur un faisceau dense de croyances à travers les masques, les créatures hybrides entre l’homme et la bête, les dragons, les hommes-oiseaux, les objets rituels trouvés dans les fosses, puis sur l’absence d’ornements et l’état des offrandes délibérément détruites et rendues inutilisables et surtout sur le tassement de la terre de remblai en plusieurs couches marquant l’intention de vouloir sceller pour toujours  ce site. Selon Niannian Fan, un scientifique spécialisé dans l’étude des rivières à l’université de Sichuan (Chengdu), le site Sanxingdui a été enseveli par le glissement du terrain dû à la montée et descente hâtive du lit de la rivière Minjiang lors d’un séisme majeur ayant eu lieu il y a plus de 3000 ans. Niannian Fan tente de conforter son hypothèse en trouvant dans les anciens écrits historiques, un catastrophe majeur survenu en 1099 dans la capitale des Zhou (Shaanxi). Pour lui, les habitants de Sanxingdui furent obligés de transférer à cette époque leur cité à Jinsha, distant de 50 km de Sanxingdui et situé sur les berges de la rivière Modi. Malgré cela, l’hypothèse du séisme et du glissement du terrain n’est pas très convaincant car il ne peut pas expliquer les raisons pour lesquelles les objets rituels ont été cassés délibérément avant d’être jetés dans les fosses de Sanxingdui à l’époque où ce dernier fut abandonné.

Selon le sinologue français Alain Thote, du fait de ses débordements, la rivière traversant  le site était certainement responsable de la disparition d’une partie des vestiges située  au coeur de la cité Sanxingdui. Outre les raisons inconnues de l’abandon précipité  du site Sanxingdu et de son futur remplacement par le site Jinsha découvert en 1996 dans la banlieue ouest de Chengdu, la découverte continue à être empreinte de mystère et éveiller l’intérêt et la soif de la connaissance de la vérité. Certains objets ont trouvé une explication probante, d’autres restant en suspens jusqu’à aujourd’hui. Depuis longtemps, on a cru que le royaume de Shu (Thục Quốc) appartenait à la légende mais la découverte de Sanxingdui révèle désormais non seulement son existence datant d’au moins de 5000 ans à 3000 ans mais aussi la complexité de ses rites à travers ses artefacts fascinants et étranges. Ceux-ci sont principalement les têtes humaines fabriquées dans un système très élaboré de conventions propres à l’art de Sanxingdui dans le but de les mettre à distance par rapport au monde réel et  d’éviter de refléter exactement ce dernier. Par contre, aucun souci d’individualisation n’est trouvé dans toutes ces têtes. La fosse n°1 contenait 13 têtes humaines en bronze tandis que dans la deuxième fosse, il y avait quarante quatre dont quatre étaient partiellement recouvertes d’une feuille d’or. De faible épaisseur, celle-ci était découpée et incisée ou martelée selon une technique proche du repoussé. Sa présence est décelée soit sur les ornements de l’arbre en bronze, soit sur les masques ou sur une canne longue de 142 cm dans les deux fosses de Sanxingdui et sur le site de Jinsha. En l’état des connaissances des archéologues,  les feuilles d’or associées aux objets rituels étaient à la fois minces,  légères et assez peu décorées. De plus, l’or n’était pas fondu à la cire perdue. Ce matériau précieux provenait probablement des gisements aurifères de Sichuan connue autrefois comme une région riche en ressources minières. C’est l’une des caractéristiques de l’art de Sanxingdui car l’or n’était pas utilisé encore à la fin du IIème millénaire avant notre ère à la capitale Anyang des Shang contemporains dans leur art.

Lame de cérémonie zhang (Nha chương)

Connues sous le nom de « zhang », les lames en jade ou taillées dans des pierres ayant l’aspect du jade se terminent   en une ou deux pointes et constituent la deuxième caractéristique trouvée dans l’art de Sanxingdui. Leur possession témoigne de l’appartenance à un certain rang dans la société de Sanxingdui. Elles semblaient revêtir à cette époque, une importance particulière dans les cérémonies rituelles réservées aux élites de Sanxingdui.   Ces dernières devaient s’en servir en les prenant à deux mains en avant de leur poitrine, dans une attitude déférente en présence du roi ou dans un geste d’offrande devant les dieux. Selon le sinologue Alain Thote, rien n’est  permis de trancher encore entre ces deux théories.

Leur emploi connut un succès inouï révélé à Sanxingdui par la multitude des formes et l’enrichissement du décor finement incisé à l’aiguille. Cela témoigne incontestablement de la volonté de développer une recherche esthétique très poussée et de la créativité originale dans leur réalisation par rapport aux zhang trouvés en Chine du Nord et du Centre. Pourtant, selon l’étude de la carte des découvertes, associée à une analyse chrono-typologique, on sait que cette pièce est originaire  de la Chine du Nord et elle est absente sur les sites de la région du cours moyen du fleuve Bleu. Cela conforte l’hypothèse d’une transmission directe de cet objet rituel, de la plaine centrale à Sichuan au cours du deuxième millénaire pour laisser à la fin de sa diffusion, aux élites de Sanxingdui,  la prééminence d’en faire un très large usage.

[Les bronzes de Sanxingdui: Partie 2(Suite)] 


Références bibliographiques

Re-examination of the artifact pits of Sanxingdui. Shi Jingsong. Chinese archeology
New research exploring the origins of Sanxingdui. Rowan Flad. Backdirt 2008
Art et archéologie de la Chine impériale. Alain Thote, Robert W. Bagley. Livret annuaire 2002-2003-2004, pp 362-369
La redécouverte de la Chine ancienne. Corinne Debaine-Francfort. Découvertes Gallimard.


 

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