Sống sao không thẹn với đời
Chết sao để tránh ngàn lời mĩa mai
Sống vỉ thế hệ tương lai
Chết vì đất nước tù đày không than
Hommage à Nguyễn An Ninh
à travers mes quatre vers en Six-Huit
Comment faut-il vivre pour n’éprouver aucune honte avec cette vie?
Comment faut-il mourir pour ne pas recevoir des milliers de blâmes?
Vivre pour les futures générations
Mourir pour la patrie sans se plaindre un jour dans la prison.
mort à Poulo Condor
Devant le refus catégorique de Nguyễn An Ninh de se repentir et devant la situation alarmante provoquée par le débarquement imminent de l’armée japonaise en Indochine en 1943, son geôlier, le directeur du bagne de Poulo Condor, Mr Tisseyre décida d’éliminer ce prisonnier encombrant, malade et potentiellement dangereux à ses yeux car les Japonais pourraient s’en servir plus tard comme un pion sur l’échiquier indochinois.
Nguyễn An Ninh, depuis son retour au Viêt-Nam, devint non seulement. au fil des années, l’idole de la jeunesse vietnamienne mais aussi l’un des leaders les plus écoutés et les plus respectés auprès des intellectuels vietnamiens en Cochinchine. Même durant son emprisonnement au bagne de Poulo Condor, il fut le seul à recevoir l’estime de tous les prisonniers politiques que ce soit communistes, nationalistes, trotskistes ou autres etc … et à ramener la paix en cas de débats houleux ou d’altercations.
Comment un jeune homme comme Nguyễn An Ninh arriva-t-il à devenir la bête noire des autorités coloniales? Pourtant il n’avait pas l’intention de recourir au début à la violence comme les nationalistes de Nguyễn Thái Học ou les communistes. Il ne vivait que de sa plume avec le journal intitulé « La Cloche Fêlée » dont le directeur était son ami de longue date, un Français de nom Eugène Dejean de la Bâtie. Il avait le tort d’oser revendiquer à cor et à cri pour ses compatriotes la liberté d’expression et les droits élémentaires dont il avait bénéficié pleinement durant ses années d’études à la Sorbonne à Paris et qui faisaient défaut jusqu’alors au Viêt-Nam par ses critiques acerbes et sans ménagement et ses analyses succinctes dans son journal. Il ne cachait pas non plus la sympathie qu’il avait eue toujours pour le leader Phan Chu Trinh, un ami de longue date de son père Nguyễn An Khương. Il était aussi l’auteur de la traduction en vietnamien de l’ouvrage « Le contrat social » de Jean Jacques Rousseau. Par le biais des séminaires et des débats publiques, il réussit à provoquer une prise de conscience collective de tous les jeunes intellectuels vietnamiens des années 1920-1940 qui étaient jusque-là endormis au Sud-Vietnam par un semblant de bonheur, de liberté et de justice crée par les autorités coloniales. Ces jeunes intellectuels ne se préoccupaient jusqu’alors que des sujets universellement humains: amour, famille, tristesse des séparations etc …
Bien qu’ils côtoyassent souvent le milieu rural, ils ne se posaient jamais des questions sur tout ce qui touchait de près ou de loin à ce dernier. Ils n’ignoraient rien de la pauvreté périurbaine mais sans jamais y vivre. Bien qu’ils ne fussent pas issus de la bourgeoisie latifundiaire ou des fils des collaborateurs, ils nourrissaient tous leur rêve de devenir fonctionnaires. De son retour au Viêt-Nam en 1922, au lieu d’être rentré dans ce moule traditionnel comme les autres jeunes de son âge, de sa génération, Nguyễn An Ninh, ce jeune homme de 22 ans, à la chevelure bombée, licencié en droit à la Sorbonne, fit le chemin inverse en prônant la méthode du poète indien Tagore. Celui-ci pensa qu’il était possible d’obtenir l’indépendance sans effusion de sang auprès des Anglais par le biais de redressement du niveau intellectuel du peuple indien. C’était pour cela qu’il n’hésita pas à donner avec l’aide de quelques amis une série de débats sur les thèmes tels que » Une culture pour les Annamites », « L’idéal de la jeunesse Annamite » etc… , ce qui provoqua dès lors des remous visibles dans un havre de paix établi par le gouverneur de la Cochinchine, Mr Cognacq.
Il fut l’instigateur de plusieurs pétitions réclamant non seulement la liberté d’expression mais aussi la liberté d’enseignement et la liberté de presse pour les autochtones. C’était un souci non négligeable pour ce gouverneur car à travers ses discours toniques, Nguyễn An Ninh arriva à mobiliser et à électriser la jeunesse intellectuelle du Sud Viet-Nam, à semer un doute auprès des intellectuels vietnamiens ayant une confiance totale jusque là dans le système d’enseignement français en Indochine. Cognacq fut obligé de réagir car chaque discours animé par Nguyễn An Ninh donna l’occasion de mobiliser de plus en plus des gens. Cognacq n’hésita pas à lui rappeler plusieurs fois qu’il y avait encore de la place au bagne de Poulo Condor pour les gens récalcitrants comme lui. Par contre, il pourrait accéder à un poste important dans l’administration coloniale s’il renonçait à cette aventure suicidaire. Malgré ce rappel empreint de menaces, Nguyễn An Ninh continua à persévérer dans cet engagement politique, ce qui obligea les autorités coloniales de l’emprisonner à maintes reprises. Son premier internement fut écourté grâce à l’intervention énergique de plusieurs personnalités françaises de cette époque, en particulier celle de Romain Rolland, prix Nobel de la littérature en 1915 auprès des autorités coloniales.
Dès lors, Nguyễn An Ninh devint non seulement un habitué de la prison mais un homme à abattre pour les autorités coloniales. Ayant pris conscience de l’impossibilité de réclamer auprès des autorités coloniales les droits élémentaires par des voies pacifiques, il ne tarda pas à s’engager secrètement dans une lutte armée. Il devint ainsi le leader du parti « Espoirs de la Jeunesse ( Ðảng Thanh Niên Cao Vọng ) » ayant réussi à avoir plus de 7000 adhérents durant son existence et ayant pour but de redistribuer la terre aux pauvres paysans en 1927.
Sa renommée lui permit de se lier d’amitié avec les jeunes dirigeants des autres mouvements politiques, en particulier avec le trotskiste Tạ Thu Thâu, le journaliste Hồ Hữu Tường, le jeune avocat Trịnh Ðịnh Thảo, la jeune communiste Nguyễn Thị Minh Khai etc…
Il était contacté à maintes reprises par les communistes et par les nationalistes de Nguyên Thái Học pour lui demander de rejoindre leur mouvement mais il prit le prétexte d’être surveillé étroitement par les autorités coloniales pour refuser avec courtoisie leur proposition. Plus proche des communistes dans les idées et la lutte, il sut montrer pourtant sa différence. Il ne cacha jamais qu’il avait toujours en lui les idées de Jean Jacques Rousseau et de Diderot. Il aima à être au dessus de toutes les mêlées et des rivalités politiques et se considéra avant tout comme un intellectuel vietnamien au service de la nation.
Profitant de la confusion politique provoquée en France par la dissolution du parti communiste français par le président Edouard Daladier (25 Septembre 1939) et du manque de soutien que Nguyễn An Ninh avait eu jusque-là auprès des intellectuels français, les autorités coloniales ne tardèrent pas à mettre la main sur Nguyễn An Ninh et l’envoyer expéditivement au bagne de Poulo Condor en le taxant d’être le fauteur de troubles et l’instigateur des révoltes paysannes.
Très peu de vietnamiens osaient parler de ce bagne sans émoi. Il s’agit bien d’un archipel de 14 îlots situé à 180 km au large, accessible depuis Vũng Tàu (ex Cap Saint Jacques) en douze heures de bateau. Lors de son passage à la fin du XIIIe siècle, Marco Polo nota que l’île de Côn Son, la plus grande des 14 îles était inhabitée. L’archipel de Poulo Condor fut l’objet de litiges séculaires entre les Vietnamiens, les Khmers et les Malais. Il fut découvert un beau matin, le 28 Novembre 1861, par le lieutenant de la marine royale française de Napoléon III, Lespes Sébastien Nicolas Joachim. Il devint ainsi français durant l’époque coloniale et se distingua par ses célèbres pénitenciers. C’était un passage obligé pour ceux qui osaient parler de la politique sur cette terre des légendes durant la période coloniale. On trouva non seulement parmi les pensionnaires du bagne des communistes célèbres comme Phạm Văn Ðồng, Lê Duẫn,Tôn Ðức Thắng, Nguyễn Văn Tạo, mais aussi des nationalistes, des trotkistes et des partisans du « Grand Viêt-Nam ( Ðại Việt ) « ..
Mais Nguyễn An Ninh resta le seul leader capable d’annihiler toutes les discussions houleuses entre ces protagonistes. Pour se détendre dans la cellule, Ninh composa beaucoup de poèmes mais le plus célèbre restait le suivant trouvé dans sa poche au moment de son enterrement par ses compagnons de prison:
Sống và chết
Sống mà vô dụng sống làm chi
Sống chẳng lương tâm, sống ích gì
Sống trái đạo người, người thêm tủi
Sống quên ơn nước , nước càng khi
Sống tai như điếc, lòng đâm thẹn
Sống mắt dường đui dạ thấy kỳ
Sống sao nên phải cho nên sống
Sống để muôn đời, sử tạc ghi…
….. ….
Chết được dựng hình tên chẳng mục
Chết đưa vào sử chữ không phai.
Chết đó, rõ ràng danh sống mãi
Chết đây, chỉ chết cái hình hài
Chết vì Tổ Quốc, đời khen ngợi
Chết cho hậu thế, đẹp tương lai
Vivre et Mourir
Vivre inutile, ce n’est plus la peine de vivre
Vivre sans conscience, ce n’est plus utile de vivre
Vivre immoral, on se sent plus pitoyable
Vivre sans patrie, on se sent plus méprisable
Vivre sourd aux cris d’injustice, on se sent éprouver de la honte intérieure
Vivre en aveugle, on se sent très gêné
Vivre comment pour se montrer digne de vivre
Vivre comment pour être mémorisé par l’histoire
Mourir c’est avoir une statue érigée et un nom qui ne se décompose pas avec le temps
Mourir c’est laisser dans l’histoire des lettres indélébiles.
Mourir de cette manière c’est faire vivre éternellement le nom
Mourir ici, c’est laisser mourir seulement son corps
Mourir pour la Patrie, c’est mériter de recevoir des louanges pour toujours
Mourir pour la postérité, c’est vouloir rendre radieux l’avenir.
Sa mort pourrait être inaperçue s’il n’y avait pas le contrôle du gardien de prison Rognon. Celui-ci vérifia par hasard le sac contenant les corps des prisonniers décédés la veille (14 Aout 1943) et prévu pour la descente dans la morgue. Saisi par la pitié et par l’admiration qu’il avait eue toujours pour Nguyễn An Ninh, il décida d’alerter Mr Tisseyre, le directeur du bagne et demanda à ce dernier de pouvoir enterrer Nguyễn An Ninh avec un cercueil. Mais il ne savait pas que Nguyễn An Ninh fut liquidé sur l’ordre de Tisseyre avec une piqûre d’arsenic. C’était pourquoi Tisseyre, gêné par cette suggestion, n’hésita pas à rappeler à Rognon qu’il commença à s’intéresser à des affaires qui ne le concernaient pas. Alertée par la mort de son ami Nguyễn An Ninh qu’elle avait connu à l’époque où elle avait été encore une jeune étudiante à la Sorbonne, la femme du directeur de la compagnie d’électricité à Poulo Condor, Mme Charlotte Printannière insista longuement auprès de Tisseyre pour que Nguyễn An Ninh fût enterré avec dignité. Face au traitement inhumain de Tisseyre, elle fut obligée de lui dire avec énervement:
Une personne comme lui mérite d’être respectée lorsqu’il s’agit d’un Vietnamien patriote. Vous ne perdez rien si vous l’enterrez comme il faut. Par contre, vous serez apprécié pour votre générosité. Pour quelle raison continuez-vous à nous empêcher de montrer notre admiration envers ce révolutionnaire authentique? Qui ose dire dans l’avenir que vous serez toujours le vainqueur?
Malgré cette remarque, Tisseyre resta impassible. Il laissa le corps de Nguyễn An Ninh dans un état lamentable avec ses vêtements en lambeaux. Il fut enterré le lendemain à Hàng Keo par ses compagnons de prison. Quant à Mme Charlotte Printanière, elle fut rappelée quelques jours plus tard à Saigon et fut interdite de séjour dans l’île. Sa remarque devint une prophétie quelques années plus tard. Tisseyre fut emprisonné à son tour par l’armée japonaise et fut condamné à 20 ans de prison par le tribunal militaire du Général De Gaulle pour sa lâcheté de capituler sans conditions devant l’armée japonaise.
Par le biais de Tisseyre, les autorités coloniales réussirent à tuer Nguyễn An Ninh. Mais ils oublièrent la phrase que Nguyễn An Ninh avait bien rappelée dans son poème « Vivre et Mourir ». Mourir ici, c’est laisser mourir seulement son corps. Effectivement, Ninh était parti pour toujours mais il y avait d’autres Ninh qui venaient prendre sa place et le flambeau de la lutte. Depuis la nuit des temps, l’histoire nous avait appris qu’on pouvait éliminer toujours les instigateurs des révoltes mais il était impossible d’extirper leurs idées, en particulier celles ayant trait à la défense d’une cause juste et légitime.
Nguyễn An Ninh était non seulement la personne ayant une influence notable sur les intellectuels du Sud-Vietnam dans les années 1920-1940 mais aussi la personne capable de réveiller une génération. C’était le jugement de l’historien Daniel Héméry dans son ouvrage « Saigon 1925-1945 » paru en 1972 à Paris.
Nguyễn An Ninh était non seulement un Vietnamien patriote mais un militant révolutionnaire vaillant qui s’était battu pour la Patrie et pour le Peuple jusqu’au dernier souffle de sa vie. Ce sont les termes employés par Phạm Văn Ðồng pour rendre hommage à Nguyễn An Ninh dans le journal Saigon libéré paru le 14 Aout 1993 et portant le numéro 571. De son vivant, Ngô Ðình Diệm, l’ex-président de la République du Viêt-Nam, n’oublia pas non plus ce que Nguyễn An Ninh avait fait pour la nation en donnant à la rue d’Amiral Courbet qui est proche du marché central Bến Thành le nom Nguyễn An Ninh et en rénovant sa tombe à l’île Poulo-Condor.
Rien n’est étonnant de voir Nguyễn An Ninh réussir à recevoir encore après tant de décennies les approbations unanimes de toutes les tendances politiques vietnamiennes. Il est considéré toujours par ses compatriotes comme un intellectuel vietnamien au service de la nation. Il eut la possibilité de s’enrichir à cette époque avec son diplôme, de se ranger du côté des plus forts dans les moments difficiles de l’histoire du Viêtnam mais il préféra choisir une autre voie, celle de partager avec son peuple les malheurs et d’engager un combat politique courageux en quête de la liberté.
Combien d’hommes politiques vietnamiens ont-ils encore cet idéal?