Royaume du Founan (Vương quốc Phù Nam)

founan

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Jusqu’à l’aube du XXème siècle, on fut renseigné seulement  sur cet ancien royaume hindouisé  dans quelques écrits chinois. Il fut mentionné d’abord à l’époque des Trois Royaumes Combattants (220-265) dans un texte chinois lors de l’établissement des relations diplomatiques des Wu (Đông Ngô en vietnamien ) avec les pays étrangers. Dans ce rapport, on nota que le gouverneur du Guandong et du Tonkin, Lu-Tai envoya des représentants (congshi) au sud de son royaume. Les rois au-delà des frontières de son royaume (Founan, LinYi (futur Champa) et Tang Ming (pays identifié au nord du Tchenla à l’époque des Tang)) envoyèrent chacun un ambassadeur pour lui payer un tribut. Puis Founan était cité aussi dans les annales dynastiques des Tsin (nhà Tấn) jusqu’aux Tang (Nhà Đường).

De même, le nom du Founan est la transcription phonétique de l’ancien mot khmer bhnam (montagne) en caractères chinois. Cela suscite quand même des réserves et des réticences dans l’interprétation du mot « Founan » par « montagne » pour certains spécialistes. Ceux-ci trouvent mieux la justification du mot Founan dans le sens de « tertre » car jusqu’à une époque récente, dans les études ethnographiques [Martin 1991 ; Porée-Maspero 1962-69] les Khmers avaient l’habitude de pratiquer des cérémonies autour des tertres artificiels. Les Chinois frappés par cette coutume qu’ils ne connaissaient pas ont fait allusion à ce mode de pratique pour désigner ce royaume. C’est grâce aux fouilles archéologiques entamées par Louis Malleret en 1944 à Oc eo dans la province An Giang du sud du Vietnam actuel, que l’existence et la prospérité de ce royaume indianisé» ne furent plus mises en doute. Les résultats de ces fouilles étaient apparus dans sa thèse de doctorat, puis publiés dans un ouvrage intitulé « Archéologie du delta du Mékong » et composé de 6 tomes.

Cela permet de corroborer les données chinoises et de les rendre un peu plus précises dans le confinement et la localisation de ce royaume. En raison de l’abondance des trouvailles archéologiques en étain, l’archéologue français Louis Malleret n’hésitait pas à emprunter le nom Óc Eo pour désigner cette civilisation de l’étain. On commence à avoir désormais une vive lumière sur ce royaume ainsi que sur ses relations extérieures lors de la reprise des campagnes de fouilles menées tant par des équipes vietnamiennes( Đào Linh Côn, Võ Sĩ Khải, Lê Xuân Diêm ) que par l’équipe franco-vietnamienne dirigée par Pierre-Yves Manguin entre 1998 et 2002 dans les provinces An Giang, Đồng Tháp et Long An où se trouve un grand nombre de sites de culture Óc Eo. On sait que Óc Eo était un grand port de ce royaume et une plaque tournante dans les échanges commerciaux entre la péninsule malaisienne et l’Inde d’une part et entre le Mékong et la Chine d’autre part. Comme les bateaux de la région ne pouvaient pas couvrir de longues distances et devaient suivre la côte, Óc Eo devint ainsi un passage obligatoire et une étape stratégique durant les 7 siècles de floraison et de prospérité du royaume du Founan. Celui-ci occupait un quadrilatère compris entre le golfe de Thailande et le Transbassac (plaines occidentales du delta du Mékong ou miền tây en vietnamien) dans le sud du Vietnam. Il était délimité au nord-ouest par la frontière cambodgienne et au sud-est par les villes de Trà Vinh et de Sóc Trăng. Des photos aériennes prises par les Français dans les années 1920 révélaient que Founan était un empire maritime (ou une thalassocratie).

Ceinturées par des lignes successives de remparts de terre et de fossés remplis jadis par des crocodiles, d’immenses cités états étaient divisées en quartiers par la ramification des canaux et des artères, nous disaient les auteurs chinois. On peut imaginer les maisons et les magasins sur pilotis bordés de navires comme à Venise ou dans les villes hanséatiques. On découvre dans cet étonnant réseau constitué par les étoiles de canaux rectilignes disposées selon la trame nord-est/sud-ouest (du Bassac vers la mer) et communiquant toutes les unes avec les autres, le rôle important d’évacuation des crues de Bassac vers la mer, ce qui permet de laver les sols alunés, refouler les avancées des eaux saumâtres lors des crues du Bassac, favoriser la culture du riz flottant et assurer surtout le ravitaillement par l’acheminent, à l’intérieur du royaume, des cargaisons de cabotage venant de Chine, de Malaisie, de l’Inde et même du pourtour méditerranéen. La découverte des monnaies d’or à l’effigie d’Antonin le Pieux, datant de 152 ap. J.C. ou de Marc Aurèle  et des bas-reliefs des rois perses témoigne du rôle important de ce royaume dans les échanges commerciaux au début de l’ère chrétienne. Il y a même un grand canal permettant de relier sa ville portuaire Óc Eo d’une part à la mer et d’autre part au Mékong et à la ville ancienne d’Angkor Borei située à 90 km en amont dans le territoire cambodgien. Celle-ci serait vraisemblablement la capitale du Founan à son déclin.

Pour l’archéologue français Georges Coedès, il ne fait aucun doute que l’emplacement d’Angkor Borei correspond exactement à celui de Na-fou-na, décrit dans les textes chinois comme la ville où se retirèrent les rois fouanais après leur éviction de l’ancienne capitale du Founan, Tö-mu, identifiée comme la ville Vyàdhapura et localisée dans la région de Bà Phnom du territoire cambodgien par Georges Coedès [BEFEO, XXVIII, p.127]. La richesse de ce site archéologique et la variété des vestiges archéologiques qui en proviennent corroborent son affirmation.

Grâce à des objets mis au jour lors de toutes les campagnes de fouilles sur le complexe de sites de Óc Eo, on peut dire que ce royaume connut trois périodes importantes durant son existence :
La première période qui s’étend du Ier au III ème siècle environ se distingue par des terres cuites (poteries en céramique, briques, tuiles), la verrerie (perles et colliers), l’orfèvrerie en or (bagues, boucles d’oreilles), des pierres gravées (sceaux, bagues à chaton, cabochons), d’objets en cuivre, fer, bronze et surtout en étain. 

On assiste à la première occupation humaine sur des tertres dans la plaine de Óc Eo et sur les basses pentes du mont Ba Thê. L’habitat est sur pilotis et en bois. La sépulture en jarre, fréquente dans l’Asie du Sud est pratiquée encore. Le processus de l’indianisation n’est pas encore entamé par l’absence de statuaires et de reliques religieuses. Mais il y a quand même un contact régulier entre ce royaume et l’Inde.

L’échange commercial est renforcé par des alliances locales et l’arrivée des maîtres indiens. Ceux-ci, retenus plus longtemps pour leurs séjours dans ce royaume à cause de la saison des moussons, continuaient à pratiquer leurs religions (brahmanisme, bouddhisme). Ils commençaient à faire des émules parmi les indigènes et à aider ces derniers dans la mise en place d’un réseau hydraulique permettant de drainer la plaine jusqu’alors hostile et inondée et de la rendre « utile » pour l’habitat, la culture et l’aménagement de leur royaume. Les Indiens étaient connus pour réaliser à bon escient les travaux d’hydraulique agricole et de mise en culture. C’est ce qu’on a vu dans le pays tamoul sous les Pallava par exemple.

La culture du riz flottant est attestée par les traces d’utilisation de cette graminacée comme agent dégraissant pour les poteries. Pour le chercheur du CNRS J.Népote, spécialiste de la péninsule indochinoise, le royaume du Founan tirait l’essentiel de ses ressources agraires dans la technique du riz flottant.

Il n’était pas nécessaire de cultiver la terre ni de l’ensemencer et encore moins de repiquer les plants de riz à cette époque du fait que la frange côtière du Founan était une zone de polders inondable. Le riz poussait tout seul en même temps que le niveau de l’eau, celui-ci pouvant atteindre trois mètres de hauteur. Le riz était ensuite récolté par les barques. Pour la culture du riz flottant, la seule contrainte exigée était la diffusion et la régulation des inondations par le creusement des canaux afin de pouvoir mieux gérer l’eau d’irrigation et faciliter les moyens de communication.

Art du Fou-nan VIème siècle après J.C. 

Terre cuite, polychromie moderne

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La deuxième période de l’histoire du Founan (IVème –VIIème siècles) est marquée par la découverte d’un grand nombre de monuments religieux vishnouites et bouddhiques sur les tertres de la plaine Oc Eo et sur les flancs du mont Ba Thê. Les figures emblématiques du panthéon indien (Shiva, Vishnu, Brahma, Nanin, Ganesha et Bouddha) ont été mises au jour. C’est aussi la période où l’habitat en bois sur pilotis se déplace des tertres vers la plaine inondable et vers les basses pentes du mont Ba Thê.

L’indianisation du royaume était en marche lorsqu’on vit vers 357, un Indien de nom chinois Tchou Tchan-t’an, peut être d’origine scythe et de souche même de Kanishka, régner au royaume du Founan [ Le Founan : Paul Pelliot, p 269], ce qui pourrait expliquer le succès du culte de Surya et de son iconographie dans l’art fouannais. Un autre brahmane de nom chinois (Kiao-Tchen-Jou) (ou Kaundinga-Jayavarma) lui succédera et régnera sur le Founan entre 478 et 514. C’est la période assez connue grâce à des inscriptions locales en sanskrit.

Même le mythe de la fondation du royaume vient des Indes: Un brahmane du nom de Kaundinya guidé par un songe procure un arc magique dans un temple et navigue vers ces rives où il réussit de battre la fille de nom Soma du souverain indigène présenté comme le roi naga (un serpent fabuleux) puis il l’épouse pour gouverner ce pays. On peut dire que durant cette période, le royaume du Founan connut son apogée et entretint des relations suivies avec la Chine.

L’ampleur de son commerce fut incontestable par la découverte d’un grand nombre d’objets autres qu’indiens trouvés sur les rives du Founan: fragments de miroirs en bronze datant de l’époque des Han antérieurs, statuettes bouddhiques en bronze attribuées aux Wei, un groupe d’objets purement romains, des statuettes de style hellénistique en particulier une représentation en bronze de Poséidon. Ces objets étaient échangés probablement contre des marchandises car les Founanais ne connaissaient que le troc. Pour l’achat des produits de valeur, ils se servaient des lingots d’or et d’argent, des perles et des parfums. Ils étaient connus comme d’excellents bijoutiers. L’or était finement travaillé avec de nombreux symboles brahmaniques. Les bijoux (boucles d’oreilles en or au fermoir délicat, admirables filigranes d’or, perles de verre, intailles etc… ) exposés dans les musées de Đồng Tháp, Long An et An Giang témoignent non seulement de leur savoir-faire et de leur talent mais aussi de l’admiration des Chinois dans leurs récits durant leur contact avec les Founanais.

La dernière période correspond à la décadence et à la fin du royaume du Founan. Un important changement a été signalé durant la période tcheng-kouan (627-649) au royaume du Founan dans les annales chinoises. Le royaume de Tchen-la (Chân Lạp)( futur Cambodge) situé au sud-ouest du Lin Yi ( futur Champa) et pays vassal de Founan s’empara de ce dernier et le soumit. Ce fait a été rapporté non seulement dans la nouvelle histoire des Tang (618-907) de l’historien chinois Ouyang Xiu mais aussi sur une inscription inédite de Sambor-Prei Kuk dans laquelle on félicita le roi du Tchen La Içanavarman d’avoir grandi le territoire de ses parents. On assiste alors à l’abandon des sites d’habitat et religieux de la plaine Óc Eo car le centre de gravité de la nouvelle formation politique venant du Nord s’éloigne de la côte pour s’approcher progressivement du site de la future capitale de l’empire khmer, Angkor. Pour le chercheur J. Népote, les Khmers venus du Nord par le Laos apparaissent comme des bandes germaniques vis-à-vis de l’empire romain, tentent de constituer à l’intérieur des terres un royaume unitaire connu sous le nom de Chen La. Ils ne trouvent aucun intérêt de garder la technique de la culture du riz flottant car ils vivent loin de la côte. Ils tentent de combiner leur propre maîtrise des retenues d’eau avec les apports de science hydraulique indienne (les barays) pour mettre au point à travers de multiples tâtonnements une irrigation mieux adaptée à l’écologie de l’arrière- pays et aux variétés locales du riz irrigué. 

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Collier en perles de verre de la culture Óc Eo.

Malgré les découvertes récentes confirmant l’existence de ce royaume, de nombreuses questions sont restées sans réponse. On ne sait pas qui étaient les populations autochtones peuplant ce royaume. On est sûr d’une seule chose: ils n’étaient pas des Vietnamiens arrivés seulement dans le delta du Mékong au XVIIème siècle. Étaient-ils des ancêtres des Khmers ? Certains ont eu cette conviction à l’époque où Louis Malleret entama des fouilles dans les années 40 car la toponymie de la région était totalement khmère. Au temps de Founan, on ne savait pas encore très bien qui ils sont. Par contre grâce à l’étude des vestiges osseux des Cent-Rues (dans la presqu’île de Cà Mau), on a affaire à une population très proche des Indonésiens (ou Austro-asiatiques) (Nam Á).

Un apport môn-khmer dans le nord de ce royaume peut être envisageable pour donner à Founan la juxtaposition et la fusion de deux strates qui ne sont guère éloignées l’une de l’autre avant de devenir la race founanaise. Dans cette hypothèse fréquemment admise, les Founanais étaient les proto-Khmers ou les cousins des Khmers. L’absorption d’une cité de la péninsule Malaise (connue sous le nom Dunsun dans les sources chinoises qui rapportent ce fait) au IIIème siècle par Founan dans une zone où l’influence môn-khmère est indéniable, est l’un des éléments déterminants en faveur de cette hypothèse.

Dans quelles conditions Óc Eo a-t-elle disparue ? Pourtant Óc Eo joua un rôle économique important dans les échanges commerciaux durant les sept premiers siècles de l’ère chrétienne. Les archéologues continuent à rechercher les causes de la disparition de cette ville portuaire: inondation, incendie, déluge, épidémie etc…

Galerie des photos de la civilisation Óc Eo

 

 

Le royaume du Founan est–il un état unifié avec un pouvoir central fort ou est-il une fédération de centres de pouvoir politique urbanisés et suffisamment autonomes sur la péninsule indochinoise comme sur la péninsule malaise pour qu’on les qualifie de cités-états ?

P.Y.Manguin a déjà soulevé cette question lors d’un colloque organisé par le Copenhagen Polis centre sur les cités-états de l’Asie du Sud-Est côtière en décembre 1998. Où est sa capitale si le pouvoir central est fortement souligné maintes fois par les Chinois dans leurs textes? Angkor Borei, Bà Phnom sont –elles vraiment les anciennes capitales de ce royaume comme cela a été identifié par Georges Coèdes ? Pour le moment, ce qui a été trouvé n’apporte pas des réponses mais cela fait redoubler seulement l’envie et le désir des archéologues de les trouver dans les années à venir car ils ont le sentiment d’avoir affaire à une brillante civilisation du delta du Mékong.


Références bibliographiques

Georges Coedès: Quelques précisions sur la fin du Founan, BEFEO Tome 43, 1943, pp1-8
Bernard Philippe Groslier: Indochine, Editions Albin Michel, Paris 
Lê Xuân Diêm, Ðào Linh Côn,Võ Sĩ Khai: Văn Hoá Oc eo , những khám phá mới (La culture de Óc Eo: Quelques découvertes récentes) , Hànôi: Viện Khoa Học Xã Hội, Hô Chí Minh Ville,1995 
Manguin,P.Y: Les Cités-Etats de l’Asie du Sud-Est Côtière. De l’ancienneté et la permanence des formes urbaines. 
Nepote J., Guillaume X.: Vietnam, Guides Olizane 
Pierre Rossion: le delta du Mékong, berceau de l’art khmer, Archeologia, 2005, no422, pp. 56-65.

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