Bien que la situle (ou thạp en vietnamien) soit considérée avec le tambour de bronze comme l’image et son ombre (hình với bóng), elle reste pourtant méconnue du public pour plusieurs raisons. D’abord il y a peu d’écrits sur la situle dongsonienne. Puis l’aire de diffusion des situles est très limitée. Contrairement aux tambours de bronze ayant essaimé partout en Asie du Sud Est et en Chine du Sud, les situles ont été retrouvées par contre en grande partie au Vietnam. Leur concentration se situe dans les bassins des fleuves Sông Hồng (ou fleuve Rouge), Sông Mã et Sông Cả qui délimitaient, selon la mythologie vietnamienne, le territoire du royaume de Văn Lang à l’époque des rois Hùng. En Chine, il y a un nombre infime de situles dongsoniennes trouvées provenant probablement d’échanges commerciaux et localisées surtout dans les provinces frontalières Kouang Si (Quảng Tây), Yunnan (Vân Nam) et Kouang Tong (Quảng Đông). C’est aussi le cas particulier de la situle Phong Ðiền (Thừa Thiên Huế) qu’on a retrouvée en même temps qu’un tambour de bronze dongsonien de type I de Heger, un objet d’échange avec la population de la culture contemporaine de Sa Huỳnh.
Musée d’histoire (Hànội)
Référence bibliographique:
Thạp Đồng Đông Sơn
Hà Văn Phùng
Nhà Xuất Bản Khoa Học Xã
Những dấu vét đầu tiên của thời đại đồ đồng thau ở Việtnam, NXb Khoa học xã hội, Hànội,1963. Lê văn Lan, Phạm văn Kỉnh, Nguyễn Linh
Le tigre attrape sa proie. C’est ce qu’on a vu sur le couvercle de la jarre en bronze de la sépulture Vạn Thắng. Hànội 2008
Mais c’est aussi l’unique situle découverte dans cette région Thừa Thiên Huế jusqu’en 2005. Plus d’un siècle écoulé, depuis la découverte du premier couvercle de la situle déposé dans le tambour de bronze Ngoc Lũ (1893-1894) jusqu’à aujourd’hui, sur 250 situles connues et inventoriées, il n’y a que 15 situles retrouvées en Chine (9 situles dans la tombe du deuxième roi de Nan Yue, Zhao Mei (Triệu Muội), 1 situle dans une tombe de la province Kouang Tong, 4 situles dans la tombe Luobowan (La Bạc Loan )(Kouang Si) ) et 1 situle dongsonienne dans la région de Tianzimiao (district de Cheng-gong, Yunnan). Les 235 situles restantes sont localisées entièrement dans les sites dongsoniens « purs » au Vietnam et réparties en deux catégories: 205 situles sans couvercle et 30 situles avec couvercle. C’est seulement en 1930 que la situle fut décrite d’une manière sommaire pour la première fois par un érudit japonais Umeshra Sueji . Puis elle fut évoquée ensuite par l’archéologue suédois Olov Jansé, un collaborateur temporaire de l’Ecole Française d’Extrême Orient (EFEO) en 1936 lors des fouilles archéologiques.
Enfin les situles appartiennent à l’aristocratie. C’est ce qu’on a constaté fréquemment lors les fouilles dans les sépultures appartenant jusqu’à lors aux nobles et aux seigneurs locaux. La situle n’est pas un emblème de pouvoir ou de puissance mais elle est un récipient (ustensile) à usages multiples (tính đa năng). Elle est employée
- pour contenir de diverses sortes de liquides (eau divine, vin d’autel ou huiles végétales),
- pour faire des réserves de nourriture (poissons, crabes, crevettes, viande de gibier etc ..) en vue de la disette,
- pour contenir des vestiges de balle de riz avec la situle de Làng Vạc (Nghệ Tịnh),
- pour servir de réceptacle d’inhumation (ou à ossements) où on trouve tantôt la dépouille d’un enfant avec la situle Hợp Minh découverte en 1995 à Yên Bái, tantôt un crâne, celui du défunt ou de la victime du sacrifice avec la situle trouvée en 1961 à Thiệu Dương (Thanh Hoá),
- pour contenir les cendres humains lors de l’incinération avec la situle Đào Thịnh (Yên Bái) en 1960
- pour servir d’objet funéraire pour accompagner le défunt dans l’autre monde avec la situle Vạn Thắng (Phú Thọ) en 1962.
D’une manière générale, la situle qui se rencontre au Vietnam dans les sépultures riches a un caractère rituel chez les Luo Yue (ou les Dongsoniens). Pour ces derniers, la situle était considérée non seulement comme un ustensile indispensable dans la vie journalière mais aussi un objet que le défunt ne pouvait pas manquer dans l’autre monde. Le passage d’un objet d’usage à un objet funéraire était très fréquent chez les Dongsoniens car il s’agit d’une notion de partage entre les proches du défunt et lui-même, une tradition qui se perpétue sous diverses formes depuis la nuit des temps dans les civilisations antiques, en particulier dans la civilisation dongsonienne.
Thạp đồng
La situle dont la forme est cylindrique et réduite légèrement au niveau du fond, peut avoir au niveau du col un fin rebord pour faciliter le dépôt d’un couvercle convexe. Elle est munie de deux anses en forme de U renversée avec doubles spirales. Connue pour son caractère usuel, la situle n’est pas un ouvrage d’art très étoffé par rapport au tambour de bronze. D’une manière générale, on trouve sur le corps du récipient, un ornement décoratif en léger relief organisé en registres avec les motifs géométriques classiques du répertoire décoratif dongsonien (cercles pointés reliés par des tangentes, frises de losanges ou de hachures verticales etc…) ou un ornement très simple.
Mais on peut se retrouver avec des situles d’une beauté inégalée et dont la décoration est aussi sophistiquée que celle des tambours de bronze. C’est le cas des situles Đào Thịnh (Yên Bái), Vạn Thắng ( Phú Thọ), Hợp Minh (Yên Bái ) ayant chacune un couvercle orné d’une étoile en son centre ou couronné de figures humaines ou animales en relief dont la disposition s’effectue dans le sens inverse d’une montre. C’est ce qu’on découvre avec 4 couples en copulation sur le couvercle de la situle Đào Thịnh ou 4 fauves saisissant leur proie sur celui de la situle Vạn Thắng. Par contre, 4 pélicans figurent en relief sur celui de la situle Hợp Minh.
En comparant l’ornement décoratif de pirogues accompagnées par des hommes emplumés sur le corps de la célèbre situle de Đào Thịnh avec celui des tambours de bronze de type I de Heger ( Ngọc Lũ, Hoàng Hạ, Cổ Loa, Sông Đà (Moulié) …), on a l’impression d’avoir des produits du même style artistique faits par des habiles bronziers issus de la même école, ou provenant plutôt d’une culture commune. Cela prouve que ces produits ont été crées par le même propriétaire qui n’est autre que la population de la civilisation Đồng Sơn depuis deux mille ans. Il est difficile d’établir une classification basée sur l’ornementation car celle-ci porte le caractère symbolique sur la plupart des situles.
Certains archéologues suggèrent la dimension comme critère de classification mais il y a une gamme de situles allant de la plus grande taille (Hợp Minh, Thiệu Dương, Xuân Lập etc …) jusqu’à la plus petite en miniature (mingqi ou minh khí en vietnamien) (situles retrouvées à Châu Can (Hà Nam), Núi Nấp ( Thanh Hoá ) etc …), ce qui ne permet pas d’avoir une classification souhaitée. Finalement, c’est la notion de couvercle qui a été prise en compte dans la classification des situles. La richesse et la sophistication du décor sont visibles sur toutes les situles possédant un couvercle. Ce n’est pas le cas des situles sans couvercle. Grâce à un léger ressaut au niveau de son col (gờ miệng), on peut identifier une situle avec couvercle ou non même si ce dernier a aujourd’hui disparu.
La situle constitue non seulement avec les tambours de bronze l’un des éléments représentatifs de la culture de Ðồng Sơn mais aussi la preuve irréfutable de l’origine locale dongsonienne au Vietnam.
Elle peut s’inspirer de la hotte (gùi en vietnamien) en osier qu’on retrouve encore aujourd’hui chez certaines minorités ethniques du Vietnam car cette dernière possède aussi des anses permettant de faciliter le fixage des cordons lors du déplacement. Pour certains archéologues, la situle est bien l’image de la hotte que les Dongsoniens avaient l’habitude d’utiliser autrefois avec le couvercle d’autant plus qu’elle était conçue au départ pour servir de réceptacle. Selon l’archéologue vietnamien Nguyễn Việt, certaines situles, en particulier celle exposée au musée de Barbier-Mueller à Genève (Suisse), attestent de la probable influence des habiles bronziers du royaume de Dian (Ðiền Quốc) au Yunnan (Vân Nam). Il est possible que la civilisation de Ðồng Sơn qui s’est développée dans un cadre très ouvert, a échangé réciproquement les informations et les objets avec le royaume de Dian au moyen du fleuve Rouge. En prenant la source au Yunnan, celui-ci était considéré autrefois comme la route de la soie fluviale. Mais cela n’empêche pas d’affirmer d’une manière catégorique que la situle dongsonienne est un objet étranger à la tradition chinoise et qu’elle est de facture locale (ou vietnamienne).