Yin et Yang dans la vie journalière des Vietnamiens (2ème partie)

Version vietnamienne

Yin et Yang dans la vie journalière des Vietnamiens: 

En parlant du couple symbolique cercle/ carré, on veut évoquer la perfection et  l’union heureuse. À partir d’un carré ayant 4 côtés, on peut avoir un octogone en multipliant le nombre de côtés  par 2. Puis en multipliant toujours par 2 le nombre de ces côtés on obtient à la fin un cercle n’ayant plus de côtés. C’est la forme parfaite (perfectissima forma) témoignant de la perfection absolue.

C’est pour cette raison qu’on est habitué à dire en vietnamien « Mẹ tròn, con vuông » pour souhaiter à la mère et à son enfant une bonne santé au moment de la naissance. Cette expression a été léguée par nos ancêtres dans le but de retenir notre attention sur le caractère créateur de l’univers. La rondeur et le carré sont les deux formes que prennent non seulement les gâteaux de riz gluant (Bánh Chưng, Bánh Tết) ou les gâteaux des mariés (Bánh Su Sê ou Phu Thê) mais aussi les anciennes pièces de monnaie vietnamienne (ou sapèques).

Sapèque
La forme de ces sapèques est liée à la cosmologie traditionnelle vietnamienne: la rotondité de ces pièces évoque celle du ciel et le trou central est carré comme la terre. Pour la superficie de ces sapèques, il y a toujours un pourcentage à respecter : 70% pour la partie ronde et 30% pour la partie carrée. On trouve aussi ces deux formes avec la canne en bambou tenue par le fils aîné  en marchant derrière le cercueil lors  du cortège funéraire de son père. Lorsque  la personne décédée est sa mère, il est obligé de marcher à reculons en regardant droit devant  le cercueil. C’est le protocole « Cha đưa mẹ đón » (Accompagner le père, recevoir la mère) à respecter dans les rites funéraires vietnamiens. Le bambou de la canne représente la droiture et l’endurance du père. Il est remplacé par une autre plante connue sous le nom « cây vong » et symbolisant la simplicité, la douceur et la souplesse lorsque la personne décédée est la mère. La canne doit avoir la tête ronde et le pied carré pour symboliser le Ciel et la Terre tandis que la partie médiane de la tige est réservée pour les enfants et les descendants. Cela veut dire que tout le monde a besoin de la protection du Ciel et de la Terre,  l’éducation des parents et l’aide mutuelle entre frères et sœurs dans la société.  Pour marquer son respect, le nombre de fois que l’invité est obligé d’accomplir en se prosternant devant le cercueil doit être un nombre Yin càd un nombre pair (càd 2 ou 4) car la personne décédée va rejoindre le monde des ténèbres de caractère Yin (Âm phủ en vietnamien). Autrefois, on avait l’habitude de mettre dans la bouche de la personne décédée une parcelle d’or pur lui insuffler le mana que contient le métal précieux. L’or représentant le principe yang est capable d’assurer la conservation du corps et d’empêcher la putréfaction.

Au moment de l’agonie de la personne décédée, ses proches doivent lui filer un surnom (ou en vietnamien tên thụy) que lui et ses proches sont les seuls à connaître avec l’accord du génie du foyer car le jour de l’anniversaire de sa mort, ce surnom sera cité dans le but de l’inviter à participer aux offrandes et d’éviter de réveiller les autres âmes errantes. C’est pourquoi on est habitué à dire en vietnamien tên cúng cơm pour rappeler que chacun possède un surnom. De même, un bouquet de fleurs offert aux funérailles doit être constitué d’un nombre pair (ou yin) de fleurs. 

Il y a une exception à cette règle lorsqu’il s’agit de Bouddha ou des parents décédés. Devant l’autel de ces derniers, on a l’habitude de mettre 3 baguettes d’encens dans le vase ou on se prosterne complètement à  genoux, la tête à toucher terre avec un nombre impair (Yang) (con số dương)  de fois car on les considère toujours comme des êtres vivants. De même, pour marquer le respect vis-à-vis des gens âgés vivants, on accomplit seulement une ou trois fois dans la prosternation. Par contre, dans les rites de mariage, la future doit se prosterner devant ses parents pour les remercier de la naissance  et de l’éducation qu’ils lui ont donnée avant de rejoindre la famille de son époux. C’est le nombre pair (ou Yin)(con số âm) de fois qu’elle devra accomplir (càd 2) car elle est considérée comme « morte » du fait qu’elle n’appartient plus à sa famille d’origine. Il y a une coutume pour la cérémonie de la première nuit de noce. On demande à une femme assez âgée, ayant beaucoup d’enfants et censée d’être bonne et honnête de prendre en charge l’étalement et la superposition d’une paire de nattes sur le lit nuptial: l’une ouverte et l’autre mise à l’envers à l’image de l’union du Yin et du Yang. 

Autrefois, les jeunes mariés avaient l’habitude d’échanger mutuellement une pincée de terre contre une pincée de sel. Ils voulaient honorer et pérenniser leur union et leur fidélité en prenant le Ciel et la Terre comme témoins de leur engagement. On trouve aussi la même signification dans l’expression suivante: Gừng cay muối mặn pour rappeler aux jeunes mariés qu’il ne faut jamais se quitter car la vie est amère et profonde avec des hauts et des bas comme le  gingembre piquant et le   sel  gardent leur goût au fil des années.

L’expression vuông tròn a été utilisée fréquemment dans un grand nombre de dictons populaires vietnamiens :

Lạy trời cho đặng vuông tròn
Trăm năm cho trọn lòng son với chàng!

Je prie Dieu pour que tout se passe bien et pour que je puisse garder éternellement mon cœur fidèle avec vous.

Ou bien

Đấy mà xử ngãi (nghĩa) vuông tròn
Ngàn năm ly biệt vẫn còn đợi trông

Voici : c’est la signification de l’amour conjugal
Je continue à attendre votre retour avec patience malgré notre séparation éternelle.

ou bien dans les strophes suivants 411-412 et 1331-1332 du best-seller Kim Vân Kiều

Nghĩ mình phận mỏng cánh chuồn
Khuôn xanh biết có vuông tròn mà haỵ

Mon sort est fragile comme l’aile d’une libellule.
Le Ciel sait-il que cette union est durable ou non?

ou
Trăm năm tính cuộc vuông tròn,
Phải dò cho đến ngọn nguồn lạch sông

Au cours de votre vie (cent ans), quand vous vous préoccupez de votre mariage, vous devez remonter le fleuve jusqu’à la source. (On doit  se renseigner sur la famille  de l’épouse jusqu’au moindre détail)

Cette  bipolarité Yin et Yang s’exprime sous diverses formes au Vietnam. En Chine, s’il y a un seul génie du mariage, on retrouve au Vietnam un couple de génies homme et femme (Ông Tơ Bà Nguyêt). De même, dans les pagodes vietnamiennes, on a sur l’autel un couple de bouddhas homme et femme (Phât ông Phât Bà) à la place d’un seul bouddha. Les Vietnamiens croient fermement que chacun d’eux est lié à un certain nombre de chiffres. Avant la naissance, l’embryon a besoin d’attendre 9 mois et 10 jours. Pour dire que quelqu’un a un heureux destin, on dit qu’il a un « sort heureux « (số đỏ). Par contre, le « sort néfaste (số đen) » est réservé pour les gens ayant un mauvais destin. [Lire les nombres Yin et Yang)]