English version
Gia Long est le titre impérial que prit en 1802 le prince Nguyễn Phúc Ánh pour son règne lors de l’unification de l’empire du Vietnam qui s’étendait de la frontière de Lạng Sơn jusqu’à la pointe de Cà Mau sur le golfe de Siam. Gia Long résulte de la combinaison de deux mots suivants: Gia et Long (Gia étant un mot extrait du nom Gia Định, l’ancienne ville Saïgòn et Long celui du nom Thăng Long, l’ancienne capitale Hanoï). Durant les 25 années de combats contre les Tây Sơn, il parcourut toute la Cochinchine. Il connut parfaitement tous les recoins du delta du Mékong. Le prince Nguyễn Ánh était tellement attaché à des gens du Sud et en particulier à la ville Saïgon qu’il fut connu à l’époque sous le nom « Général Gia Định ».
Avant l’unification du Vietnam (1801), le dernier survivant des Nguyễn fut traqué à maintes reprises par les Tây Sơn (ou les Paysans de l’Ouest) de Nguyễn Huệ. Il dût la vie sauve à un missionnaire français Pierre Joseph Pigneaux de Béhaine qui partagea avec lui sa nourriture apportée par son homme de confiance, P. Paul Nghi et qui n’hésita à organiser sa fuite dans la principauté de Mang Khảm de Mạc Thiên Tứ, le fils de son allié Mạc Cửu (région Hà Tiên) après que le seigneur Nguyễn Huệ Vương fut assassiné par les Tây Sơn, ce qu’a raconté l’anglais John Barrow dans son livre « Voyage à la Cochinchine » en 1793.
Pierre Joseph Pigneaux de Béhaine (Bá Đa Lộc)
La vie de galère qu’il connut durant les années de vicissitudes donnait l’occasion à ses partisans d’interpréter plus tard ses exploits et ses périls qu’il réussît à surmonter comme des signes de volonté du Ciel de vouloir l’aider à reconquérir le trône. La grotte des pièces de monnaie (Hang Tiên) dans la région Hà Tiên, accessible aujourd’hui par le bateau, évoque le souvenir du jeune prince Nguyễn Ánh se réfugiant avec ses troupes dans l’attente des renforts français. On y découvre des pièces de monnaie laissées par les corsaires. Des dictons vietnamiens sont nés avec ses exploits. On a l’habitude de dire en vietnamien :
Kỳ đà cản mũi
Le varan est devant la proue du bateau.
pour signifier qu’on est empêché d’agir ou d’accomplir une tâche à cause de l’obstruction de quelqu’un. Grâce à la présence d’un varan empêchant l’accès à la mer de sa jonque, cela lui permet d’être sauvé de justesse car ses ennemis l’y attendent avec impatience. Une autre fois dans la région de Hà Tiên, sa jonque fut gênée par la présence des serpents. Il fut obligé de donner l’ordre à ses subordonnés de ramer plus vite pour ne pas être poursuivi par ces serpents. Cela lui permet d’atteindre l’île de Phú Quốc plus tôt et d’éviter le piège tendu par ses adversaires. C’est pourquoi on aime à dire en vietnamien:
« Gặp rắn thì đi, gặp qui thì về«
pour dire qu’il est possible de partir lorsqu’on rencontre les serpents et qu’il vaut mieux rentrer lorsqu’on rencontre les tortues.
À travers ces récits historiques, on constate que Nguyễn Ánh est chanceux durant ses années de combats contre les Tây Sơn. Une fois, il fut poursuivi par ses ennemis. Il fut obligé de traverser le fleuve à la nage. Il se rendit compte que le fleuve était infesté de crocodiles. Il dut recourir au buffle qui pataugeait au bord du fleuve pour entreprendre la traversée. Même le sauvetage périlleux de sa jonque engloutie par les vagues, par le jeune intrépide Lê Văn Duyệt (15 ans ) devenu plus tard son général talentueux, dans une nuit orageuse était l’objet d’une prophétie entretenue depuis tant d’années par les gens du village Long Hưng Tây avant que l’événement eût lieu.
En dépit de ces faits ayant trait à légitimer par la protection divine, la lutte menée par Nguyễn Ánh, il n’est pas juste d’ignorer les qualités en ce personnage hors du commun. Il n’avait pas le génie de stratégie de son adversaire, le général Nguyễn Huệ mais il avait une patience incommensurable qu’on ne pouvait comparer qu’à celle du prince des Yue du Nord Gou Jian (ou Cẩu Tiễn en vietnamien) à la période des Printemps et des Automnes (476 avant J.C.) (thời Xuân Thu). Ce dernier n’hésita pas à attendre de longues années pour se préparer à la revanche contre le souverain Fu Chai (Phù Sai ) de l’état Wu (Nước Ngô của Ngủ Tử Tư ). Il avait le don de recruter comme subordonnés des gens valeureux (Võ Tánh, Lê Văn Duyệt , Nguyễn văn Thành etc…) et accordait à l’amitié une signification particulière durant son règne, ce qu’on a constaté envers le missionnaire français Pigneaux de Béhaine ou envers ses lieutenants français Jean-Baptiste Chaigneau ( Nguyẽn Văn Thắng), Philippe Vannier, Olivier Puymanel ou envers le souverain siamois Rama I (ou Chakkri).
Tử Cấm Thành (Cité interdite de Huế)
En reconnaissance de la dette que Nguyễn Ánh a laissée à ce dernier de repartir sain et sauf avec son armée pour sauver sa famille emprisonnée, Chakkri n’hésita pas à offrir de l’hospitalité de longues années au prince Nguyễn Ánh et à sa suite lorsqu’il fut obligé de se réfugier à Bangkok après ses défaites cinglantes contre les Tây Sơn à Mỹ Tho en 1785. Ce pacte d’amitié était né lors d’un affrontement militaire sur la terre cambodgienne entre son lieutenant Nguyễn Hữu Thùy et Chakkri qui fut encore à cette époque un général envoyé par le souverain siamois Taksim (Trịnh Quốc Anh).
Devant le volte-face de ce dernier d’emprisonner sa famille, Chakkri fut obligé de se pactiser avec Nguyễn Ánh et retourner à Bangkok pour renverser Taksim. C’est aussi pour cette dette et pour seconder Nguyễn Ánh de recouvrer le trône que Chakkri envoya une armée de 50.000 hommes qui fut décimée complètement en 1785 par le roi stratège Nguyễn Huệ et sa troupe dans l’Ouest du Mékong (Mỹ Tho).
Nguyễn Ánh était un homme courageux et téméraire. Avec lui, on avait l’impression qu’aucune personne du Sud n’osait s’opposer à lui. Pour acquitter sa dette à l’égard de sa famille assassinée par les Tây Sơn, il restait imperturbable devant les supplices réservées à ses adversaires. Les ennemis vaincus furent mis à mort par des tortures épouvantables. Les hommes furent écartelés par des éléphants et les femmes et les enfants furent piétinés par des éléphants. Leurs corps furent jetés en pâture aux corbeaux. C’est le sort réservé à la femme général Bùi Thị Xuân, au fils de l’empereur Nguyễn Huệ, le roi Nguyễn Quang Toản etc…
Pour des raisons politiques, il n’hésita pas tuer les gens l’ayant servi avec dévouement lorsqu’il était encore un jeune prince traqué par les Tây Sơn. C’est le cas de Nguyễn Văn Thành, Ðặng Trần Thường. C’est pour cette raison qu’on le compare souvent à Liu Bang (Lưu Bang), l’empereur fondateur des Han ayant réservé le même traitement à l’égard de ses anciens compagnons de route. Malgré cela, on s’aperçoit qu’il était aussi un homme de cœur. Il ne tarda pas à rendre un grand hommage à son compagnon de route Nguyễn Văn Thành qu’il a obligé de se suicider pour une insinuation calomnieuse et à larmoyer devant l’autel érigé en l’honneur de ce dernier. Il donna l’ordre de libérer sa famille et restitua à celle-ci tous les biens et les titres confisqués. On trouve aussi son attachement profond à la vie de ses subordonnés à travers le message qu’il avait adressé à son beau-frère, le général Võ Tánh chargé de défendre Qui Nhơn ou à Pigneaux de Béhaine, son père spirituel et son conseiller militaire à travers la cérémonie organisée à la mort de ce dernier, ce que rapporta le père Lelabrousse aux Missions Étrangères, le 24 Avril 1800.
Il était aussi un guerrier séducteur. Son égard envers la reine Ngọc Bích, la jeune femme de son adversaire, le jeune roi Canh Thình (fils du roi Quang Trung) fut exemplaire. Celle-ci s’écria lorsqu’elle aperçut un homme fort majestueux se tenant debout devant elle:
-Général Gia Ðịnh, que voulez-vous de moi?
Celui-ci sourit et lui répondit avec gentillesse:
-N’ayez pas peur et ne pleurez plus, s’il vous plaît. Le général Gia Ðịnh sera plus doux que celui des Tây Sơn. Cette résidence restera la même pour vous en dépit du changement du propriétaire.
Comme sa gentillesse était si grande et sa volonté de conquérir le cœur de la reine était si forte que celle-ci ne pouvait pas résister longtemps. Elle devenait ainsi sa concubine du premier rang et avait avec lui deux garçons. Elle s’était mariée en deux fois avec deux rois (Canh Thình et Gia Long) et était la dernière fille du roi des Lê. C’est pour cela deux adversaires irréductibles Nguyễn Huệ et Gia Long devinrent ainsi des « beaux – frères » car Nguyễn Huệ était l’époux de la princesse poète Ngọc Hân et Gia Long, celui de la princesse Ngọc Bích. C’est aussi pour cette dernière que est né ce dicton vietnamien:
Số đâu mà số lạ lùng
Con vua mà lấy hai chồng làm vua
Le sort est tellement bizarre
La fille du roi est mariée en deux fois avec deux rois.
En dépit de sa réputation d’être un guerrier endurci par les années de guerre et de vicissitudes, il était aussi vulnérable comme un homme ordinaire. Il lui arrivait un grand nombre de soucis qu’il ne cachait pas à révéler à son confident, le Français Jean-Baptiste Chaigneau:
Gouverner le pays est plus facile que diriger le harem.
C’est ce que révélait Michel, le fils de J. B. Chaigneau dans le journal « Le moniteur de la Flotte » en 1858.
Malgré le traité paraphé à Versailles en 1787 par les Comtes De Vergennes et De Montmorin pour le roi Louis XVI et par son fils Nguyễn Phúc Cảnh assisté de l’évêque d’Adran, Pigneaux de Béhaine, la collaboration d’un grand nombre des subordonnés français dans ses rangs et son intérêt porté pour les sciences et les techniques de l’Occident, il continuait à adopter une politique très ambiguë envers les Européens, en particulier envers les missionnaires. Cette attitude bienveillante était-elle due à l’amitié qu’il tentait d’honorer envers son ami Pigneaux de Béhaine ou à son esprit d’ouverture comme Kang Xi en Chine dans le but de mieux utiliser les compétences des missionnaires catholiques?
On continue à se poser des questions jusqu’à nos jours. Pourtant on sait qu’à travers la construction de la Cité pourpre, le maintien du système des mandarins, la réforme du code des Lê basé essentiellement sur celui des Qing en Chine, il apparut plus que jamais comme un admirateur de la dynastie des Ming et des Qing, un confucianiste convaincu et un empereur plus rétrograde. Il entama au cours de ses dernières années une politique de repli en choisissant comme successeur, le prince Nguyễn Phúc Ðảm soutenu par la plupart des mandarins confucianistes à la place des enfants du prince Cảnh décédé à cause d’une maladie. Ce prince connu sous le nom de règne Minh Mạng n’hésita pas à faire mourir les enfants et la femme du prince Cảnh (Mỹ Ðường) et laissa une opportunité aux Européens, en particulier au gouvernement français d’intervenir militairement en menant une politique délibérément anti-occidentale et anti-catholique et renoua ainsi une politique d’alignement sur les lignes directrices de la politique chinoise. Nguyễn Ánh pourrait devenir un grand empereur à l’image d’un « Meiji » japonais lorsqu’il avait l’avantage d’être entouré par un grand nombre de français y compris son médecin particulier (un certain Despiaux) et il avait un esprit très ouvert aux techniques et aux sciences de l’Occident.
C’est un grand dommage pour le Vietnam de perdre une occasion d’entrer dans l’ère de modernisation. C’est aussi un malheur pour le peuple vietnamien d’écrire plus tard son histoire avec du sang et des larmes. Il ne mérite pas d’être oublié dans notre histoire car il réussît à agrandir notre territoire et à unifier le pays sous sa bannière. Mais il n’est pas non plus un grand empereur du Vietnam car la grandeur ne se mesure pas non seulement par l’agrandissement du Vietnam mais aussi par les bienfaits qu’il apporte au peuple vietnamien et par la magnanimité envers ses adversaires.
C’est triste de le dire ainsi car Nguyễn Ánh avec les qualités qu’il nous a montrées durant ses 25 années de vicissitudes pourrait faire encore mieux pour son pays et pour son peuple plus que tout autre roi du Vietnam (y compris le roi Quang Trung).