Civilisation Văn Lang (Thời kỳ Hồng Bàng): 2ème partie

 

Version vietnamienne

On retient  aussi l’événement marquant souligné par l’historien chinois Trịnh Tiều dans son ouvrage Thông Chí: Dans le sud de la Chine, sous le règne du roi Nghiêu (2253 av J.C. ), il y avait l’émissaire d’une tribu nommé Việt Thường qui offrît au roi comme gage d’allégeance, une vieille tortue vivant plus de 1000 ans et longue de 3 mètres. On trouva sur son dos, des inscriptions portant des caractères en forme de têtard (văn Khoa Ðẩu) et permettant d’interpréter toutes les mutations du Ciel et de la nature. Le roi Nghiêu décida de leur attribuer le nom Qui Lịch (ou calendrier de la tortue). Cette forme d’écriture a été retrouvée récemment sur une pierre faisant partie des vestiges culturels de la région Sapa-Lào Cai dans le Nord du Vietnam.

L’historien vietnamien Trần Trọng Kim a soulevé cette question dans son ouvrage intitulé Viet Nam sử lược (Précis de l’histoire du Vietnam).

Beaucoup d’indices ont été trouvés en faveur de l’interprétation d’une même tribu, d’un même peuple. On ne peut pas réfuter qu’il y a un lien incontestable entre l’écriture en forme de têtards et le crapaud trouvé soit sur les tambours de bronze de Ðồng Sơn soit sur les estampes populaires vietnamiens de Ðông Hồ dont la plus connue reste l’estampe « Thầy Ðồ Cóc » (ou Le maître crapaud) . Sur cette dernière, on trouve la phrase suivante: Lão oa độc giảng (Le vieux crapaud détient le monopole d’enseignement). Bien qu’elle fut apparue il y avait 400 ans seulement, elle refléta ingénieusement la pensée perpétuelle de l’époque des rois  Hùng (Hùng Vương). Ce n’est pas par hasard qu’on attribue  au crapaud le rôle du maître mais on voudrait mettre en évidence l’importance de la représentation et de la signification de cette image. Le crapaud était le porteur d’une civilisation dont l’écriture en forme de têtards était employée par la tribu Lạc Việt à l’époque des Hùng Vương car il était le père du têtard. De même, à travers l’estampe de « Chú bé ôm con cóc » (ou l’enfant embrasse le crapaud ), on décela toute la pensée originale du peuple Lạc Việt. Le respect de l’enfant à l’égard du crapaud ou plutôt son maître (Tôn Sư trọng đạo) était une notion déjà existante à l’époque des Hùng Vương. Pourrait-on en conclure qu’il y avait une corrélation avec ce qu’on trouva plus tard dans l’esprit confucéen avec la phrase  Tiên học lễ, hậu học văn  (D’abord l’éducation puis l’enseignement) ?

Au Vietnam, la tortue n’est pas non seulement le symbole de longévité mais aussi celui de transmission des valeurs spirituelles dans la tradition vietnamienne. On trouve sa représentation partout, en particulier dans des lieux communs comme les maisons communales, les pagodes et les temples. Elle est employée au temple de la littérature (Văn Miếu) pour soulever des stèles vantant les mérites des lauréats aux concours nationaux. 

La grue sur le dos de la tortue

Par contre, dans les temples et dans les maisons communales, on la voit porter toujours une grue sur son dos. Il y a une ressemblance indéniable entre cette grue et l’oiseau échassier à long bec trouvé sur les tambours de bronze de Ðồng Sơn. L’image de la grue sur le dos de la tortue reflète probablement la pérennité de toutes les croyances religieuses issues de la civilisation Văn Lang à travers le temps. L’omniprésence de la tortue dans l’histoire et la culture des Vietnamiens ne résulte ni de la longue domination des Chinois ni de l’effet du hasard mais elle doit tenir du fait que le royaume de Văn Lang devrait être situé dans une région peuplée de grosses tortues. C’est seulement dans le sud du bassin du fleuve Yang Tsé (Sông Dương Tữ ) qu’on peut trouver cette espèce de grosses tortues en extermination. C’est ce qu’a rapporté l’auteur vietnamien Nguyễn Hiến Lê dans son ouvrage intitulé « Sử Trung Quốc » (Histoire de la Chine) (Editeur Văn Hoá 1996).

Il est peu probable de trouver un jour les vestiges archéologiques prouvant l’existence de ce royaume comme ceux déjà trouvés avec la dynastie des Shang. Mais rien n’infirme cette vérité historique car outre les faits évoqués ci-dessus, il y a  même la preuve intangible   d’une civilisation très ancienne dans ce royaume, celle qu’on dénomme souvent « la civilisation de Văn Lang » dont on a trouvé le fondement dans la théorie du Yin et du Yang et de 5 éléments (Thuyết Âm Dương Ngũ Hành). Celle-ci a été mise en évidence à travers le gâteau de riz gluant « Bánh Chưng Bánh dầy » qui était exclusivement propre au peuple vietnamien depuis la période des rois Hùng Vương. On pourrait se poser des questions sur l’origine de cette théorie qui a été attribuée jusque-là aux Chinois. On savait que selon les Mémoires historiques de Si Ma Qian (Sử Ký Tư Mã Thiên), Trâu Diễn (Tseou Yen, philosophe du pays de Qi (Tề Quốc) (350-270 avant J.C.) était à l’époque des Royaumes Combattants (thời Chiến Quốc), le premier Chinois à mettre en évidence la relation entre la théorie du Yin et du Yang et celle des 5 éléments (wu xing).

Âm Dương

La première a été évoquée dans le livre Zhouyi (Chu Dịch) par le fils du roi Wen (1), Chu Công Ðán (le Duc de Zhou), tandis que la seconde avait été trouvée par Yu le Grand (Ðại Vũ) de la dynastie des Xia (Hạ). Il y a pratiquement un écart de 1000 ans entre ces deux théories. Le concept des cinq éléments est rapidement intégré à la théorie du yin et du yang pour donner une explication sur le tao qui est à l’origine de toute chose. Malgré le succès rencontré dans un grand nombre de domaines d’application (astrologie, géomancie, médecine traditionnelle), il est difficile de donner une justification cohérente au niveau de la date de parution de ces théories car la notion Taiji (thái cực) (la limite suprême) à partir de laquelle les deux éléments principaux sont nés (le yin et le yang), fut introduite seulement à l’époque de Confucius (500 ans avant J.C.). Le Taiji a été l’objet de méditation des philosophes de tous les horizons depuis que le philosophe de l’époque des Song et le fondateur du néo-confucianisme, Zhou Dunyi (Chu Ðôn Di), avait donné à ce concept une nouvelle définition dans son best seller: « Traité sur la figure Taiji » (Thái Cực đồ thuyết):

Vô cực mà là thái cực, Thái cực động sinh Dương, động đến cực điểm thì tĩnh, tĩnh sinh Âm, tĩnh đến cực đỉnh thì lại động. Một động một tĩnh làm căn bản cho nhau…. 

Du Wuji (Sans limite) au Taiji ( limite suprême ). La limite suprême, une fois en mouvement, génère le yang et à la limite du mouvement c’est le repos; celui-ci, à son tour, génère le yin et à la limite du repos c’est le retour au mouvement. Un mouvement et un repos , l’un prend racine dans l’autre..

Pour les Chinois, il y a un enchaînement dans le commencement de l’univers:

Thái cực sinh lưỡng nghi là Âm Dương, Âm Dương sinh Bát Quái
De Taiji sortent le Ciel et la Terre, un Yin et un Yang qui donnent naissance aux huit trigrammes.

Hà Đồ (Plan du fleuve)

L’incohérence est tellement visible dans l’ordre chronologique de ces théories car on avait attribué à Fu Xi (1) l’invention des huit trigrammes il y avait 3500 ans avant J.C. tandis que la notion de Yin et de Yang fut introduite à l’époque de Zhou (1200 ans avant J.C.). En s’appuyant sur les découvertes archéologiques récentes, en particulier sur la découverte des manuscrits sur soie de Mawangdui (1973), les spécialistes chinois d’aujourd’hui avancent des énoncés inimaginables : Les hexagrammes précèdent les trigrammes etc., ce qui prouve que l’ordre chronologique de ces théories est susceptible d’être sans cesse remodifié conformément aux situations nouvelles. On est amené à trouver dans cet imbroglio, une autre explication, une autre démarche, une autre hypothèse selon laquelle la théorie de Yin -Yang et de 5 éléments a été appropriée à une autre civilisation. Ce serait celle de Văn Lang. La confusion continue à être ancrée dans l’esprit du lecteur avec les fameux Plan du fleuve et Ecrit de la Luo (Hà Ðồ Lạc Thư).

L’Ecrit de la Luo devait être trouvé avant l’apparition du Plan du Fleuve. Cela met en évidence la contradiction trouvée dans l’ordre chronologique de ces découvertes. Certains Chinois ont eu l’occasion de remettre en question l’histoire traditionnelle établie jusque-là dans l’orthodoxie confucéenne par les dynasties chinoises. C’est le cas de Ouyang Xiu (1007-1072 ) qui a vu dans ce fameux plan le travail de l’homme. Il a réfuté le « don du Ciel » dans son ouvrage intitulé « Questions d’un enfant sur le Yi King ( Yi tongzi wen ) «  ( Zhongguo shudian, Pékin 1986 ) . Il y a préféré la version de l’invention humaine.

Peux-t-on accorder de la véracité à la légende chinoise lorsqu’on sait qu’il y avait aussi une incohérence complète dans l’ordre chronologique de la découverte de ces fameux Plan du Fleuve et Ecrit de la Luo?

Fou Xi (Phục Hi ) ( 3500 avant J.C. ) découvrit le premier, le Plan du Fleuve (Hà Ðồ) lors d’une excursion sur le fleuve jaune. Il vit sortir de l’eau un dragon cheval (long mã) portant sur son dos ce plan. C’est à You Le Grand (Đại Vũ) (2205 avant J.C.) qu’on attribua la découverte de l‘Ecrit de la Luo trouvé sur le dos de la tortue. Pourtant c’est grâce à l’Écrit de la Luo et à son explication (Lạc Thư cửu tinh đồ) qu’on arrive à établir et à interpréter correctement le schéma stellaire établi à partir de l’étoile polaire (Bắc Ðẩu) et trouvé sur ce fameux Plan du fleuve selon le principe du Yin et du Yang et de 5 éléments.

Le fameux mot « Luo » (Lạc) trouvé dans le texte du Grand Commentaire de Confucius :

Thị cố thiên sinh thần vật, thánh nhân tắc chi, thiên địa hóa thánh nhân hiệu chi; thiên tượng, hiện cát hung, thánh nhân tượng chi. Hà xuất đồ, Lạc xuất thư, thánh nhân tắc chi

Cho nên trời sinh ra thần vật, thánh nhân áp dụng theo; trời đất biến hoá, thánh nhân bắt chước; trời bày ra hình tượng. Hiện ra sự tốt xấu, thánh nhân phỏng theo ý tượng. Bức đồ hiện ra sông Hoàng Hà, hình chữ hiện ở sông Lạc, thánh nhân áp dụng .

Le Ciel donne naissance aux choses divines, les Sages les prennent comme critère. Le Ciel et la Terre connaissent des changements et des transformations, les Sages les reproduisent. Dans le Ciel sont suspendues des images manifestant la fortune et l’infortune, les Sages les imitent. Du Fleuve jaune sort le Plan, de la rivière Luo sort l’Ecrit, les Sages les prennent comme modèles.

continue à être interprété jusqu’à aujourd’hui comme le nom de la rivière Luo, un affluent du fleuve jaune qui traverse et nourrit le centre la Chine. On continue à voir dans ces fameux Plan du Fleuve et Ecrit de la Luo les prémices de la civilisation chinoise. Des dessins et des figures aux signes tri-grammatiques, des signes tri-grammatiques aux signes linguistiques, on pense à la marche de la civilisation chinoise dans Yi King sans croire qu’il pourrait être le modèle emprunté par le Sage à une autre civilisation. Pourtant si Luo est associé au mot Yue, cela désigne la tribu Lạc Việt (Luo Yue) dont les Vietnamiens sont issus. S’agit-il d’une pure coïncidence ou de l’appellation employée par les Sages You le Grand ou Confucius pour se référer à la civilisation de Văn Lang? Lạc Thư désigne effectivement l’écrit de la tribu Luo, Lạc tướng ses généraux, Lạc điền son territoire, Lạc hầu ses marquis etc …..

Il est merveilleux de constater que la théorie de Yin -Yang et de 5 éléments trouve sa parfaite cohésion et son fonctionnement dans le gâteau de riz gluant, preuve intangible de la civilisation de Văn Lang. Outre l’eau dont on a besoin pour faire cuire le gâteau, on trouve dans sa constitution les 4 éléments essentiels (viande, fèves jaunes, riz gluant, feuilles de bambou ou de latanier) . Le cycle d’engendrement (Ngũ hành tương sinh) de 5 éléments est bien visible dans la confection de ce gâteau. A l’intérieur du gâteau, on trouve un morceau de viande de porc de couleur rouge ( le Feu ) entouré par une sorte de pâte faite avec des fèves de couleur jaune ( la Terre ). Le tout est enveloppé par le riz gluant de couleur blanche (le Métal) pour être cuit avec de l’eau bouillante (l’Eau ) avant de trouver une coloration verte sur sa surface grâce aux feuilles de latanier ( le Bois ).

Les deux formes géométriques, un carré et un cercle que prend ce gâteau, correspondent bien au Yin (Âm) et au Yang (Dương ). Du fait que le souffle Yang reflète la plénitude et la pureté, on lui attribue la forme d’un cercle. Quant au Yin, on trouve en ce souffle l’impureté et la limitation. C’est pourquoi on lui donne la forme d’un carré. Une légère différence est  notable dans la définition du Yin-Yang des Chinois et dans celle des Vietnamiens. Pour ces derniers, le Yin a tendance d’être en mouvement (động).

Cycle d’engendrement

Feu->Terre->Métal->Eau->Bois->Feu

Ngũ hành tương sinh

C’est pour cela qu’on ne trouve que la présence des 5 éléments dans le Yin représenté par le gâteau de riz en forme de carré (Bánh chưng). Ce n’est pas le cas du gâteau en forme de cercle que symbolise le Yang ayant tendance de porter le caractère « immobile » (tĩnh). C’est probablement la raison qui explique jusqu’à aujourd’hui que la loi des Yin-Yang et de 5 éléments ne connaît pas un grand pas dans son évolution et que ses applications continuent à porter le caractère mystique et confus dans l’opinion publique à cause de l’erreur introduite dans la définition du Yin-Yang par les Chinois.

Temples des rois Hùng 

HUNG_VUONG

On a l’habitude de dire « Mẹ tròn, con vuôn » en vietnamien pour souhaiter à la mère et à son enfant une bonne santé au moment de la naissance. Cette expression est employée comme une phrase de politesse si on ne sait pas qu’elle a été léguée par nos ancêtres dans le but retenir notre attention sur le caractère créateur de l’Univers. De ce dernier sont nés le Yin et le Yang qui sont non seulement en opposition mais aussi en interaction et en corrélation. La complémentarité et le fait d’être indissociable de ces deux pôles sont à la base du développement satisfaisant de la nature. Le jeu typiquement vietnamien «  Chơi ô ăn quan » témoigne aussi du parfait fonctionnement de la théorie de Yin-Yang et de 5 éléments. Le jeu s’arrête quand on ne trouve plus des jetons dans les deux demi-cercles extrêmes correspondant aux deux pôles Yin et Yang.

Autel des ancêtres

Aucun Vietnamien ne cache son émotion lorsqu’il voit sur l’autel de ses ancêtres le gâteau de riz gluant lors de la fête du Tết. Pour lui, ce mets d’apparence peu séduisante et n’ayant aucun goût succulent a une signification particulière. Il témoigne non seulement du respect et de l’affection que le Vietnamien aime entretenir à l’égard de ses ancêtres mais aussi de l’empreinte d’une civilisation vieille de 5000 ans. Ce gâteau de riz gluant est la preuve incontestable du parfait fonctionnement de Yin et de Yang et de 5 éléments. Il est le seul legs intact que le Vietnamien a réussi à recevoir de la part de ses ancêtres dans les tourbillons de l’histoire. Il ne peut pas rivaliser avec les chefs d’œuvre des autres civilisations comme la muraille de Chine ou les pyramides des pharaons faites avec de la sueur et du sang. Il est le symbole vivant d’une civilisation qui a légué à l’humanité un savoir d’une valeur inestimable dont on continue à se servir dans un grand nombre de domaines d’application ( astronomie, géomancie, médecine, astrologie etc.).

[Civilisation de Văn Lang: 1ère partie]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.