Le bouddhisme vietnamien sous les dynasties Đinh, Tiền Lê, Lý et Trần

Version vietnamienne

Une fois l’indépendance retrouvée, le bouddhisme commença à trouver un écho favorable en la personne du roi Đinh Tiên Hoàng. Celui-ci nomma Ngô Chấn Lưu, disciple du moine Văn Phong de la pagode Khai Quốc (Hànội) en tant que Tăng Thống (Chef suprême du clergé bouddhiste). Il lui décerna le titre de Khuông Việt Đại Sư ( Grand Maître, soutien du pays Việt) pour sa participation aux affaires de l’état en tant que conseiller. Issu de l’école du moine chinois Vô Ngôn Không, Ngô Chấn Lưu fut réputé pour ses connaissances approfondies de la doctrine Dhyana (ou Thiền). Puis l’élan bouddhiste continua à s’affermir avec le grand roi Lê Đại Hành (ou Lê Hoàn). Ce dernier, lors d’une expédition au Champa en 985, réussit à ramener dans son pays un bonze indien (Thiên Trúc) qui était en train de séjourner dans le monastère de Đồng Dương.

C’est sous le règne de ce roi que les moines jouèrent un rôle important dans la vie politique vietnamienne car ils étaient les seuls détenteurs du savoir. C’est le cas du moine Ngô Chấn Lưu chargé par le roi Lê Đại Hành de recevoir une délégation diplomatique chinoise de la dynastie des Song (Tống triều) conduite par l’ambassadeur Li Jiao (ou Lý Giác). Celui-ci, de retour en Chine, fut accompagné par un morceau de chant lyrique (ou từ en vietnamien) rédigé par le moine Khuông Việt lui-même (ou Ngô Chấn Lưu). Outre les documents officiels, ce morceau ayant pour titre vietnamien Ngọc Lang Quy (ou Vương Lang Quy) devint ainsi la première oeuvre littéraire vietnamienne qu’on considère encore aujourd’hui comme un document précieux et important non seulement dans la relation sino-vietnamienne mais aussi dans la littérature vietnamienne. On n’oublie pas non plus l’échange verbal improvisé en sentences par le moine poète Đỗ Thuận, déguisé en sampanier avec Li Jiao.

En voyant deux oies sauvages jouer sur la crête des vagues, Li Jiao se mit à chanter:

Ngỗng ngỗng hai con ngỗng
Ngữa mặt nhìn trời xa
Des oies sauvages, voyez ces deux oies sauvages!
Elles dressent la tête et se tournent vers l’horizon!

Le moine Lạc Thuận n’hésita pas à achever le quatrain sur les mêmes rimes tout en continuant à ramer:

Nước biếc phô lông trắng
Chèo hồng sóng xanh khua
Leurs plumes blanches s’étalent sur les eaux glauques
Leurs pattes roses, telles des rames, fendent les flots bleus.

Le parallélisme des idées et des termes et surtout la rapidité de l’improvisation du moine Lạc Thuận frappèrent d’admiration l’ambassadeur chinois. Ce dernier n’hésita pas à adresser des compliments au roi Lê Đại Hành en le comparant à son roi dans un poème. Selon ce qu’a rapporté Thiền Uyển Tập Anh (Floriflège du jardin du Thiền), avant sa disparition, Khuông Việt rédigea un poème intitulé « Le bois et le Feu » (Cây và Lửa) et destiné à enseigner le dhyana à son disciple éminent thiền sư Đa Bảo:

Le bois contient en essence le feu
Et ce feu parfois renaît
Pourquoi dire qu’il n’y réside pas,
Si le feu jaillit quand on fore le bois.

Il se servit de ce kê (une sorte de stance bouddhique) pour laisser entendre que le bois désigne la personne et le feu, la nature du Bouddha (Phật tính) que la personne en question a toujours dans son coeur. Il évoqua ainsi le problème de la vie et de la mort en rappelant à son disciple de ne pas s’en inquiéter à cause du changement constant de la nature et en lui laissant le soin de trouver sa voie de l’éveil par l’amélioration de ses efforts individuels Le bouddhisme vietnamien trouva son âge d’or sous les dynasties Lý (1009-1225) et Trần (1226-1400) . Selon le chercheur Nguyễn Thế Anh, le Vietnam était essentiellement un pays bouddhiste sous ces deux dynasties comme c’était le cas du royaume theravàda d’Ayutthaya. Mais il y a quand même une dissemblance visible dans la mesure où ce royaume siamois continue à lire les textes bouddhiques en sankscrit et en pali et à considérer le salut comme la résultante des efforts accomplis par l’individu lui-même pour atteindre à la bouddhéité. Quant au bouddhisme vietnamien, il accepte d’emprunter non seulement le chinois classique pour lire ces textes bouddhiques mais aussi la voie collective dans le salut.

Avant d’être le fondateur de la dynastie des Lý, Lý Công Uẩn (974-1028) entama sa jeunesse dans la pagode Cổ Pháp où son père adoptif, le moine Khánh Vân le présenta, à l’âge de 7 ans, à un moine célèbre Vạn Hạnh de l’école Vinitaruci qui deviendra plus tard son conseiller éminent en matière de politique intérieure et de diplomatie. Il nous laissa avant sa mort un kê intitulé Thi Đệ Tử (Conseil aux disciples):

La vie  de l’homme est un éclair sitôt né sitôt disparu
Verdoyant au printemps, l’arbre se dépouille à l’automne
Grandeur et décadence pourquoi s’en effrayer?
Épanouissement et déclin ne sont que des gouttes de rosée perlant sur un brin d’herbe

D’autres moines étaient aussi célèbres que Vạn Hạnh sous la dysnatie des Lý. C’est le cas du moine Không Lô (1016-1094) qui résidait à la pagode Hà Trạch. Il fut connu aussi pour sa participation aux affaires de l’état en tant que Maître du Royaume (Quốc Sư) sous le règne du roi Lý Nhân Tôn. On lui attribue jusqu’à aujourd’hui l’invention de la fonderie vietnamienne. Il appartient à la fois aux écoles Vô Ngôn Thông et Thảo Đường. Sous la dynastie des Lý, la prééminence du bouddhisme favorisa indéniablement la construction d’un grand nombre de pagodes dont la plus célèbre était la pagode au pilier unique ( Chùa Một Côt ). Celle-ci fut restaurée plusieurs fois durant son existence. Selon le chercheur Hà Văn Tấn, il reste peu de pagodes gardant leur style architectural et sculptural datant des dynasties Lý et Trẩn. Cette même observation a été signalée par le roi Lê Thánh Tôn. Elle sera transcrite plus tard sur la face arrière du stèle de la pagode Chùa Đọi lors de son passage: Minh khấu hung tàn, tự dĩ canh ( Giặc Minh tàn bạo làm chùa thay đổ) ( La pagode était dans ce mauvais état à cause de la méchanceté des guerriers Ming).

Contrairement aux rois de la dynastie des Lý, les rois des Trần tentèrent d’unifier toutes les croyances religieuses et locales en une seule religion dominante sous l’égide de leur propre école religieuse Trúc Lâm (Forêt de Bambous). Celle-ci fut plus engagée politiquement que l’école dhyana en Chine. Selon le roi Trẩn Nhân Tôn, fondateur de l’école Trúc Lâm, le bouddhisme devait être au service de la vie sociale autant que de la vie religieuse (đời và đạo). C’est à travers lui que le bouddhisme Trúc Lâm montre sa voie et sa quintessence dans sa doctrine. Etant roi, il sait canaliser l’ardeur populaire et résister vaillamment à deux invasions mongoles avec son peuple. Etant père, il sait éduquer avec rigueur ses enfants, en particulier son fils Trần Thuyên, le futur roi Trần Anh Tôn. Quelques années plus tard (1298), il se retira dans un monastère à Yên Tử pour fonder avec deux autres moines la secte Trúc Lâm. Malgré son engagement au service de la nation et de la vie sociale, le bouddhisme dhyana Trúc Lâm connut de sérieux problèmes en tant que religion d’état. L’autorité du roi pouvait être sapée par les carences inhérentes au bouddhisme: compassion, générosité, amnistie, pardon, largesses accordées aux fondations bouddhiques etc …Un roi bouddhiste n’arrive pas à faire valoir les intérêts de l’état face aux préceptes du bouddhisme car il pourrait manquer à son devoir en accordant la grâce à son ennemi. C’est le cas du roi Lý Thánh Tôn que l’historien Lê Văn Hưu n’a pas hésisté à critiquer ouvertement dans son ouvrage Đại Việt Sử Ký (Mémoires historiques du Grand Việt) pour le pardon accordé au rebelle ennemi Nùng Trí Cao. Pour cet historien, l’ordre politique n’était plus de rigueur.
Parfois les largesses accordées par l’état aux pagodes au niveau des subventions financières et des dons de terrains faisaient de ces dernières de nouvelles institutions plus riches que l’état. Sous les Lý, les meurtres étaient punis de la même manière que les crimes ordinaires. Cela ne permet pas de distinguer le degré de la gravité de la punition mais il provoque au contraire le laxisme latent et le mépris du système judiciaire dans la mesure où le justiciable oublie de soupeser les actes qu’il a commis. En prétendant d’être gouvernés par un pouvoir supérieur, les moines se plaçaient seulement sous l’autorité de leurs supérieurs et se conformaient uniquement aux lois établies par le clergé bouddhique (ou vinaya). Ils étaient en dehors de la portée des lois impériales. C’est pour cette raison que les lettrés confucéens se mirent à montrer leurs préoccupations face au relâchement du système politique et judiciaire et au développement des troubles ruraux chroniques provoqués par les paysans (Nguyễn Bố, Phạm Sư Ôn par exemple ) et par l’offensive chame menée par Chế Bồng Nga sous le règne du roi Trần Dự Tôn (1342-1369). Le mandarin de cour Trương Hán Siêu, sous les règnes de Trần Anh Tôn et Trần Minh Tôn dénonça l’influence grandissante des institutions bouddhistes sur la population des campagnes. L’un des élèves brillants du lettré Chu Văn An, le confucianiste Lê Quát ne lésina pas sur les paroles pour dénoncer ouvertement la croyance bouddhiste de toutes les classes sociales. Le retour à l’ordre confucéen s’avéra nécessaire avec Hồ Qúi Ly, l’usurpateur des Trần. Celui-ci tenta de purifier la doctrine bouddhique en l’an 1396 et mit en place un contrôle plus sévère sur la structure du bouddhisme avec la nomination des laïcs dans la hiériarchie bouddhique. Les moines ayant moins d’une cinquantaine d’années furent obligés de retourner à la vie civile.

L’occupation du Vietnam par les Ming (1407-1428) favorisa le renforcement du confucianisme et de la bureaucratie souhaité par leur politique d’assimilation. Le bouddhisme institutionnel perdit la protection de la cour et son influence politique sous les Lê. Le code de ces derniers témoigna incontestablement de la rigueur confucéenne sur les punitions pour rétablir non seulement la morale mais aussi l’autorité impériale.

Le bouddhisme vietnamien ne cessa pas de décliner sous les Nguyễn lorsque ces derniers s’alignèrent sur les Qing pour adopter un modèle bureaucratique chinois au début du XIXème siècle. Malgré cela, le bouddhisme continue à rester une religion populaire car outre ses préceptes (générosité, affabilité, compassion, méditation etc…), il s’adapte facilement aux mœurs, aux coutumes et aux croyances locales. C’est cette tolérance qui fait de cette religion, au fil des siècles, une philosophie attrayante qui est facilement accessible à tous les Vietnamiens.

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