Les Mường (Version française)

Les Mường

Version vietnamienne

Étant la troisième minorité du Vietnam d’aujourd’hui par le nombre (estimé à 1,4 millions de personnes), les Mường ont été établis de longue date dans les provinces Hoà Bình, Thanh Hoá, Phú Thọ, Sơn La, Ninh Bình etc …

Selon le digne successeur vietnamien de l’ethnologue française Jeanne Cuisinier, Trần Từ (ou Nguyễn Đức Từ Chi), le mot Mường est employé par les Vietnamiens (ou les Kinh ) pour désigner la région où il y a plusieurs villages mường. Les Vietnamiens profitent de cet usage pour nommer ce peuple. Celui-ci se désigne souvent par un nom lié à la région où il habite: mol, moan à Hoà Bình, mwanl à Thanh Hoá ou Mol, Monl à Thanh Sơn et signifie avec exactitude « người » (personne, individu).

En se plongeant dans le récit de leur mythe de création (Ngu Kơ et Lương Wong) et celui des Vietnamiens (Âu Cơ -Lạc Long Quân) , on s’aperçoit qu’ils pourraient être issus du même peuple que l’histoire et la géographie auraient scindé en deux groupes vers le IX-Xème siècles, le premier constitué des Vietnamiens descendus dans la plaine et subissant une forte influence chinoise, l’autre composé des Mường restés dans les coins les plus refoulés des régions montagneuses et recevant une forte influence de la part  des Thaï refoulés en masse au sud du territoire chinois. C’est pourquoi les Mường continuent à être plus proches des Vietnamiens par la langue. Ils sont dans le même groupe Việt-Mường de la langue austro-asiatique ( Ngữ hệ Nam Á ) à laquelle appartient aussi la sous-famille môn-khmer. C’est l’origine des tons du vietnamien (6 tons) qui permit au savant français A.G. Haudricourt d’affirmer dans ses travaux en 1954 l’appartenance du vietnamien aux langues austro-asiatiques, opinion communément partagée aujourd’hui par un grand nombre de chercheurs étrangers et de linguistes vietnamiens. L’ethnologue français Christine Hemmet du Musée de l’homme (Paris), a réitéré cette appartenance lors d’une conférence du 18 Mai 2000 sur la pluralité ethnique, multilinguisme et développement du Vietnam. Puis ce groupe việt-mường se divisa en deux langues indépendantes: le vietnamien et le mường du XIVème  au XVIème siècle. Avec les emprunts chinois et français, le premier réussît à connaître au début du XXème siècle un prodigieux développement avec son quốc ngữ dans le domaine de la littérature vietnamienne où il parvint à exprimer toutes les nuances de la pensée et du sentiment dans tous les aspects de la vie (1). Quant au second, il était à l’écart de l’influence étrangère et restait dans l’état où il devient ce qu’on a aujourd’hui. On trouve dans cette langue mường, celle des Vietnamiens d’autrefois (ou des Proto-Vietnamiens).

Pour les Mường, les Vietnamiens ( ou les Kinh) sont issus des parents communs et ont le même sang qu’eux. C’est pourquoi ils sont habitués à dire dans l’une de leurs chansons populaires les deux vers suivants:

Ta với mình tuy hai mà một
Mình với ta tuy một thành hai

Bien que moi et vous soyons DEUX êtres, nous ne faisons qu’UN.
Etant UN seul être, moi et vous pourrions être considérés toujours comme DEUX.

C’est aussi dans l’une des légendes mường (Đức Thánh Tản Viên) qu’on retrouve les luttes répétées des génies de l’eau et des montagnes évoquées par les Vietnamiens dans leur légende célèbre « Sơn Tinh Thủy Tinh« . Cela montre bien à tel point que les Vietnamiens et les Mường, malgré leurs destins différents, sont si proches que même leurs légendes ne soient pas tellement distinctes. Deux rois vietnamiens célèbres étaient issus des Mường (Lê Đại Hành et Lê Lợi). Par contre, au niveau d’organisation sociale et culturelle, les Mường sont plus proches aujourd’hui des Thái et des Tày.

Le territoire habité par les Mường est divisé en régions (ou mường) dont les chefs sont des seigneurs appelés « lang cun » et dont chacune a 20 ou 30 hameaux. Ceux-ci sont dirigés par des « lang đạo », des descendants des héros bâtisseurs de ces hameaux et sont appelés en fonction de leur situation topographique: Xóm Ðác ( hameau à côté d’une chute d’eau), Xóm Ðung ( hameau tout près de la forêt), Xóm Ðôn ( hameau sur une colline), Xóm Thung ( hameau sur une vallée ) ou ou en fonction du nom des arbres fruitiers et familiers: Xóm Trạch (hameau bambou), Xóm Mít (hameau jaquier) etc … ou en fonction des noms des animaux: Xóm Hò ( hameau Tortue), Xóm Oong (Hameau Abeille) etc.. ou en fonction des catégories de la société mường: Xóm Chiềng ( hameau où vit le lang cun (ou seigneur féodal)), Xóm Roong ( hameau appartenant à des cultivateurs ). On voit apparaître dans la société traditionnelle des Mường, l’établissement d’une oligarchie. Ce système qu’on appelle en vietnamien NHÀ LANG, est basé essentiellement sur le droit du premier occupant à posséder la terre, les bois, les rivières, à les fructifier et à les léguer toujours aux descendants aînés de la lignée mâle de génération en génération dans le respect de la tradition observée dans le culte des ancêtres des Mường. Cela permet à NHÀ LANG de contrôler pratiquement les trois quarts des terres qui sont cultivés et entretenus par des rotations périodiques d’équipes de villageois corvéables et d’accorder à ces derniers le droit d’exploiter en compensation le quart des terres restant. Malgré ces lacunes, on ne peut pas nier qu’il existe une relation assez démocratique entre NHÀ LANG et les Mường.

En comparaison avec le système foncier féodal vietnamien de cette époque, NHÀ LANG des Mường a des facteurs de progrès indiscutables car elle défend non seulement ses droits maix aussi ceux des Mường. Il doit aider les villageois mường en cas de sécheresse, de famine ou de mauvaises récoltes. Il doit rendre des comptes au cas où son lang cun a un comportement indigne de son rang. C’est le cas du fils de ce dernier commettant un acte déshonorable en violant par exemple une villageoise ou en se bagarrant dans la rue. On peut aller jusqu’à la destitution du lang cun si celui-ci n’assume pas correctement son autorité et ses devoirs. Dans ce cas, les villageois peuvent faire appel à NHÀ LANG pour son remplacement. C’est aussi le cas où le lang cun n’a pas d’héritiers mâles. Cela revient aussi à NHÀ LANG la charge d’organiser les festivités concernant les récoltes et les ripailles liées aux cultes des génies. Par contre il y a des règles que les villageois mường ne peuvent pas ignorer. Ils ne peuvent pas épouser une fille de NHÀ LANG car celle-ci ne peut que choisir les gens de son rang et issus de NHÀ LANG. De même une villageoise qui est choisie par hasard comme épouse par le lang cun et qui a des enfants avec ce dernier ne peut pas prétendre jouer un rôle important dans le NHÀ LANG.

Ses enfants ne peuvent pas devenir des lang cun car cette fonction est réservée uniquement pour les descendants aînés de la lignée mâle dont la mère doit être une fille issue de NHÀ LANG. Les membres de celui-ci sont respectés même s’ils sont jeunes. Quel que soit l’âge de l’enfant, un villageois doit l’appeler respectivement par « Chàng » ou « Nàng » lorsqu’il est un garçon ou une fille de NHÀ LANG. La hiérarchie est tellement respectée qu’il est possible de connaître l’appartenance de la personne en question. De plus, ce système permet d’attribuer aux lang cun le monopole de certains noms (Ðinh, Hà etc..). Il fut supprimé dans les années 50 par le gouvernement vietnamien lors de l’organisation des  coopératives agricoles. Malgré cela, ce système constitue l’un des traits originaux de la société traditionnelle des Mường et reste l’une des traditions qu’on ne peut pas ignorer quand on parle des Mường. Pour insinuer ce système, les Mường ont l’habitude de dire: Mường có lang, làng có tạo. (Les régions ont des lang comme les villages des tạo (ou Đạo en vietnamien)). On se sert de LANG ĐẠO pour désigner ce système.

Les Mừơng ont l’habitude de choisir les basses terres et les terrains accidentés pour construire leurs maisons. Celles-ci sont adossées d’une manière générale aux flancs des collines et des montagnes pour bénéficier de l’air pur et pour faciliter le déplacement au niveau de la chasse et la cueillette. Ces maisons possèdent chacune une toiture à 4 pans ressemblant à la carapace des tortues. Leur maison se dresse sur des pilotis très bas et est construite sur 3 niveaux. Cela correspond bien à la conception de création de l’univers des Mường: un monde céleste et terrestre ( thiên giới và trần giới ), un monde marin (thủy quốc) et un monde souterrain (âm phủ). Le premier niveau est réservé au stockage des aliments. Il est en quelque sorte le grenier. Le deuxième niveau correspond bien à l’endroit où les activités familiales prennent place et où on reçoit les visiteurs. Quant au dernier niveau situé au dessous du plancher, il est destiné à élever le bétail et à ranger les outils agraires.

La construction de leur maison doit répondre aux exigences matérielles aussi bien que spirituelles. Pour les Mường, la fenêtre de la pièce (voong tong) où est situé l’autel des ancêtres est très sacrée. Aucun n’a le droit de s’appuyer sur cette fenêtre ou de faire passer les objets à travers de celle-ci car selon les Mường, les ancêtres ne sont pas autant coupés des vivants. Ils continuent à participer avec eux aux grandes occasions de leur existence. De plus, les 2 escaliers de la maison ont chacun un nombre impair de marches. L’escalier principal, est tout proche de la pièce d’entrée (voong toong) et il est réservé uniquement pour les hommes. Quant aux femmes, elles sont obligées de prendre le second escalier qui n’est pas loin de leur pièce intérieure (voong khua). Les Mường improvisent d’ingénieux systèmes hydrauliques (roue, rigole etc … ) pour canaliser et faire monter de l’eau dans le but d’arroser les extraordinaires rizières en terrasses  sur les pentes des collines. Ils pratiquent aussi la culture sur brûlis, ce qui leur fournit le benjoin, la canne à sucre, le manioc, le maïs etc…

Comparés à d’autres minorités ethniques, les costumes mường sont tout à fait uniques. Les hommes sont très simples dans l’habillement. Ils portent un pantalon de couleur indigo. Par contre le vêtement des femmes mường est plus compliqué.

D’une manière générale, on trouve dans le costume traditionnel des femmes: un turban blanc ou bleu (mu) fait d’un carré d’étoffe de dimension 35cm x150 cm attaché par derrière au niveau de la nuque, une camisole (yếm ou ạo báng), une chemise courte (áo cánh ou ạo pắn en langue mường ), une jupe longue et noire (váy ou kloốc en langue  mường) descendant jusqu’à la cheville et une  large ceinture en soie ou en tissu.

Etant de couleur blanche, vert pâle ou rose, la chemise courte mường a 4 pans dont les deux situés à l’arrière sont très bien cousus et les deux situés en avant ont chacun un longue bordure allant du cou jusqu’à l’ourlet de la veste. Analogues aux Vietnamiennes, les femmes mường se servent des chemises courtes ayant un cou assez rond et mesurant à peu près 2,5 cm ou 3 cm et deux manches longues. Etant ouvertes sur le devant et souvent non boutonnées, ces chemises sont destinées à couvrir la camisole dont l’ourlet inférieur est rangé soigneusement derrière la large ceinture de la jupe (cạp váy) en soie ou en tissu rugueux illustrant bien le charme folklorique et la séduction. C’est la particularité majeure retenant l’attention  dans les  costumes féminins mường.

On trouve dans la constitution de cette large ceinture trois bandes rectangulaires à riches ornements appelées respectivement « dang trên », « dang cao » et  « dang dưới » qui sont cousues  solidement ensemble. La bande « dang dưới » se distingue des deux autres par la richesse des motifs représentant des animaux hiératiques (dragons, phénix, tortues etc..) ou familiers (serpents, grues, poissons etc ..). La tunique (ạo chụng) est préférée à la place de la veste lors des jours de fêtes. La couleur de la tenue change en fonction du statut de la femme mường. Pour son mariage, elle doit se vêtir d’une longue tunique de couleur verte tandis que la couleur blanche est réservée pour sa demoiselle d’honneur (dâu phụ). Les vêtements funéraires (đồ tem) sont confectionnés toujours à l’envers avec les ourlets inférieurs effrangés.

Parmi ceux-ci, il y a un bonnet de deuil, une jupe dépourvue de la large ceinture rectangulaire aux multiples couleurs, une chemise courte de couleur blanche et une ceinture en tissu rugueux. En cas de deuil des beaux-parents, la mariée mường doit porter usuellement une jupe noire, une camisole, une chemise courte et une veste  en brocart rouge. Les Mường ont l’habitude de dire: Diện như nàng dâu đi quạt (1) (S’embellir à  la manière de la bru au moment des funérailles). Le port de la tenue reste le même à l’exception de la chemise courte qui doit posséder la couleur blanche lorsque les parents de la mariée sont encore en vie.

Pour montrer leurs différences avec les Vietnamiens, les Mường ont un proverbe très connu:

Cơm đồ, nhà gác, nứớc vác, lợn thui, ngày lùi, tháng tới.
Rit cuit à la vapeur ou à l’étouffée, maisons sur pilotis, eau contenue dans le tube en bambou porté sur l’épaule, porc cuit à la broche, jour en retard et mois en avance.

Ce sont les coutumes caractéristiques des Mường qu’on ne trouve pas chez les Vietnamiens d’aujourd’hui. Les Mường préparent la plupart des aliments et des gâteaux à partir du riz: riz glutineux (lõ kẳm) (2) riz cuit à l’ordinaire (gạo tẻ). Il y a plusieurs types de gâteaux : gâteau de riz (bánh chưng) durant les fêtes du Têt, gâteau bánh bò ou bánh trâu en l’honneur du génie-buffle (vía trâu), gâteau uôi pour les funérailles, gâteau bắng pour le mariage, gâteau ống pour les fiançailles etc…

Pour le calcul des jours et des mois, les Mường s’appuyent sur le calendrier Ðoi qui est différent de celui des Vietnamiens. Ðoi est une étoile qui s’avance plus vite que la lune. En se basant sur le déplacement de cette étoile, leur calendrier Ðoi est en avance de 4 mois sur le calendrier lunaire des Vietnamiens.

Analogues aux Vietnamiens, les Mường ont une maison communale (đình) réservée pour le génie tutélaire (ou thành hoàng) dans chaque hameau ou village. Ils croient à l’existence d’un grand nombre d’esprits malfaisants qui hantent les forêts et qu’ils appellent ma-khũ (ou ma qũi en vietnamien). Ceux-ci sont des âmes désincarnées errant dans le monde des morts et celui des vivants et pouvant causer des soucis aux humains.

Pour les Mường, il y a dans un être humain plusieurs âmes qu’ils nomment wại. Celles-ci se divisent en deux catégories:  wại kang (les âmes fastueuses) et wại thặng (les âmes dures). Les premières sont supérieures et immortelles tandis que les secondes, attachées au corps, sont mauvaises. La mort n’est que la conséquence de l’évasion de ces âmes. Grâce au rite funéraire (ma chay), les âmes supérieures peuvent résider au ciel. Elles auront besoin d’être accompagnées par le concours et la sollicitude de la famille durant leur périlleuse migration. C’est ce qu’on trouve dans l’affection et l’attachement que Les Mường réservent particulièrement au défunt par un ensemble des règles d’habillement, de décoration et d’accompagnement du cercueil (un tronc de bois fendu en deux et évidé) . Grâce à l’accomplissement du dernier rite, les âmes reposeront en paix sinon les âmes dures pourront être néfastes et maléfiques en devenant ainsi des esprits flottants et dangereux (Ma). Ce rite funéraire (mo tang) peut durer plusieurs jours (12 jours au moins) et nécessite la présence d’un sorcier (ou mo en langue mường).

 Selon les Mường, le défunt possède une force surnaturelle qui empêche les vivants de lui communiquer et de l’aider matériellement ou spirituellement. C’est thầy mo (ou le sorcier) qui peut le faire seulement. C’est à lui la charge de guider, avant l’enterrement, l’âme du défunt dans toutes les démarches administratives auprès du seigneur céleste (Chạo Hẹ) pour obtenir un jugement. Celui-ci sera rendu dans un panier de cendres déposé à l’entrée de la porte de la maison, à l’endroit où le défunt devra rentrer chez lui. Il y a un procès car durant son existence, le trépassé a sacrifié beaucoup d’animaux pour sa consommation.

En fonction du verdict du jugement révélé grâce à l’interprétation  des signes ou à des empreintes par le sorcier, il pourra être condamné à se réincarner dans le corps d’un de ces animaux sacrifiés ou mener désormais une vie en paix. Le sorcier occupe une place importante dans le rite funéraire des Mường. C’est lui qui accompagne l’âme du défunt pour aller chercher de l’argent dans la maison du grand-père paternel (ta keo heng), emprunter ensuite les vêtements à la maison de Thiên mư, s’inscrire dans le registre des fantômes (sổ ma) pour faciliter le déplacement et procurer enfin des objets usuels indispensables dans le monde des fantômes. C’est aussi lui qui donne à l’âme du défunt le dernier repas et qui l’aide à déménager la nuit ses affaires dans la sépulture. On y trouve un grand nombre d’objets : bols, plats, jarres d’eau etc… et des tambours de bronze pour un lang cung (ou seigneur féodal). Puis c’est aux enfants de ce défunt d’organiser à la fin du troisième jour d’enterrement, une cérémonie célébrant le retour de son âme à la maison avant de pouvoir commencer son culte. Celui-ci permet au défunt d’être présent désormais dans toutes les grandes occasions et dans tous les festins animant le quotidien: mariages, fêtes du nouvel an, inauguration d’une maison etc… ). Analogues aux Vietnamiens, les Mường célèbrent l’anniversaire de la mort du défunt avec solennité et ils portent le deuil. Le défunt fait partie désormais des ancêtres qui ont été honorés sur l’autel familial jusqu’à la cinquième génération. Le culte des ancêtres est très important dans la vie spirituelle des Mường.

Ma Chay

Analogues aux autres minorités ethniques du Vietnam, les Mường sont des animistes. Ils pensent que toute chose possède une âme. C’est pourquoi on trouve dans leur culte un grand nombre de génies, de dieux et d’esprits malfaisants ou non. Même dans chaque famille mường, il existe un esprit bienveillant (ou bien le démon des ancêtres (ma tổ tiên)) censé de protéger la famille. C’est pourquoi il y a une tradition que les Mường doivent respecter après l’annonce du décès d’un de leurs proches. Le fils aîné du défunt doit frapper trois fois de suite la porte de la maison du trépassé avec un couteau pour blâmer l’attitude du démon familial de ne pas intervenir à temps dans la mort de son père. Avant d’abattre de gros arbres dans la forêt, les Mường présentent une offrande au génie des arbres (Thần cây) en même temps que la hache qui doit leur servir pour ce travail. Même en tuant une gibier à la chasse, ils sont obligés de rendre hommage au génie des fauves en lui offrant la tête et une épaule, une fois la bête dépecée. C’est en quelque sorte une amende honorable au protecteur des fauves, une coutume fréquemment rencontrée chez d’autres peuples chasseurs. Les Mường ont coutume de vénérer les roches, les citrouilles rouges au moment de leur installation dans la nouvelle maison (lễ tân gia), l’arbre cây si, les totems de famille, les sources d’eau, les génies du sol et de la cuisine etc..

Chez les Mường, la résurrection et la réincarnation de l’âme sont des sujets  tabous. Pour eux, l’âme est multiple, indestructible et immortelle, bonne ou mauvaise. Dans cette conception mường, la naissance d’un enfant est entourée de mystère. Ils se sont posé beaucoup de questions sur son identité: enfant, génie, esprit malfaisant ou mânes des ancêtres?

De plus, pour les Mường, la naissance du premier enfant, marque le début de maturité de jeunes parents. Ils comptent aussi sur leurs enfants afin de pouvoir avoir plus tard une paisible retraite. Le dicton mường suivant montre à tel point ce soutien souhaité:

Trẻ cậy cha, gìa cậy con
Les jeunes comptent sur leur père comme les vieux sur leurs enfants.

LA NAISSANCE

C’est pourquoi la naissance d’un enfant tient une place importante dans la vie des Mường. Pour parer à toute éventualité, les Mường prennent un grand nombre de précautions habituelles et rituelles liées à la grossesse et à la naissance. Au moment où la mère est enceinte, elle doit respecter certaines règles immuables depuis la nuit des temps: se protéger contre les esprits malfaisants avec une feuille d’arbre lors de son passage devant les cimetières et les temples, éviter les funérailles (un effet néfaste pour la mère et son futur enfant au niveau de la santé) et les mariages (un possible divorce pour les parents ), s’abstenir de marcher sur l’écorce de l’arbre utilisé dans la fabrication des cercueils (un possible avortement ), ne pas fuir devant le serpent pour empêcher le nouveau né d’avoir une langue allongée hors de sa bouche, éviter de manger des fruits « jumeaux » (une possible naissance multiple), faciliter l’accouchement en se réveillant de bonne heure le matin et en ouvrant toutes les portes de la maison, garder toujours la sérénité et la joie, éviter la colère etc…

De même, le mari doit connaître un grand nombre d’astreintes. Il lui est interdit de porter le cercueil, de remplacer la toiture de la maison, et de rénover la maison. A l’approche de son accouchement, la femme mường enceinte n’a pas l’intérêt de fréquenter la maison de ses parents car au cas où l’évènement aura lieu, elle sera obligée d’accoucher l’enfant sous le plancher à l’endroit où se trouve le bétail. Selon les Mường, la femme enceinte ne fait plus partie de leur famille (Con gái là con của người ta) mais elle est la fille de la famille de son mari. L’enfant né n’a pas le même sang de la famille (khác máu tanh lỏng). Cela pourra jeter plus tard un sort pour les gens de la maison. Pour une fille qui tombe enceinte sans mari, son accouchement ne pourra pas avoir lieu dans la maison. Il devra se tenir dans le jardin. La punition est la même pour la fille commettant la faute de tomber enceinte avant son mariage.

D’une manière générale, l’accouchement se déroule à la maison. L’heureux évènement de la naissance est annoncé par la présence d’un signe distinctif rangé toujours à gauche (s’il s’agit d’un garçon) et à droite (s’il s’agit d’une fille) à l’entrée de la maison. Ce signe sera enlevé à la fin du septième jour pour un garçon et neuvième jour pour une fille. Parfois, l’intervention du sorcier (thầy mo) est souhaitable au cas où on pense avoir affaire à des esprits malfaisants et à les tenir responsables de ces difficultés.

Il y a beaucoup d’astreintes pour la femme mais aussi pour le mari durant la grossesse.  Même après la naissance, l’enfant continue à être la cause des plus grands maux pour ses parents durant ses premières années de vie. Selon les Mường, l’âme attachée à son corps est tellement volage et vagabonde qu’elle peut s’évader de son corps à tout moment. C’est pour cela que l’enfant, avant de sortir de la maison, a besoin d’être protégé en lui accrochant à ses poignets ou à ses chevilles un bracelet d’argent (pwok wai) dont le rôle sert à empêcher son âme de sortir. Au cas où cette dernière quitterait son corps, ce bracelet lui permettrait d’y revenir et de prendre possession de l’enfant. De plus pour s’assurer que rien ne lui arrive durant ses premières années, ses parents mường organisent une cérémonie rituelle connue sous le nom cak wai pour lui permettre d’être désormais sous la protection des génies protecteurs Mẹ Mụ. Ceux-ci sont en quelque sorte les nourrices célestes de l’âme de l’enfant. Les Mu ont le droit d’avoir dans chaque maison mường, leur autel qui a été inauguré après la première naissance.

On ne peut pas ignorer la relation entre mari et femme chez les Mường car elle est l’un des traits saillants permettant à ces derniers d’acquérir des qualités louables et de fonder une société à la fois pacifique, humaniste, hospitalière et altruiste.

Etant basée essentiellement sur la fidélité, l’amour et le bonheur, cette relation permet de cimenter la société mường et lui permet de résister mieux à l’évolution des mœurs qu’a connue le Vietnam depuis sa réunification.

Malgré les facilités de pouvoir se parler, se fréquenter et se connaître avant le mariage, les jeunes ne peuvent pas outrepasser les principes et les exigences que la tradition mường a instaurées depuis la nuit des temps. Un homme doit être à la fois sérieux, fort, droit et gentil. Ce sont les qualités qu’on demande à un homme pour pouvoir se marier sinon il lui est difficile de trouver une femme dans la société mường. « Học ăn, học nói, học gói, học mở » (Apprendre à se comporter, à parler, à affronter et à dénouer les difficultés de la vie) c’est la devise qu’on aimerait appliquer dans la recherche d’un futur mari pour une fille mường. Un homme doit savoir construire la maison, tresser les panneaux de toiture en paille, élever le bétail etc … On est habitué à dire aussi dans un proverbe mường: Một đàn ông không dựng nổi nhà (un homme est incapable de construire la maison ) pour montrer à tel point leur attachement à cette opinion préconçue. Cette exigence est facile à comprendre car dans un environnement inhospitalier et dans une société à la fois solidaire et hiérarchique, un homme mường doit montrer sa capacité et être à la hauteur de cette exigence. Quant à la femme mường, elle n’est pas bien lotie non plus. On lui demande de posséder certaines qualités: avoir une bonne conduite, parler avec douceur, être courtoise, savoir se confectionner des habits etc…

MARIAGE

Hantés par le proverbe suivant  » Một đàn bà không cắt nổi gianh » (Une femme est incapable de couper le panneau en chaume), les Mường sont amenés à avoir un jugement plus clairvoyant sur leur future belle-fille et à déceler ses qualités et ses défauts avec lucidité. La devise « Lấy vợ xem tông, lấy chồng xem họ » (Epouser une femme après avoir observé sa lignée, chercher un mari après avoir connu sa famille) n’est pas étrangère non plus à leur comportement et leur observation dans le mariage. Pour réussir ce dernier, ils ont besoin de l’aide d’une entremetteuse (bà mờ) (1) qui est en quelque sorte le pivot central dans cette affaire ardue. Elle est non seulement l’interface privilégiée de deux familles mais aussi la responsable et le témoin engagé des transactions émanant de ces deux familles. Elle doit être proche de la famille de la future mariée. Elle doit avoir du talent dans la communication pour convaincre les gens. Le proverbe mường suivant: » Thiếu gì nước trong giếng, thiếu gì tiếng trong mồm mà không nói ra cho vừa lòng nhau » (Il y a tellement de l’eau dans le puits comme des sons dans la bouche. Pourquoi n’arrive-t-on pas à trouver des mots pour se plaire ?) montre  l’attachement des Mường à tel point à la communication. Son respect est incontestable dans le village. Son profil répond à un grand nombre de critères que la tradition mường exige: avoir une vie irréprochable dans son couple et dans sa famille. Il est évident pour elle d’avoir comme enfants garçon et fille d’après un proverbe mường: có nếp, có tẻ ( il y a du riz gluant et du riz ordinaire ). Avant d’entamer sa démarche auprès de la famille de la femme, elle doit consulter le calendrier Đoi (2) car selon les calculs, il y a certainement des mois et des heures néfastes dans le jour (tháng thướm, giờ thướm ) qu’il faut éviter à tout prix pour le mariage. C’est aussi le cas des Vietnamiens avec le mois « Ngâu » qu’ils ont à proscrire pour cet évènement. Elle est censée de connaître la date de naissance de chacun des mariés afin d’éviter plus tard le problème d’incompatibilité et la mésentente du couple. En cas du divorce ou d’échec, c’est sur elle que seront tombés tous les griefs et les reproches de deux côtés. De plus, elle recevra le blâme du seigneur local (quan lang).

Après l’obtention de tous les éléments d’information et le feu vert de la famille du mari, l’entremetteuse peut commencer à fixer le premier rendez-vous (Thoỏng thiếng ou ướm tiếng ) avec la famille de la future mariée. Celle-ci doit aviser tous ses proches de cet heureux évènement et leur demander parfois des conseils. Lors de cette visite, elle a l’habitude de remettre à la famille de la fille une bouteille de vin qui va être accrochée tout de suite à l’intérieur de la maison à la colonne principale. Si cette bouteille de vin aura été servie après l’entretien, l’entremetteuse sera sûre de la réussite de sa mission. Dans le cas contraire, elle sera partie avec la bouteille de vin. Connue sous le nom en mường « Tì kháo thiếng », cette étape est suivie au moins 3 ou 4 fois par le va-et-vient (ou nòm en mường) de l’entremetteuse qui ne parvint pas à obtenir immédiatement l’accord pour la première fois. Il est dans l’intérêt de la famille de la future mariée de montrer à l’entremetteuse qu’il s’agit d’un fait important nécessitant une période de réflexion et de concertation avec la fille. Cela permet à approfondir les relations entre les deux familles et à les rendre plus intimes par le biais de l’entremetteuse.

Grâce aux va-et-vient (ou nòm), on s’assure de trouver en mari et femme toutes les qualités requises. C’est à la fin du dernier nòm, on commencera à choisir la date pour fêter le « nòm cả » (nòm principal). Connue sous le nom de « ăn hỏi ou tì nòm », cette cérémonie est célèbrée en grande pompe. On trouve dans les présents du futur mari un grand nombre d’objets symboliques parmi lesquels figurent un cochon, 20 tubes de liqueur de riz (rượu cần), 2 paires de bottes de canne à sucre, des feuilles de bétel, des gâteaux de riz gluant (bánh chưng) sans garniture (không nhân), une beauté morale et une convention tacite sur la virginité de la future mariée. Tous les cadeaux offerts doivent être en nombre pair. C’est lors de cette cérémonie que le futur mari sera présenté à la famille de la fille. Cette présentation est connue sous le nom mường: ti cháu ( lễ ra mắt chú rể). A la fin de cette cérémonie, la famille de la future mariée parlera de la dot aux parents du futur époux. Connue en mường sous le nom de « thách cưới (défier le mariage) », elle est acceptée avec facilité par ces derniers pour montrer qu’ils sont à la hauteur de cette exigence financière et pour ne pas perdre la face. C’est à l’entremetteuse le soin de marchander le coût de la dot, de le réduire ou de refuser carrément le mariage. Parfois, le futur époux sera assuré par la promesse de la famille de la fille de recevoir une part de l’héritage au cas où celle-ci n’a pas d’héritiers mâles.

Connue pour ses études sur les Mường, l’ethnologue française Jeanne Cuisinier a vu dans ce marchandage un acte d’achat pour les mariés. Rien ne permet de justifier entièrement cette interprétation car du côté de la famille de la fille, il y a bien un acte d’engagement, une caution morale pour ce mariage avec la participation de toute sa lignée et une sincérité de vouloir pérenniser la vie du couple par le biais de cette exigence financière ardue. En cas du divorce, la famille de l’épouse devra restituer intégralement toute la dot reçue au moment du mariage. C’est une contrainte supplémentaire permettant d’éviter la séparation et de mûrir bien la réflexion avant tout acte irréparable. C’est aussi l’un des facteurs qui permettent d’expliquer la cohésion familiale et sociale des Mường par rapport à d’autres ethnies, en particulier à des Kinh. De plus, pour le futur époux, il y a une promesse de lui céder une part de l’héritage et une habitude de l’adopter dans une famille n’ayant pas des héritiers mâles. Ce n’est pas vraiment la signification du terme d’achat trouvé dans sa définition car le futur époux recevra en compensation une dot quand même.

Selon la tradition mường, la cérémonie officielle aura lieu après 3 ans du nòm principal. C’est la période durant laquelle les futurs mariés devront se connaître, s’échanger des conversations et aplanir les divergences dans le but de faciliter plus tard la vie du couple. Cette fois, la cérémonie commence très tôt le matin car l’entremetteuse accompagnée par les proches du mari doit ramener un grand nombre d’objets et d’animaux répondant à l’exigence formulée au moment du nồm principal. (un buffle, deux cochons, 5 ou 6 paniers du riz gluant, un régime de noix d’arec, une centaine de feuilles de bétel, 20 tubes de liqueur de riz etc..). Le nombre de gens composant la suite doit être pair. Etant reçue par la famille de la mariée et participant avec les autres à une fête organisée en leur honneur, l’entremetteuse va demander aux parents de la mariée la permission de ramener leur fille à la maison de son mari à l’heure jugée convenable et portant la chance pour les mariés. Avant son départ, la mariée doit prier devant l’autel des ancêtres puis elle doit effectuer des lạy devant ses grand-parents ainsi que ses parents. Sur le chemin de retour, elle porte un chapeau conique et a toujours dans sa main un couteau pour éloigner les esprits malfaisants et protéger son « âme ». Il lui est interdit de retourner la tête en arrière. Cela prend du temps car dans la plupart des cas, les villages sont très éloignés les uns des autres. C’est pourquoi on est habitué à dire en mường: Làm rể vào buổi trưa, làm dâu vào buổi tối. (On devient le gendre  le matin, la bru le soir ).

Une fois arrivée sur place, elle est accueillie par la soeur du mari qui lui demande d’aller laver les pieds et de passer au dessus d’un fagot de bois avant de monter sur l’escalier de la maison. Elle est obligée d’aller prier tout de suite devant l’autel du génie de la cuisine avant d’effectuer le même geste devant l’autel des ancêtres et les parents du mari. Puis une cérémonie rituelle (lễ tơ hồng) a lieu au milieu de la maison en présence des mariés. Elle sera suivie ensuite par un festin en l’honneur du nouveau couple. Quelques jours après, celui-ci retournera à la maison de la mariée pour sa première visite ( lễ ra mặt). Dans le passé, il faut une période du défi (bù mà ruộng) avant de pouvoir entamer réellement la vie conjugale.

Pour les Vietnamiens, les Mường ne sont pas seulement une ethnie minoritaire mais aussi un peuple conservatoire d’une culture commune originelle. C’est pourquoi, il est dans l’intérêt des Vietnamiens de faire des études ethnographiques sur les Mường car grâce à eux, ils réussirent à comprendre mieux le genre de vie de leurs ancêtres ainsi que leur culture archaïque et millénaire. L’ethnologue vietnamien Nguyễn Từ Chi a eu l’occasion de rappeler les traits caractéristiques des Mường dans la culture Việt dans son livre « La cosmologie Mường ( Vũ trụ quan Mường ) ». Sans les Mường, on croit que la culture vietnamienne est celle des Chinois, une opinion largement fausse et erronée au fil des siècles. Ils méritent d’être pour toujours les cousins des Vietnamiens ou plutôt les frères jumeaux comme ils ont eu l’habitude de dire souvent dans l’une de leurs chansons populaires:

Ta với mình tuy hai mà một
Mình với ta tuy một thành hai

Bien que moi et vous soyons DEUX êtres, nous ne faisons qu’UN.
Etant UN seul être, moi et vous, nous pourrions être considérés toujours comme DEUX.

Les Mường sont plus que jamais les survivants de la culture antique des Vietnamiens. Ils sont là pour en témoigner et pour rappeler aux Vietnamiens qu’ils ont comme eux une culture propre qui leur permet de se différencier des Chinois et qui mérite d’être connue et préservée pour les futures générations face à l’évolution galopante de la société vietnamienne d’aujourd’hui.


(1) quạt: ce mot est utilisé pour désigner les funérailles (quạt ma).
(2): Le riz glutineux est une sorte de riz dont le grain est noir.
(1) Parfois c’est un entremetteur (ồng mờ).
(2): Calendrier Đoi: une caractéristique unique de la culture Mường. Ce calendrier est constitué de douze pièces en bambou et sculpté avec des lignes dans le but de faciliter l’indication des phénomènes et des changements climatiques.

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