Les Bahnar (Dân tộc Bà Na): 1ère partie

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Version vietnamienne

Première partie

Les Bahnar font partie du groupe Môn-Khmer de la famille ethnolinguistique austro-asiatique. Ils vivent regroupés dans la partie septentrionale des hauts plateaux du Centre Vietnam (Kontum, Gia Lai, Bình Định etc …) à l’écart des gens de la plaine qui à une certaine époque, les ont traités encore comme de sauvages ( ou Mọi en vietnamien). Cela est dû à la méconnaissance de leur culture qui conduit à entretenir cette attitude déplorable et cette vision grotesque. Même les explorateurs français ne cessèrent pas de les désigner comme des Mọi dans leurs récits d’exploration à l’époque coloniale. 

Il n’y a que les ethnologues comme feu Georges Condominas ayant réussi à les reconnaître comme des gens respectueux de la nature et de l’environnement, des gens épris d’un sentiment profond en accord avec le milieu où ils habitent et où tous les êtres (plantes et animaux), monts et eaux, ont une âme comme eux. Les Bahnar vivent dans les régions montagneuses à de diverses altitudes. Ils font pousser du riz sur les champs secs ou sur les rays. (brûlis). Ceux-ci nécessitent souvent le déplacement des plantations et celui des villages car les cendres de l’essartage ne permettent pas de fertiliser la terre au delà de deux ou trois ans à cause de la pluie qui les entraîne lors de son passage. Les récoltes sont abondantes pour la première année de l’incendie.

La deuxième année commence à être moins bonne. Dans de mauvaises conditions, il est impossible de garder le champ au delà de deux ans. C’est pourquoi les Bahnar ont tendance à utiliser les champs secs qui sont aménagés souvent au bord des cours d’eau. La houe est l’outil principal utilisé dans leur agriculture mais depuis le début du XXème siècle, le recours à la charrue dans les rizières inondées est fréquent de plus en plus. 

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Leurs croyances religieuses et leurs mythes sont similaires à ceux des autres groupes ethniques rencontrés au Vietnam. Animistes, les Bahnar vénèrent les plantes comme les banians et les ficus. Le kapokier est considéré comme le gardien et sert de pôle de sacrifice dans la célébration des rites et des cérémonies. Chaque rivière, chaque source d’eau, chaque montagne ou chaque forêt, chacune d’elles a son propre génie (ou iang). Les Bahnar séparent les génies en deux catégories: les génies de rang supérieur et les génies de rang inférieur. Les premiers sont les dieux qui ont crée le monde et veillent sur les activités humaines. Parmi ces dieux, on peut citer Bok Kơi Dơi (Principe mâle de la nature), Iă Kon Keh (Principe femelle de la Nature ), Bok Glaih (Dieu du tonnerre et de la foudre), Iang Xơri (Génie du riz) , Iang Dak (Génie des eaux) etc… Quant à la deuxième catégorie, la plupart des génies sont des génies d’animaux, d’arbres ou d’objets parmi lesquels figurent Bok Kla (Monsieur Tigre), Roih (Éléphant), Kit drok (Crapaud), Iang Long ( Génie d’arbres) , Iang Xatok (Génie de jarre) etc…

Face à ces croyances religieuses et à ces superstitions, les missionnaires catholiques ont eu du mal au début de leur mission pour convertir les Bahnar au christianisme. Ils étaient obligés de falsifier même leurs mythes pour corroborer la bible. Les Bahnar chrétiens étaient tellement attachés à leurs croyances animistes qu’ils arrivaient à assimiler tant bien que mal le christianisme au fil des années.

Pour les Bahnar, la mort n’est pas la fin d’une vie mais c’est le commencement d’une autre dans l’au delà. L’âme que les Bahnar désignent sous le nom de pơngơl, se mue en fantôme (ou atâu en bahnar) et rejoint les ancêtres dans le monde des esprits (dêh atâu). Les Bahnar croient que l’être humain est constitué d’un corps (akao) et de l’âme pơngơl. La vie n’est possible que grâce à l’âme et non au corps. Mais l’âme est invisible pour les humains. Il n’y a que le devin qui peut la voir sous la forme d’une araignée, d’un grillon ou d’une sauterelle. Les humains ont chacun trois âmes: une âme principale importante (pơngơl xok ueh) qui doit être attachée au sommet de la tête et deux âmes complémentaires (pơngơl kơpal kol et pơngơl hadang), l’une située sur le front et l’autre dans le corps. Au cas où l’âme principale qui constitue le souffle essentiel pour l’homme quitte le corps pour une raison inconnue et ne revient pas, l’homme sera malade et sera décédé. Les âmes complémentaires sont là pour remplacer temporairement l’âme principale. C’est cette dernière qui se métamorphose en fantôme  dans l’autre monde. Cet esprit (ou fantôme)  a besoin de nourriture, de vêtements et même d’une maison pour se protéger contre la pluie et le soleil. C’est la conception animiste d’après laquelle le défunt continue d’avoir les mêmes besoins dans l’autre monde. C’est aussi pour cela que lors de l’enterrement du décédé, sa famille construit une hutte sur sa tombe: c’est la maison du fantôme (h’nam atâu). Pour les Bahnar, le fantôme continue à vivre dans cette hutte et à rôder dans les environs de la cimetière. Il reçoit régulièrement tous les mois une offrande de porc et de poulet de la part de sa famille. Cette période d’entretien de la tombe peut durer plusieurs mois voire des années. Elle est liée à la situation financière de la famille du décédé. Elle se termine par une cérémonie rituelle (ou cérémonie d’abandon de la tombe ) dont le but est de permettre au fantôme de rejoindre définitivement le monde des esprits (dêh atâu) et de rompre le lien du trépassé avec les vivants. Cet esprit devient ainsi un « esprit grand-père ou grand-mère » (atâu bok ja). Contrairement à des Vietnamiens, des Nùng, des Mường etc…, les Bahnar ne font pas le culte des ancêtres.

Cette cérémonie rituelle a lieu une fois par an et débute d’une manière générale à la fin de la saison des pluies. On choisit la période où il y a la pleine lune. Cette cérémonie est en quelque sorte un enterrement secondaire. Elle est préparée avec soin et joie. Elle est choisie à un jour propice par tous les chefs des familles endeuillées en concertation avec les anciens du village et elle dure habituellement trois jours et trois nuits. On trouve dans cette cérémonie trois étapes essentielles: rites de construction, d’abandon et de libération. Chaque étape correspond à un jour entier.

Dans la première étape, on se débarrasse de la hutte recouvrant la tombe et on édifie à sa place, une maison funéraire avec les matériaux de construction (bambous, bois, herbe imperata) ramassés depuis plusieurs semaines. Le premier jour de construction est appelé « dong boxàt » par les Bahnar. Le travail de construction est accompagné toujours par la danse et la musique dans une liesse indescriptible.

Dans la seconde étape, la cérémonie rituelle débute toujours le soir. C’est l’étape de l’abandon de la tombe. Pour les Bahnar, c’est nar tuk (ou jour de l’abandon). On commence à faire une offrande d’alcool et de viande au défunt dans la maison funéraire. Puis c’est au chef de famille d’entamer une prière et d’officier tandis que ses proches peuvent entrer dans la maison funéraire et se lamenter pour la dernière fois sur le départ précipité du défunt. Une fois le rite terminé, la famille du défunt doit faire sept fois le tour de la maison funéraire dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Elle est accompagnée dans cette ronde par des hommes portant sur leurs épaules une maison miniature (ou maison du fantôme) et des figurines en bois articulées de diverses tailles et actionnées par un jeu de ficelles tentant de simuler toutes les activités humaines: pilage du riz, tissage etc.. Même un couple de figurines en copulation n’est pas absent non plus. Les Bahnar prétendent que l’animation de ces figurines devant la maison du fantôme a pour but d’apporter seulement le divertissement mais certains ethnologues pensent qu’il y a certainement une autre signification en comparaison avec les coutumes des autres ethnies de la région (celles des Batak du Nord de Sumatra). La procession est accompagnée par la danse des femmes au rythme des gongs frappés par des hommes revêtus avec de beaux vêtements et portant chacun une plume dans les cheveux. Etant le point culminant de la cérémonie, cette procession est destinée à accompagner le fantôme dans le monde des esprits.

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The Gongs of Central Highlands (Cồng Chiền Tây Nguyên) Last part

 

Intangible Heritage of Humanity by Unesco in 2005

Last part

In the ritual ceremonies, the players of gongs move slowly in single file or in half-circle in front of a public admirer. They left from right to left in the counterclockwise direction to go back in time and return to their origins. Their footsteps are slow and rhymed to the beats of gongs, each of which has a well-defined role in the set. Each gong corresponds exactly to a guitar string, each having a note, a particular tone. Whatever the melody played, there is the active participation of all the gongs in the procession. However, an order very precise in the sequence and composition of beats is imposed in order to respond to the melodies and own themes chosen by each ethnic group.

Sometimes, to better listen to the melody, the auditor has the interest to be into a location equidistant from all the players arranged in a half circle otherwise he cannot listen properly because of the weakness and amplification of the resonance of some gongs corresponding respectively to the distance or the excessive closeness of its geographical position relative to one another.

For most of ethnic groups, the set of gongs is reserved only for men. This is the case of the ethnic group Jarai, Edê, Bahnar, Sedang, Co Hu. By contrast, for the ethnic group Eđê Bih, women are allowed to use the gongs. In a general way, the gongs are of variable size. The disk of the major gongs may vary from 60 to 90 cm in diameter with a cylindrical edge from 8 to 10 cm. This does not allow the players to wear them because they are too heavy.

These gongs are suspended often to the beams in house by the ropes. However, there are the gongs more small whose disk varies from 30 to 40 cm with an edge from 6 to 7cm. The latter are frequently encountered in the festive rituals.

For the identification of highland gongs, the Vietnamese musicologist Trần Văn Khê has the opportunity to enumerate a number of characteristics in one of his articles:

  • 1°) They are very varied.
  • 2°) They are linked closely to the spiritual life of highland ethnic minorities. Being regarded as sacred instruments, they promote communication with spirits and geniuses.
  • 3°) They accompany the highland people from its birth until its death. Their presence is visible not only in the important events (weddings, funerals, wars etc. ..) but also in the agricultural feasts (paddy germination, ear intiation, feast of the agricultural close etc. . ).
  • 4°) The manner of playing the highland gong is very particular and reflects the family structure of each ethnic minority. This allows to easily identify the ethnic group in question by the played stamp melodies.
  • 5°) The movement of players is always performed in the counterclockwise direction in the purpose to go back in time and return to the source. It is identical to the approach used by the Zen Buddhist school in its walking meditation (thiền hành) oriented from « the outside to the heart » (từ ngoài vào tim).

The composition of the played melody is based primarily on the sequence of beats settled according to original processes of repetition and answer.

One doesn’t finds elsewhere as many gongs as one had them on the Highlands of Vietnam. That is why, during his visit in Vietnam, the ethnomusicologist Filipino José Maceda, accompagned by Vietnamese musician Tô Vũ, had the opportunity to emphasize that the highland gongs are very original when he was in contact with the gongs. For him, because of the large number of gongs found, it is possible the Highlands may be the gong cradle in Southeast Asia.

Over the years, the risk of seeing the « original » and « sacred » character is real because of the illicit trafficking of gongs, the lack of gong tuner, the disinterestednessof young people and the destruction of natural environment where the gongs have been « educated ».

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For a few years, being regarded as cultural goods, the gongs become the object of all desire for Vietnamese antique dealers and foreign collectors, which brings the local authorities to exercise strict control with the aim of stopping the haemorrhage of gongs (chảy máu cồng chiêng)

The governmental effort is also visible at the local level by the establishment of incentive programs for learning with young people. But according to some Vietnamese ethnomusicologists, this allows to make durable the gongs without giving to the latter the means to possess a soul, a sacred character, a ethnic sound color because they need not only the skillful hand and fine hearing of gong tuner but also the environment. This is the latter factor that one forgets to protect effectively during the last years. Because of the intensive deforestation and galloping industrialisation for the coming years, the ethnic minorities don’t have the opportunity to practice slash and burn agriculture. They will not have any occasion to honor the ritual festivals, their genius and their traditions. They no longer know to express sorrows and joys through the gongs. They don’t know their oral epics (sử thi). Their paddy fields are replaced by coffee and rubber plantations. Their children are no longer forest clearers but they are engaged to industrial and tourist activities, which allows them to have comfortable livelyhoods. Few now recall how to tune these gongs.

The character « sacred » of gongs no longer exists. The latter become instruments of entertainment like other music instruments. They can be used anywhere without significant events and very specific and sacred hours (giờ thiêng). They are played according to the tourism demand. They are no longer what they were until now.

It is for this irreparable loss that UNESCO has not hesitated to underline the urgency in the recognition of space of gong culture in the Central Highlands (Tây Nguyên) as the masterpiece of Oral and Intangible Heritage of Humanity on 25 November 2005. The gongs are only one essential element in the achievement of this masterpiece but it must be understood that other elements are as important as these gongs: the environment, the traditions and customs, the ethnic groups etc. ..

The gongs without their environment and their ethnic sound color no longer possess the sacred soul (hồn thiêng) of Central Highlands.They lose the original character for ever. There is always a price to pay in the preservation of the gong culture in Central Highlands but it is to the scope of our collective efforts and our political will. One cannot refute that the culture of the gongs in Highlands is part now of our cultural heritage.

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Photo Đinh Xuân Dũng ( Nha Trang )

 

 

The Gongs of Central Highlands (Cồng Chiền Tây Nguyên) Third part

congchien_4eThe culture of the gongs is localized in the 5 provinces of central Vietnam (Đắc Lắc, Pleiku, Kontum, Lâm Đồng and Đắk Nong). Some twenty ethnic groups (Bahnar, Sedang (Xơ Đăng), Mnongs, Cơ Ho, Rơ Mam, Êđê, Jarai (Giarai people), Radhes etc ..) are identified in the use of these gongs. According to illustrated Vietnamese musicologist Trần Văn Khê, in the other countries of Southeast Asia, the gong player always remains seated and can play several instruments associated at the same time. This is not the case of the gong players of Highlands in Vietnam. Each player may play a single gong. There are as many gongs than players in a set.

Thanks to a thin string or to a band of cloth that can be more or less tightened by torsion, each player suspends the gong to the left shoulder. He struck the central dome of the gong outer face either with a wooden or leather mallet or with his right fist barren or wrapped up in fabric.

The sound quality of the gong depends not only on the alloy with which the gong has been manufactured but also the tuner quality. Other parameters are involved: the wooden or leather mallet, the position and action of the hand striking the gong, the tension of the strap etc. . In addition, the player can modulate skillfully the effects of the gong sound by varying the pressure and the relaxation on the bent edge of the outer face with his left hand. The muting effect may be caused by this action. Each ethnic group prefer a type of wood in the manufacture of the mallet. By choosing the hard wood, the Êđê often obtain interference noise in the power of the gong resonance. By contrast, in selecting the soft wood, the Bahnar manage to obtain the « clarity » of its fundamental tone despite the weakness of intensity detected in the resonance.

At the time of the purchase, the gong is delivered to the « raw » state, without musical tone, character and soul. Its outer face is almost flat. It is similar to an object producing an audible signal. (Cái kẻng) Thanks to the strokes of wooden mallet and to fine hearing of the tuner, the gong receives small bumps and concentric circles on its border and on its inner and outer faces. The blow of the mallet given on its outer face increase its tone.

By contrast, the decrease of the resonance is visible inversely with its inner face. The gong tuner manages to give it a sound color, a particular musical note, which makes it now a musical instrument in its own right. According to the highland people, analogous to the man, the gong has a face, a character and a soul.  It is unlike any other gong.It is said that the gong is educated because from an object that is purchased with the « raw » state from the Kinh (or Vietnamese) (Quảng Nam), it receives an education, a note, an ethnicity, a sacred character. For the gong purchased in Laos, it already has a soul but it is a Laotian soul.

To transform it into a gong of the high plateaus, it must be educated by the blows of wooden mallet so that it knows as well the language Bahnar, Stieng, Edê, Mnong etc. .. It now has the sacred soul (hồn thiêng) of the high plateaus.

The latter does not disappear as long as there is still the environment where the gong is « educated » (the forest, the ethnic groups, the villages, the sources of water, the animals etc. .. ).  The sacred character of the gong can only be found in this natural environment which allows it to find its ethnic identity through the melodies varying from one village to another or from one ethnic group to another and the agrarian rites. The gong can produce a false note over the years of use. One says that it is « sick ».

It must be treated by bringing in a doctor (or a good musician tuner) that it is difficult to find sometimes on-site. It is necessary to travel several kilometers in other regions to succceed in finding him. Once readjusted the sound, it is said that the gong is healed.

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The Gongs of Central Highlands (Cồng Chiền Tây Nguyên) Second part

 

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Second part.

This general attempted to break down all the stirrings of Vietnamese resistance by melting all bronze drums, symbol of their power in combat. Probably, in this destruction, there was also the Dongsonian gongs because they were in bronze. According to the director of the South Asia prehistory center (Hànội), Nguyễn Việt, the Dongsonian situla cover whose center is slightly swollen and adorned with a star, strangely resembles the gong embossed of the high plateaus. It also owns the handles with which one can use the ropes for wall hanging as a gong. Perhaps it is the predecessor of the highland gongs.

We do not exclude the hypothesis with which the Dongsonian attempted to hide and sell them at any price in the mountainous regions through the cultural and economic exchange with the highland people.

From the linguistic research in particular that of French researcher Michel Ferguson, a specialist of Austroasiatic languages, this suggests that the Viet-Mường were present at the east of the Anamitic cordillera and on banks of Eastern China Sea (Biển Đông) before the beginning of our era. For this researcher, the group Viet-Mường lived together not only with the Tày but also with the highland people (the Khamou, the Bahnar etc … ). because there is the importance of the Tày vocabulary in the Vietnamese language and the similarities of the Giao Chỉ feudal structure with those of current Thai (descendants of proto-Tày).

In addition, there is a borrowing stratum from one or several languages viet-mường in the Khamou vocabulary. According to the suggestion of this researcher, the Tang Ming kingdom could be the former habitat of Việt-Mường group. This confirms the hypothesis the Dongsoniqan could be the provider of gongs to the highland people through the barter because the latter do not manufacture itself these gongs, despite their sanctity.

Probably, this is due to the fact that, being slash-and-burn agriculturalists, they had not a metallurgical industry enabling them to mold these gongs. Up to today, they obtain them from the Kinh (or Vietnamese), Cambodians, Laotians, Thais etc .. before giving them to their musician with his keen hearing. This one manages to give to these gongs a remarkable set of harmonics in accordance with the themes devoted to villagers and tribes by hammering them with the hardwood mallets.

The adjustment of the gong sound is more important than the purchase because it must make the gong in harmony with the gongs of the orchestra and it is necessary to give it a soul, a particular tone. According to the Vietnamese musicologist Bùi Trọng Hiền, the process of collecting and tuning the gongs of different origins and making harmonious and consistent to their aesthetics in a set is a grandiose art. The gong must be sacred before its use by a ritual ceremony, which allow its body to possess now a soul.

Some ethnic groups bless the gongs with the blood in the same manner as jars, drums etc. . This is the case of the Mnong Gar identified for example by the French ethnologist Georges Condominas. The sanctity of gongs cannot leave indifferent the Vietnamese. To give to these gongs a significant scope, the Vietnamese have the habit of saying:

Lệnh ông không bằng cồng bà (The drum of Mister does not resonate less loud to the human ear than the gong of Madam). This also explains that the authority of Mr. is less important than that of Madam. 

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Central Highlands gongs (Cồng Chiêng Tây Nguyên)

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French version

First part

Since the dawn of time, the  gong culture  is the preferred approach used by the populations of the Central Highlands (Vietnam) living from agriculture in communication with the spirit world. According to their shamanistic and animist beliefs, the gong is a sacred instrument because it secretly houses a genius supposed to protect not only the owner but also his family, his clan and his village. Its âge not only improves its sound but also the power and  magical potency of the occupier genius. In addition, the gong will acquire a special patina over the years. This percussion instrument cannot be considered as an standard musical instrument. It is present at all the important occasions of the village. It is inseparable from the social life of highland tribes. The newborn baby is invited to listen the sound of the gong played by the elder village from the first month of his birth, which allows him to recognize the voice of his tribe and his clan. He become now an element of his ethnic community. Then he grows over years to the rhythm of gong sound which carries him away with the fermented rice alcohol (rượu cần) in the evening meetings around a jar and fire and in the village festivals (offerings, marriages, funeral, celebrations of the new years’s day or the victory, inauguration of the new housing, family reunion, agricultural ritual (paddy germination, ear initiation, feast of the agricultural close etc …). Finally, at his death, he is accompagnied by the rolling of the gongs to the burial with solemnity.

© Đặng Anh Tuấn

According to the Edê, a life without gong is a life without rice and salt. Each family must have at least a gong because this instrument proves not only its fortune but also with its authority and prestige in its ethnic community and its region. In function of each village, the set of instruments can be simply represented by two gongs but you can find sometimes up to 9, 12, 15 or 20 gongs. Each of these is called by a name that indicates its position in a hierarchy similar to that found in a matriarchal family. According to  French ethnomusicologist Patrick Kersale, the gongs reflect the image of the family structure with matrilineal inflection. For the Chu Ru, there are three gongs in a set. (Gong-mother, gong-aunt and gong-daughter). By contrast, for the Ê Đê Bih , the set of gongs consists of three pairs of gongs. The first pair is called under the name of gongs grand-mothers. And then the second pair is reserved for the gong-mothers and the last pair is for the gong-daughters.

In addition, there is a drum played by the oldest person to give the tempo. For peoples living in the south of the Highlands, there are also 6 gongs in a set but the gong-mother (chiền mẹ) remains the most important and is maintained slighty in the lower position compared with the other gongs. It is always accompanied by the gong-father followed then by the gong-children and gong-grandchildren. Due to their large size, the two gongs mother and father produce low sounds and nearly identical, which allows them to serve as a constituent basis to the orchestra.

In speculating about the provenance of gongs,we note  they are found not only in India but also in China and in the region of Southeast Asia. Despite their mention in the Chinese inscriptions around the year 500 after Jesus Christ (period of Đồng Sơn civilization), there is a tendency to attribute to the Southeast Asia region their origin because the gong  culture  embraces only the regions where live Austro-asiatic and Austronesian peoples. (Vietnam, Kampuchea, Thailand, Myanmar, Java, Bali, Mindanao (Philippines) etc …). According to some Vietnamese scholars, the gongs are linked closely to the the aquatic rice cultivation. For the Vietnamese researcher Trần Ngọc Thêm, the gongs are used to imitate the noise of thunder. They have a sacred role in the annual ceremonies of rain making rituals, with the aim of having a good harvest. In addition, we find in these gongs an intimate binding with the Đồng Sơn culture because the gongs were present visibly on some bronze drums (Ngọc Lữ for example). The gongs had to be considered a sacred instrument in  ritual celebrations so that they were honored by the Dongsonian on their drums. Among the Mường who are « close cousins » to the Vietnamese, one continues to associate the bonze drums (character Yang) with the gongs (character yin) which the Mường still regard as a stylized representation of the woman chest in religious festivals. These gongs are in some way the symbol of fertility. According to the Vietnamese musician Tô Vũ, the Mường forced back in the inaccessible mountainous regions, could continue to keep carefully these gongs against the Chinese conquerors. This is not the case of the Dongsonian (the ancestors of the Vietnamese) during the Chinese conquest led by the general Ma Yuan (or Mã Viện) of West Han dynasty after the sisters Trưng Trắc and Trưng Nhị revolt.   More reading (Tiếp theo)

 


Bibliographic references

  • Recherche de l’identité de la culture vietnamienne. Trần Ngọc Thêm, Editions Thế Giới,Hànôi 2008
  • Les Mnong des hauts-plateaux, Centre-Vietnam: Vie matérielle. Albert-Marie Maurice, Tome 1, Editeur L’Harmattan. 1993 Cồng chiêng Tây Nguyên. Di sản phi vật thể thế giơí. Trần Văn Khê. Vietsciences, 01/01/2006.
  • Vài nẻt đặc thù của cồng chiêng Tây Nguyên. Giáo Sư Trần Văn Khê. 2009
  • Người ÊĐê ở Việt Nam. The Ede in Vietnam. Editeur Thông Tấn 2010
  • La chanson de Damsan. Légende recueillie chez les Rhade de la province de Darlac. Texte et traduction. Louis Sabatier. BEFEO, 1933, Tome 33, n°33, pp: 143-302
  • Tranh luận về cồng chiêng Tây Nguyên. SGTT 2012
  • Sur l’origine géographique des langues Viet Muong. Michel Fergus, Môn Khmer Studies, 18-19: 52-59
  • Độc Đáo cồng chiêng Tây Nguyên. Bùi Trọng Hiền. Nguyễn Quang Vinh Tạp chí Ngày Nay. 28/02/2011
  • Gongs de tous les pouvoirs. DVD documentaire de Patrick Kersalé.2009

Les Mnong (Dân tộc Mnong): 2ème partie

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Version vietnamienne

Deuxième partie

Quand on décide d’aller à l’étranger ( càd dans les autres villages voisins), on a besoin d’être accompagné par un entremetteur recruté de préférence sur les kuang du village. Un kuang est en fait un homme puissant et réputé qui ne se mesure pas à la fortune accumulée mais au nombre de sacrifices de buffles qu’il a organisés et accomplis. Grâce aux dépenses grandioses qu’il a entamées dans les sacrifices des buffles pour ses proches, ses invités jôok et son village, il a acquis du même coup un énorme prestige. Cela lui a permis d’élargir progressivement son réseau de relations, d’avoir du poids dans les délibérations du village et de devenir un rpuh kuang (ou un buffle mâle) au niveau de la puissance sexuelle. Même les cornes de son « âme-buffle ( ou hêeng rpuh ) » élevée par les génies se sont allongées en fonction du nombre de sacrifices accomplis. Son cercueil pèse d’autant plus lourd que ces cornes ont atteint une taille imposante. Un grand kuang est celui qui ose pratiquer la stratégie de l’endettement. Plus il thésaurise pour dépenser dans les sacrifices des buffles et dans les achats, plus son prestige s’accroît. Il a toujours quelque dette à la traîne. Il n’attend pas de rembourser l’intégralité de ses achats pour en faire d’autres car cela lui vaut l’admiration et la renommée. Un villageois mnong devient un kuang avec le premier sacrifice de buffle. Il devient ainsi l’homme « indispensable » sur lequel on s’appuie pour s’assurer non seulement la sécurité routière mais aussi la réussite dans les transactions commerciales lors du déplacement hors du village. C’est avec lui qu’on mettra au point l’itinéraire. C’est lui qui présentera, grâce à son réseau de relations, le jôok local du village destinataire qui connait tous les habitants et qui sait parmi ces derniers lequel intéressé par les objets entrant dans la transaction tout en présentant les garanties de solvabilité.

Analogues aux Bahnars, les Mnong sont des animistes. Ils pensent que toute chose a une âme même dans les ustensiles à usages rituels (les jarres à bière par exemple). L’univers est peuplé de génies (ou yaang). C’est pourquoi l’appel aux divinités ne se cantonne pas dans un endroit particulier mais il s’éparpille partout soit dans le village soit dans les bois soit dans les monts et les eaux. Aucun recoin n’est épargné. Il sera soit évoqué collectivement soit honoré d’un culte spécial dans des circonstances particulières. C’est le cas du génie du riz auquel un petit autel est dédié au milieu du ray. Durant la saison des semailles, le Mnong viendra placer ses offrandes. La moisson collective ne peut pas commencer sans un rite spécial connu sous le nom de « Muat Baa » ou ( nouage du paddy ). Comme le paddy a une âme, il faut éviter de le faire courroucer et de le faire fuir en prenant soin d’un grand nombre de précautions: éviter de siffler, de pleurer, de chanter sur les champs ou de s’y disputer, de manger des concombres, des citrouilles, des oeufs, des êtres glissants etc… Une poule sera sacrifiée près de la hutte miniature de l’âme du riz perchée sur un bambou lui-même cerné par des bambous portant des nids à offrandes. Au génie de la pluie, le Mnong offrira sur une minuscule plateforme des oeufs. Pour calmer la colère des génies végétaux de la forêt avant le défrichement d’un pan, on procède à de grands soins rituels et de prières. Un long piquet de bambou à la pointe recourbée duquel a été suspendu un poisson pêché est planté sur le lieu consacré dans le défrichement à brûler. Au moment où le feu commence à jaillir, deux « hommes sacrés »( croo weer ) implorent la protection des génies tandis qu’un troisième oint le piquet au poisson et appelle les génies. Même il y a des divinités censées d’être les gardiens de l’âme de l’individu. Celui-ci se compose d’un corps matériel et de plusieurs âmes (ou heêng). Celles-ci prennent des formes multiples: une âme-buffle élevée dans un étage des cieux par les génies, une âme-araignée dans la tête de l’individu, une âme-quartz qui loge tout droit derrière le front. Il y a même l’âme-épervier (kuulêel) symbolisé par une ficelle faite de brins de coton rouges et blancs et tendue au dessus du corps de défunt entre deux bambous pour distinguer le kuulêel de l’épervier ordinaire. Cette âme-épervier prend son envol à la mort de l’être humain. Un mal subi par l’une de ces âmes se répercute sur les autres. Les génies peuvent rendre malade quelqu’un en attachant son âme-buffle à leur poteau de sacrifice céleste. Le recours au chamane s’avère indispensable car lui seul peut établir le dialogue avec les génies lors de la séance de cure (mhö). Il tente de marchander le prix que les génies exigent pour libérer l’âme-buffle du malade sinon le malade meurt et l’un de ses autres âmes rejoint le premier des étages du monde souterrain. L’âme disparaît totalement lorsqu’il arrive à atteindre le septième étage souterrain au bout de la septième mort. L’au delà est conçu comme souterrain. Le rite de guérison n’a pas de côté festif. Cela entraîne peu de frais à engager à part le buffle immolé et l’honoraire payé ( équivalent au nombre de hottées de paddy) au chamane qui reçoit en plus une cuisse de la bête sacrifiée. Chez les Mnong, la notion d’immortalité de l’âme n’existe pas. Par contre, la notion de réincarnation fait partie de la tradition des Mnong. Il peut arriver que l’ancêtre maintenu au premier étage souterrain se réincarne dans l’un de ses descendants.

Les hommes de la forêt

Dans la tradition mnong, le buffle est un animal sacré. Les Mnong ont recours au buffle comme monnaie d’évaluation. C’est aussi dans le système de croyances mnong que le buffle est l’équivalent de l’homme dont l’une de ses âmes est l’âme-buffle (hêeng rput) élevé au ciel par les génies à sa naissance et ayant un rôle prépondérant sur les autres âmes de l’individu. Avant d’être inhumé, le décédé est déposé dans un cercueil prenant approximativement la forme d’un buffle. Les Mnong n’organisent pas des funérailles et ils abandonnent le tombeau après un an d’inhumation. D’une manière générale, la maison de funérailles est construite sur une butte et elle est décorée avec des figurines sculptées en bois ou des motifs variés peints en noir, rouge ou blanc. La puissance d’un individu se mesure au nombre de bucrânes de buffles sacrifiés empilés et maintenus par des poteaux. Selon le mythe mnong, le buffle a remplacé l’homme dans le sacrifice. C’est pourquoi on voit dans ce sacrifice l’aboutissement suprême de tous les rites dont il se détache par le faste rituel animé par les processions de gongs, des jeux de tambours, des invocations d’appel aux esprits, des chants etc … et accompagné par des libations de bière, ce qui en fait un événement majeur et exceptionnel dans la vie villageoise. Personne ne peut se soustraire à cet événement. Le village devient une aire sacrée où on doit s’amuser collectivement, bien boire, bien manger et éviter de se disputer car on pourrait courroucer les esprits.

Les Mnong sont divisés en plusieurs sous-groupes ( Mnông Gar, Mnông Chil, Mnông Nông, Mnông Preh, Mnông Kuênh, Mnông Prâng, Mnông Rlam, Mnông Bu đâng, Mnông Bu Nor, Mnông Din Bri , Mnông Ðíp, Mnông Biat, Mnông Bu Ðêh, Mnông Si Tô, Mnông Káh, Mnông Phê Dâm ). Chaque groupuscule a une dialecte différente mais d’une manière générale, les Mnong issus de ces groupuscules différents arrivent à se parler sans aucune difficulté apparente.

Ceints d’un long pagne de coton indigo dont l’extrémité frangée de cuivre et de laine rouge leur retombe à mi-cuisse comme un petit tablier (suu troany tiek)(3) , les Mnong se présentent souvent sous l’aspect des hommes fiers aux membres longs et au torse nu musclé et bronzé malgré les souffrances d’une vie précaire. Cette ceinture-tablier sert à porter toutes sortes d’objets: le couteau, l’étui à tabac, le poignard et les talismans individuels (ou pierres-génies ). Ils se servent d’une veste soit courte soit longue ou d’une couverture comme manteau à la saison froide. On trouve sur leurs têtes un turban noir ou blanc ou un chignon où est piqué souvent un couteau de poche en acier et à manche recourbé. Ils sont habitués à porter une hache pour abattre les troncs d’arbres. Les femmes mnong aux seins nus portent une jupe courte (suu rnoôk) enroulée au niveau du bas-ventre. Les Mnongs adorent les parures. Ils portent au cou des pectoraux, des colliers de fer ou en perles de verre ou des dents de chiens provenant d’un rite exorciste qui leur confèrent des propriétés protectrices. Des bobines d’ivoire enfilées dans les lobes percés de leurs oreilles battent leurs maxillaires. Les femmes aiment particulièrement les colliers en verre de perles. Les lobes de leurs oreilles sont distendus souvent par de gros disques en bois blanc. On trouve encore dans la plupart des groupuscules mnong l’abrasion des dents de devant (de la mâchoire supérieure). Les hommes comme les femmes fument du tabac et consomment beaucoup de bière de riz. Celle-ci est non seulement un élément indispensable dans toutes les fêtes et dans les cérémonies rituelles mais aussi une boisson d’hospitalité. En l’honneur de son hôte, une jarre de bière de riz est débouchée quelques instants avant d’être offerte. Sa consommation se fait collectivement à l’aide d’un ou plusieurs chalumeaux en bambou plantés dans la jarre. Le nombre de mesures est imposé au buveur par la tradition de chaque ethnie. ( 2 chez les Mnongs Gar, 1 chez les Edê ). Pour maintenir le niveau de la jarre, on est obligé d’y verser de l’eau, ce qui dilue progressivement l’alcool de la bière de riz et qui transforme ce dernier en une boisson inoffensive.

Analogues aux Bahnars, les Mnong (ou les Hommes de la Forêt) sont fiers d’être des gens libres. C’est ce qu’a constaté l’ethnologue célèbre G. Condominas auprès des Mnongs Gar. Dans le village de Sar Luk où il a fait un an d’immersion complète avec les Mong Gar, il n’y avait pas de chef de village mais un groupe de trois ou quatre hommes sacrés qui sont des guides rituels notamment en matière agricole. La perte de leur liberté peut être le catastrophe que redoutent les Mnong. On trouve toujours en eux deux particularités qui les différencient des autres groupes ethniques du Vietnam: leur esprit d’abnégation et de solidarité et leur absence de s’enrichir égoïstement. Malgré les souffrances de leur vie précaire, les Mnong démunis connaissent encore la notion de partage que nous, les gens dits civilisés, avons oubliée depuis longtemps.


Références bibliographiques

De la monnaie multiple.
G. Condominas. Communications 50,1989,pp.95-119

Essartage et confusionisme: A propos des Mnong Gar du Vietnam Central. Revue Civilisations. pp.228-237

Les Mnong Gar du Centre Vietnam et Georges Condominas. Paul Lévy L’homme T 9 no 1 pp. 78-91

La civilisation du Végétal chez les Mnong Gar. Pierre Gourou. Annales de géographie. 1953. T.62 pp 398-399

Tiễn đưa Condo của chúng ta, của Tây Nguyên. Nguyên Ngọc

Chúng tôi ăn rừng …Georges Condominas ở Việtnam. Editeur Thế Giới 2007

Ethnic minorities in Vietnam. Đặng Nghiêm Vạn, Chu Thái Sơn, Lưu Hùng . Thế Giới Publishers. 2010

Mosaïque culturelle des ethnies du Vietnam. Nguyễn Văn Huy. Maison d’édition de l’Education. Novembre 1997

Les Mnongs des hauts plateaux. Maurice Albert-Marie 1993. 2 tomes, Paris, L’Harmattan, Recherches asiatiques.

Les Mnong (Dân tộc Mnong): 1ère partie

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Version vietnamienne
Première partie

Un grand hommage à Georges Condominas, le Proust de l’ethnologie

Condo, tu est le dernier Mnong. Quand tu vas partir, c’est notre culture qui va partir aussi. C’est ce qu’a dit l’actuel chef du village de Sar Luk à Georges Condominas lorsqu’il l’avait revu lors de son retour au village en 2006. Cela montre à tel point que les Mnong ont accepté de le considérer non seulement comme l’un des leurs mais aussi le dernier représentant défendant inlassablement leur culture et faisant connaître dans le monde leur manière de vivre que la plupart des gens ont abhorrée à une certaine époque. Sont-ils vraiment des « Sauvages », des essarteurs, des écobueurs comme on a continué à y penser dans le passé? Désormais, ils ont le nouveau nom « Dân tộc thiểu số » et ils font partie des 54 ethnies du Vietnam? Ces gens de la Forêt auxquels l’ethnologue Georges Condominas a consacré deux monographies « Nous avons mangé la forêt » et « L’exotique est quotidien » méritent-ils de son attention particulière et de ses études quand on sait qu’à l’âge de 27 ans, aux dépens de sa santé, G. Condominas s’efforça de s’installer dans leur propre milieu, de s’y assimiler progressivement et d’apprendre leur langue du cru pour mieux les connaître et les décrire dans ses ouvrages avec son style clair, concis et coulant, ce qui lui valut d’être considéré comme « le Proust de l’ethnologie« . G. Condominas a reconnu que les Proto-Indochinois (2) lui avaient appris l’essentiel de son métier d’homme. Pour lui, l’ethnologie a ceci de particulier qu’elle est autant un genre de vie qu’une discipline scientifique. Selon l’écrivain vietnamien Nguyên Ngọc, connu pour ses recherches culturelles, un chercheur quel que soit son domaine scientifique, peut avoir séparément deux modes de vie, l’un consacré à sa recherche scientifique et l’autre dédié entièrement à sa vie privée. Il n’est pas forcément nécessaire d’associer l’un à l’autre. Ce n’est pas le cas d’un ethnologue comme Georges Condominas. Il a un seul mode de vie qui correspond à la fois à sa vie privée et à son domaine scientifique. L’ethnographie est une forme de vie dans laquelle sa vie est  assimilée entièrement à celle du milieu où il vit  et pour laquelle il a consacré toute sa vie.

Qui sont-ils ces Mnong? Ils étaient nombreux au début du XXème siècle avec une population estimée à 1.200.000 personnes (1) mais ils étaient décimés durant les guerres d’Indochine par une politique coercitive que l’ethnologue Georges Condominas a désignée sous le nom de « ethnocide ». D’après les statistiques effectuées en 1999, leur population fut établie à peu près à 120.000 personnes dont 20.000 étaient au Cambodge dans la province de Mondulkiri, proche de frontière vietnamienne aux bordures des provinces Ðắk Lắk et Ðắk Nông. Les Mnongs occupent les deux rives d’une puissante rivière Serepok (ou Daak Kroong en mnong) dévalant les hautes terres du Vietnam central vers le Mékong. Les Mnong appartiennent au groupe Môn-Khmer de la famille ethnolinguistique austro-asiatique. Ils pratiquent l’essartage ou ils mangent la forêt selon leurs propres termes. Ils choisissent un pan de la forêt puis ils la défrichent et y mettent le feu avant de semer le riz en poquet sur ce pan brûlé et fertilisé par les cendres. Mais cette méthode ne permet pas d’avoir une riche moisson au delà de deux ans. C’est pourquoi ils sont obligés de changer constamment l’emplacement de leurs champs (miir) tous les deux ans pour permettre à la forêt de se régénérer. Ils peuvent la réutiliser seulement dix ou vingt ans plus tard. À force d’éloignement des cultures, ils sont obligés de déplacer souvent leur village. C’est dans cet authentique finage que se trouvent de longues maisons occupées chacune par un alignement de plusieurs foyers. Parfois le déplacement est provoqué par l’épidémie responsable de plusieurs morts dans le village. Le choix et la reconstruction d’un nouveau village sur un autre emplacement (ou rngool) nécessite toujours des rites au cours desquels sont immolés un grand nombre de buffles. Dans le cas d’une épidémie, le nombre de morts est équivalent à celui des buffles sacrifiés. Mais le séjour sur le même emplacement ne dépasse pas sept années consécutives, intervalle maximal séparant deux grandes fêtes du Sol. Le terrain de prédilection pour la culture des plantes est l’emplacement de leur ancien village. On trouve ici non seulement les plantes alimentaires ( millet, sésame, ignames, patate, manioc etc…) mais aussi les plantes non alimentaires ( tabac, cotonnier, curcuma etc…). Outre la culture, la cueillette continue à occuper une place importante chez les Mnongs. La forêt leur fournit à la fois des plantes pharmaceutiques sauvages, des plantes à poison, des plantes alimentaires ( pousses de bambous, cœur de rotin , cannelle etc…) et des matériaux de construction. Les Mnong ne s’appuient pas sur le calendrier lunaire dans l’exploitation de leur sol mais ils remémorent chacune des étapes d’exploitation par un vocabulaire très particulier:

ntôih: défrichement jusqu’à la mise à feu.
miir: champ semé jusqu’à la moisson
mpôh: miir abandonné pour la première année
mpôh laak: miir abandonné pour la deuxième année.

Selon l’ethnologue G. Condominas, les Mnong n’attendent pas Minkowski ou Einstein pour avoir la notion d’espace-temps. En employant une expression liée à l’espace, ils indiquent une date. C’est ce qu’on constate dans l’exploitation de leur sol avec leur vocabulaire. Ils donnent approximativement l’âge de quelqu’un par rapport à un événement saillant. © Đặng Anh Tuấn

Leur village est un espace social très réduit. Le chef du village (ou rnut) est chargé de gérer les affaires de la commune. La taille du village varie à peu près d’une centaine d’individus. En franchissant les limites du village, un habitant peut devenir un étranger, un ennemi ou un hôte qu’ils ont l’habitude de désigner sous le nom de « nec ». Leurs maisons dont les toitures en herbe à paillote descendent si bas qu’elles cachent souvent les parois en bois, sont des cases rectangulaires soit de longue taille (mnong gar) soit de petite taille (mnong rlam). Elles reposent sur le sol de terre battue pour les Mnong Gar tandis que les Mnong Rlam vivent sur des cases à pilotis. Le noyau de la société est la famille. L’organisation sociale est de type matrilinéaire et exogame. Les enfants portent le nom du clan de leur mère. La transmission des biens se fait de mère en fille. Le mari vient habiter chez les parents de sa femme. Les vestiges de lévirat et de sororat peuvent être visibles encore. Par contre la transgression de la règle d’exogamie est ressentie comme le crime le plus grave et attire des sanctions sociales. Un jeune homme doit se renseigner sur le clan auquel la fille appartient avant d’entamer le mariage. L’exogamie renforce la parenté et tisse un réseau d’alliances qui permet à l’espace social restreint qu’est le village de respirer. Cela facilite l’hospitalité lorsqu’on sortira du finage en cas de voyages d’échanges commerciaux. Ce type de relations peut être établi et entretenu par une institution prestigieuse connue « l’échange des sacrifices (ou tam bôh) permettant de créer une alliance privilégiée entre deux individus (ou joôk ) et leurs familles. Il y a un rituel auquel participent non seulement les joôks (amis fidéjurés) mais aussi leurs villages respectifs. Le souci de l’égalité des échanges est visible dans le rituel: le nombre de buffles immolés dans le village de l’un doit être égal à celui que l’autre va offrir en retour dans son village. De même les cadeaux que l’un a reçus doivent être d’égale valeur et semblables que ceux qu’il donnera en retour à l’autre (son ami fidéjuré). Même dans le festin, les parts de viande de porc fournies par l’hôte organisant le sacrifice devront être de même taille que celles offertes par son « hôte partenaire » lors de la première cérémonie d’échange organisée en son honneur dans l’autre village. Pour arriver à ce stade de relations, les jôoks doivent recourir à des entremetteurs. Dans la conception d’échange des Mnong, il faut toujours un entremetteur que ce soit l’échange entre les hommes ou entre l’homme et les génies. Dans ce dernier cas, l’entremetteur n’est autre que le chamane (ou njau mhö). Parfois, on a besoin d’un guérisseur ordinaire (njau) pour une maladie bénigne.

Chez les Mnong, le mot « échange (ou tam) » est très employé dans leur langue courante. Le mot « tam » est suivi toujours par un autre mot pour préciser le type d’échange.

tam töör : échanges amoureux, être amoureux.
tam löh : échange des coups ( se battre)
tam boo, tam sae: échange d’époux, alliance matrimoniale, se marier
tam boôh: échange de flambées, grand sacrifice d’alliance
tam toong: échange de chansons etc…

L’échange joue un rôle pivot dans la vie quotidienne des Mnong. On s’aperçoit que l’échange n’est pas non seulement au niveau des biens mais aussi au niveau de la main d’oeuvre sous forme d’entraide dans les travaux de construction aussi bien que dans les travaux agricoles ( défrichement, moissons etc …). Il y a toujours un souci d’échange égalitaire. Chaque équipe devra passer un temps égal sur le chams de chacun des membres du groupe. Si l’échange de main-d’œuvre est simplifié par le même nombre d’heures que chaque équipe doit fournir, il est un peu plus compliqué quand il s’agit de biens car les Mnong ne disposent pas d’un étalon unique comme l’euro ou le dollar. Dans l’évaluation des objets d’échange, ils sont obligés de recourir à des étalons de valeurs multiples utilisés dans leur société: petites jarres sans col (yang dam), jarres anciennes, jupes suu sreny, porcs, buffles, gongs etc.. Ceux-ci sont aussi des moyens d’échange et de paiement des biens acquis. On évalue l’objet d’échange à la valeur convenue de sorte que le total d’échange est équivalent  à cette valeur. Parfois pour une valeur convenue, on se retrouve soit avec deux buffles de taille moyenne, soit un buffle et une jarre ancienne ou encore une grand couverture et douze petites jarres sans col etc…). Cela ressemble énormément à notre système de paiement du prix de la marchandise en grosses coupures ou en petite monnaie.

Etant utilisés à la fois comme des étalons de valeurs et des moyens de paiement, ces biens sont de véritables monnaies que l’ethnologue G. Condominas a désignées sous le nom de « monnaie multiple ». Malgré cela, ces biens continuent à garder avant toute considération monétaire, leur utilisation initiale. Les jarres servent de récipients pour la confection et la consommation de la bière de riz tandis que les gongs sont des instruments de musique qu’on sort pour les grandes occasions. De même, des jupes, des couvertures et des marmites de métal font partie des objets usuels de la vie quotidienne.

Malgré l’échange prenant des formes multiples, il y a toujours une distinction très nette dans le vocabulaire mnong pour les notions d’achat (ruat) et de vente (tec). Une fois l’échange conclu, il y a le prix du courtage que l’acheteur (croo ruat ) doit payer à l’entremetteur. Le vendeur ( croo tec ) ne donne rien à l’entremetteur (ndraany) qui recevra parfois un cadeau modeste de la part du vendeur pour une question de gentillesse et de gratitude. Il y a deux jarres dans le montant du courtage: l’une pour payer l’entremetteur et l’autre d’une moindre valeur pour la sécurité de la route par une cérémonie rituelle Dans le cas de la vente d’un jeu de gongs plats, la première jarre ( yang mei ) sera de grande taille et la seconde, une petite jarre sans col. De plus, l’acquéreur doit donner des cadeaux au porteur (ou compagnon de route) pour ramener les achats. Il y a un protocole à respecter dans la conclusion du contrat. Celle-ci se manifeste par le sacrifice d’un animal consommé sur place et l’ouverture de deux jarres de bière de riz, l’une destinée à décompter les objets entrant dans le paiement (par le jeu des brindilles cassées ) et l’autre prévue pour conjurer les injures. L’entremetteur assume la responsabilité du contrat en recevant un bracelet de laiton passé au poignet, signe d’un engagement ferme. L’entremetteur est à la fois le courtier, le garant de l’acheteur, le porte-parole du vendeur et le témoin de la transaction. Dans une société mnong sans écriture, le rôle de l’entremetteur est très important car par ses paroles et son engagement, cela permet d’assurer la publicité du marché conclu. Toutes les dépenses supplémentaires citées ci-dessus ( deux jarres, une bête consommée sur place, des cadeaux au porteur et au ndraany) ne sont nullement prises en compte dans l’évaluation de la valeur totale du bien acquis. En cas de litige, chaque partie a un ndraany jouant le rôle d’avocat. Dans un procès, ce sont les ndraany de deux parties qui parlent, discutent et émaillent leurs propos « de dits de justice » versifiés.

Il y a un cas particulier où l’échange est à équivalence absolue ( le caan). Un sacrifice du buffle est exigé lors du dialogue entre le chamane et le génie qui est prêt de lâcher sa victime malade. Malheureusement, la famille de cette dernière n’en possède pas pour honorer rapidement ce sacrifice. Elle est obligée d’acheter un buffle à la façon caan chez un habitant du village ou d’un autre village et de lui rendre une bête de même taille dans un délai d’un ou deux ans sans aucune compensation. Dans ce cas, l’échange correspond bien à la vente à réméré sans intérêts.

[Les Mnông: Deuxième partie] 

 

 

 

 

 


1): Source Encyclopédie Universalis.
(2): un néologisme assez laid employé par G. Condominas pour désigner les Mnongs à la place du mot péjoratif « Mọi (ou Sauvage) ».

Buôn Ma Thuộc (sur les Hauts Plateaux)

English version

Etant connue pour la beauté de la nature caractérisée par ses cascades et ses lacs, Buôn Ma Thuộc est la capitale de la province Dak Lak sur les hauts plateaux du centre. Le développement du  tourisme est axé essentiellement sur la balade à dos d’éléphant, la visite des villages des minorités ethniques et des cascades. Autrefois, c’est le pays des Êdê et des Bahnar. Elle se distingue des autres régions par ses plantations de café, des hévéas, du poivre,  de la noix de cajou et des durions.

Pays des minorités montagnardes

 

 

  

 

 

Les gongs des Hauts Plateaux: quatrième partie

Quatrième partie

Dans les cérémonies rituelles, les joueurs des gongs se déplacent lentement en file indienne ou se disposent en demi-cercle devant un public admirateur. Ils partent de droite à gauche dans le sens inverse des aiguilles d’une montre pour remonter le temps et revenir à leurs origines. Leurs pas sont lents et rythmés aux battements des gongs dont chacun a un rôle bien déterminé dans le jeu. Chaque gong correspond exactement à une corde de la guitare ayant chacune une note, une sonorité particulière. Quelle que soit la mélodie jouée, il y a la participation active de tous les gongs dans la procession. Par contre un ordre très précis de succession et de composition de battements leur est imposé afin de répondre aux mélodies et aux thèmes propres choisis de chaque ethnie.

Parfois, pour mieux écouter la mélodie, l’auditeur a intérêt à se placer dans un emplacement équidistant de tous les joueurs disposés en demi cercle sinon il ne peut pas l’écouter convenablement à cause de la faiblesse et l’amplification de la résonance de certains gongs dûes respectivement à l’éloignement ou au rapprochement excessif de sa position géographique par rapport aux joueurs.

Cồng Chiềng Tây Nguyên

Pour la plupart des groupes ethniques, le jeu des gongs est réservé uniquement aux hommes. C’est le cas des ethnies Jarai, Edê, Bahnar, Sedang, Co Hu. Par contre, pour le groupe ethnique Eđê Bih, les femmes sont autorisées à utiliser les gongs. D’une manière générale, les gongs sont de taille variable. Le disque des grands gongs peut aller de 60 à 90 cm de diamètre avec un bord cylindrique de 8 à 10 cm. Cela ne permet pas aux joueurs de les porter car ils sont trop lourds. Ces gongs sont suspendus souvent aux poutres de la maison par des cordes. Il y a par contre les gongs plus petits dont le disque varie de 30 à 40 cm avec un bord de 6 à 7cm. Ceux-ci sont fréquemment rencontrés dans les fêtes rituelles. Pour l’identification des gongs des Hauts Plateaux, le musicologue vietnamien Trần Văn Khê a l’occasion d’énumérer un certain nombre de caractéristiques dans l’un de ses articles:

  • 1°) Ils sont très variés.
  • 2°) Ils sont liés étroitement à la vie spirituelle des minorités ethniques des Hauts Plateaux. Etant considérés comme des instruments sacrés, ils favorisent la communication avec les esprits et les génies.
  • 3°) Ils accompagnent les gens des Hauts Plateaux, depuis leur naissance jusqu’à leur mort. Leur présence est visible non seulement dans les évènements importants ( mariages, funérailles, guerres etc…) mais aussi dans les fêtes agricoles (germination du paddy, formation de l’épi, fête de la clôture agricole etc..).
  • 4°) La manière de jouer le gong des Hauts Plateaux est très particulière et reflète la structure familiale de chaque minorité ethnique. Cela permet d’identifier facilement l’ethnie en question grâce aux mélodies de timbres jouées.
  • 5°) Le déplacement des joueurs est effectué toujours dans le sens inverse des aiguilles de la montre dans le but de remonter le temps et retourner à la source. Il est identique à la démarche employée par l’école bouddhiste Zen dans sa méditation marchée (thiền hành) et orientée  de « l’extérieur vers le coeur » (từ ngoài vào tim).
  • 6°) La composition de la mélodie jouée est basée essentiellement sur la séquence des battements rythmés selon les procédés originaux de répétition et de réponse.

On ne trouve pas ailleurs autant de gongs comme on les a eus sur les Hauts Plateaux du Vietnam. C’est pourquoi, lors de sa visite au Vietnam sur les Hauts Plateaux, étant en contact avec les gongs et en présence du musicien Tô Vũ,  l’ethnomusicologue philippin José Maceda a eu l’occasion de souligner que les gongs des Hauts Plateaux sont très originaux. Pour lui, en raison du nombre élevé de gongs trouvés, il est possible que les Hauts Plateaux soient peut-être le berceau des gongs de l’Asie du Sud Est.

Au fil des années, le risque de voir disparaître le caractère « original » et « sacré » est réel à cause du trafic illicite de gongs, du manque des accordeurs, du désintéressement des jeunes et de la destruction de l’environnement où les gongs ont été « éduqués ».

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Photo Đinh Xuân Dũng ( Nha Trang )

Depuis quelques années, étant considérés comme des biens culturels, les gongs deviennent l’objet de convoitises des antiquaires vietnamiens et des collectionneurs étrangers, ce qui amène les autorités locales à un contrôle sévère dans le but de stopper l’hémorragie des gongs (chảy máu cồng chiêng).

L’effort gouvernemental est visible aussi au niveau local par la mise en place des programmes d’incitation à l’apprentissage auprès des jeunes. Mais selon certains ethno-musicologues vietnamiens, cela permet de pérenniser physiquement les gongs sans donner à ces derniers le moyen de posséder une âme, un caractère sacré, une couleur sonore ethnique car ils ont besoin non seulement de la main habile et de l’ouïe fine de l’accordeur mais aussi de l’environnement. C’est ce dernier facteur qu’on oublie de protéger efficacement dans les dernières années. A cause de la déforestation intensive et de l’industrialisation galopante pour les années à venir, les minorités ethniques n’ont plus la possibilité de pratiquer la culture sur brûlis. Elles n’ont plus l’occasion de honorer les fêtes rituelles, leurs génies, leurs traditions. Elles ne savent plus exprimer leurs tristesses et leurs joies à travers leurs gongs. Elles ne connaissent plus leurs épopées orales (sử thi). Leurs champs de riz sont remplacés par les plantations des caféiers et d’hévéas. Leurs jeunes enfants ne sont plus des essarteurs mais ils s’adonnent à des activités industrielles et touristiques leur permettant de procurer des subsistances confortables. Peu de gens d’aujourd’hui savent accorder ces gongs.

Le caractère « sacré » des gongs n’existe plus. Ceux-ci deviennent des instruments de divertissement comme d’autres instruments de musique. Ils peuvent être utilisés partout sans avoir besoin des événements importants, des heures bien précises et sacrées (giờ thiêng). Ils sont joués à la demande touristique. Ils ne sont plus ce qu’ils étaient jusqu’alors. C’est pour cette perte irréparable que l’UNESCO n’a pas hésité de souligner le caractère urgent dans la reconnaissance de l’espace de la culture des gongs des Hauts Plateaux (Tây Nguyên) comme le chef d’œuvre du patrimoine immatériel et oral de l’humanité le 25 Novembre 2005. Les gongs ne constituent qu’un élément essentiel dans la réalisation de ce chef d’oeuvre mais il faut qu’on sache que d’autres éléments sont aussi importants que ces gongs: l’environnement, les us et coutumes, les ethnies etc.

Les gongs sans leur environnement et leur couleur sonore ethnique ne possèdent plus l’âme sacrée (hồn thiêng) des Hauts Plateaux. Ils perdent le caractère original pour toujours. Il y a toujours un prix à payer dans la préservation de la culture des gongs des Hauts Plateaux mais il est à la portée de nos efforts collectifs et de notre volonté politique. On ne peut pas réfuter que la culture des gongs des Hauts Plateaux fait partie désormais de notre héritage culturel.

Les gongs des Hauts Plateaux (3ème partie)

 

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Grâce à une cordelette ou à une bande de tissu pouvant être plus ou moins serrée par torsion, chaque joueur suspend le gong à l’épaule gauche. Il frappe le dôme central de la face extérieure du gong soit avec un maillet en bois ou en cuir soit avec son poing droit nu ou enveloppé d’étoffe.

La qualité du son du gong dépend non seulement de l’alliage dont le gong a été fabriqué mais aussi de la qualité de l’accordeur. D’autres paramètres entrent en jeu: le maillet en bois ou en cuir, la place et l’action de la main frappant le gong, la tension de l’attache etc.. De plus, le joueur peut moduler habilement les effets du son du gong grâce à l’action de sa main gauche en faisant varier la pression et le relâchement sur le bord recourbé de la face extérieure. Des effets de sourdine peuvent résulter de cette action. Chaque groupe ethnique préfère un type de bois dans la fabrication du maillet. En choisissant le bois dur, les Êđê obtiennent souvent des bruits parasites dans la puissance de la résonance du gong. Par contre, en sélectionnant le bois tendre, les Bahnars réussissent à obtenir la « clarté » du son fondamental malgré la faiblesse d’intensité détectée dans la résonance.

Au moment de l’ achat, le gong est livré à l’état « brut », sans sonorité musicale, sans caractère et sans âme. Sa face extérieure est presque plate. Il est semblable à un objet produisant un signal sonore. (cái kẻng) Grâce aux coups de maillet en bois et à l’ouie fine de l’accordeur, le gong reçoit des petites bosses et des cercles concentriques sur sa bordure et sur ses faces intérieure et extérieure. Le coup du maillet donné sur sa face extérieure augmente sa sonorité. Par contre, la diminution de la résonance est visible inversement avec sa face intérieure. L’accordeur réussit à lui donner une couleur sonore, une note musicale particulière, ce qui fait de lui désormais un instrument de musique à part entière. Selon les gens des Hauts Plateaux, analogue à l’homme, le gong a un visage, un caractère et une âme. Il ne ressemble à aucun autre gong.

On dit qu’on l’éduque car à partir d’un objet qu’on achète à l’état « brut » auprès des Kinh (Quảng Nam) , on lui donne une éducation, une note, une appartenance ethnique, un caractère sacré. Pour le gong acheté au Laos, il a déjà une âme mais c’est une âme laotienne.

Pour le transformer en un gong des Hauts Plateaux, il faut l’éduquer par les coups de maillet en bois pour qu’il connaisse ainsi la langue Bahnar, Stieng, Edê, Mnong etc… Il a désormais l’âme sacrée (hồn thiêng) des Hauts Plateaux. Celle-ci ne disparaît pas tant qu’il y a encore l’environnement où le gong est « éduqué » (la forêt, les ethnies, les villages, les sources d’eau, les animaux etc…). Le caractère sacré du gong ne peut qu’être trouvé dans ce milieu naturel qui lui permet de retrouver son identité ethnique à travers les mélodies variant d’un village à un autre ou d’une ethnie à une autre et les rites agraires. Le gong peut produire une fausse note au fil des années d’utilisation. On dit qu’il est « malade ». Il faut le soigner en faisant venir un médecin (ou un bon accordeur) qu’il est difficile de trouver parfois sur place. Il faut se déplacer à plusieurs kilomètres dans d’autres régions pour arriver à le trouver. Une fois réajusté le son, on dit que le gong est guéri. Lire la suite (Tiếp theo)

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