La marche vers le Sud: la fin du Champa

La longue marche vers le sud: la fin du Champa.

Version vietnamienne

Selon l’érudit Thái Văn Kiểm, la longue marche de notre peuple vers le sud est un fait historique évident que les véritables historiens étrangers doivent reconnaître et elle est également une source de grande fierté pour notre nation. Depuis plus de mille ans, le peuple vietnamien a traversé plus de cinq mille kilomètres, soit 1700 mètres par an ou 5 mètres par jour. Cette vitesse est même inférieure à celle d’un escargot. Cela prouve que notre peuple a rencontré de nombreux obstacles et qu’il a parfois dû s’arrêter et prendre du recul dans cette longue marche. Cette chanson populaire évoque en quelque sorte l’anxiété et la peur des Vietnamiens lors de ce voyage parsemé d’embûches:

Đến đây đất nước lạ lùng
Con chim kêu cũng sợ, con cá vẫy vùng cũng lo.
Cette terre leur paraît très étrange
Le gazouillis d’oiseaux leur fait aussi peur comme l’agitation du poisson les rend inquiets.

Malgré que notre population s’élève à peu près à un million d’habitants face à la Chine géante estimée à cette époque à plus de 56 millions de sujets, on est amené à découvrir le talent inouï de Ngô Quyền qui a réussi à libérer notre peuple de la domination chinoise pendant près de mille ans. Malheureusement il ne régna que 5 ans. Puis vint la période de troubles nationaux avec les douze seigneurs de la guerre. Heureusement, on vit surgir le héros Đinh Bộ Lĩnh issu de la province Ninh Bình. Celui-ci réussit à les éliminer, à unifier le pays sous sa bannière et à fonder une nouvelle dynastie, la dynastie des Đinh. Durant cette période, notre pays venait d’être un pays indépendant mais il était confiné seulement dans le delta du fleuve Rouge et dans les petites plaines situées tout le long de la côte centrale du nord Viet Nam (Thanh Hóa, Nghệ An).
Au Nord, il est difficile d’entamer l’expansion territoriale à cause de la présence de la Chine. Ce pays avait une population nombreuse et caressait toujours l’intention d’annexer notre pays au moment opportun quelle que soit la dynastie régnante. À l’Ouest, se trouve la chaîne de montagnes Trường Sơn accidentée difficile à franchir et à l’Est, il y a la Mer de l’Est que Nguyễn Trãi a eu l’occasion de mentionner dans la « Proclamation sur la pacification des Ngô (Bình Ngô Đại Cáo) » comme suit:

Độc ác thay, trúc Nam Sơn không ghi hết tội,
Dơ bẩn thay, nước Đông Hải không rửa sạch mùi.
Quelle cruauté! Le bambou de la montagne du Sud n’arrive pas enregistrer tous leurs crimes,
Quelle saleté! L’eau de la mer de l’Est ne réussit pas à éliminer leur odeur puante.

 

pour faire allusion à la cruauté des Ming (Chinois) que la Mer de l’Est n’a pas réussi à effacer durant les dix années de leur agression contre le Grand Yue (Đại Việt). C’est une pression que notre peuple devait toujours endurer durant le parcours de la formation de notre nation.
C’est seulement au Sud que se trouve le seul moyen pour notre nation d’étendre ses frontières, d’éviter l’extermination et de maintenir l’indépendance nationale, d’autant plus que nos ancêtres restent la seule tribu des Bai Yue qui ne sont pas assimilés par les Chinois depuis l’époque de Qin Shi Huang Di (Tần Thủy Hoàng).
Cependant, en ce moment là, dans cette marche vers le sud notre peuple a deux avantages indéniables dont l’un est d’avoir un leader doté d’un esprit stratégique et talentueux pour contrer les envahisseurs chinois au nord et l’autre est de réussir à faire participer le mouvement populaire de masse à cette expédition pour des raisons légitimes. C’est dans le sud qu’il y a un royaume nommé Lin Yi (devenu plus tard Champa) ayant réussi à obtenir son indépendance auprès de la Chine à Nhật Nam en l’an 192 et ayant eu l’habitude de provoquer des troubles à la frontière de notre pays. Ce royaume occupe une position importante sur la route maritime trans-asiatique convoitée par les envieux (Manguin 1979: 269). La prise du Champa peut être considérée comme la belle réussite dans le contrôle de la mer de l’Est et les navires de passage (Manguin 1981 :259). Aujourd’hui, c’est toujours une question brûlante qui attire l’attention des puissances mondiales.

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Le Grand Yue (Đai Việt) était un pays venant d’avoir son premier roi lorsqu’il était pris en tenaille entre la Chine et le Champa. Ces deux pays agissaient de concert dans un premier temps pour détruire notre pays. Considéré comme un roi guerrier et un visionnaire stratégique, le roi Lê Đại Hành (ou Lê Hoàn) avait ces deux avantages cités ci-dessus. Il réussit à vaincre l’armée des Song de Hầu Nhân Bảo en l’an 981 à Chi Lăng (Lạng Sơn) et à punir le Champa lors d’une expédition montée en un an pour chasser les Chams hors de la province d’Amaravati (Quảng Ngãi) après que leur roi maladroit Bề Mi Thuế avait emprisonné les messagers de Đại Việt, Từ Mục et Ngô Tử Canh envoyés au Champa pour tenter d’aplanir les désaccords. Il détruisit la capitale Indrapura (Quảng Nam) et le sanctuaire en l’an 982 et tua son roi Paramec Varavarman (Bề Mi Thuế).
Il remit ensuite à son subordonné Lưu Kế Tông le contrôle des opérations sur la capitale Indrapura et le nord de Linyi avant de retourner dans sa capitale. À travers cette procuration déguisée, on voit plus ou moins clairement les intentions de Lê Đại Hành de vouloir étendre le territoire mais il avait peur de recevoir peut-être la réprimande de la dynastie des Song à cette époque. C’est pour cela qu’il ne voulait pas les révéler.

Selon « Les Mémoires historiques du Grand Viet au complet (Đại Việt Sử Ký Toàn Thư)», Lưu Kế Tông se cacha au Champa. C’est pourquoi le roi Lê Đại Hành dut envoyer son fils adoptif dont le nom n’était pas précisé pour le capturer et le tuer en l’an 983. Mais dans l’histoire des Song, il est à noter que Lưu Kế Tông devint roi du Champa trois ans plus tard, de 986 à 989 et il envoya même un ambassadeur auprès de la dynastie des Song pour demander à cette dernière de le reconnaître en tant que souverain du Champa. Cela montre qu’il y a quelque chose qui n’est pas en concordance avec ce qui a été écrit dans notre histoire. On peut expliquer que Lưu Kế Tông fut chargé de remplir au début une mission que le roi Lê Đại Hành lui avait confiée. Comme Lưu Kế Tông réussit à avoir des appuis locaux assez solides, il tenta de se poser roi et renonça à honorer sa mission.

Mais grâce à la restauration de la force militaire du peuple Cham de plus en plus vive à Vijaya (Chà Bàn, Bịnh Định), le roi Harivarman II réussit à vaincre Lưu Kế Tông, reprendre ensuite toute la province d’Amaravati et il s’installa de nouveau dans la capitale Indrapura. Quant à Lưu Kế Tông, selon le chercheur français Georges Cœdès, il était décédé. On n’entend plus parler de lui dans l’histoire. Malgré l’intensification du pillage le long de la frontière nord, le Champa était désormais soumis constamment à une pression croissante de notre Annam. Selon « l’histoire du Vietnam » de l’érudit Trần Trọng Kim, la Chine a accordé toujours à notre roi le titre « Prince de la province Jiaozhi (Giao Chỉ quận vương)» car elle continuait à considérer notre pays, Jiaozhi (ou Giao Chỉ) comme une province chinoise à l’époque de sa domination. Ce n’est que sous le roi Lý Anh Tôn que notre roi a reçu officiellement le titre de roi d’Annam. Depuis lors, notre pays s’appelait Annam.

Sous la dynastie des Lý, en prenant prétexte que le Champa n’avait pas payé tribut depuis 16 ans au royaume d’Annam, le roi Lý Thái Tông fut contraint d’aller combattre le Champa en l’an 1044. Les Chams subirent beaucoup de pertes humaines. Le général cham Quách Gia Di décida de sabrer son roi Sạ Đẩu (Jaya Simhavarman II), le dernier roi de la dynastie Indrapura du Champa et coupa sa tête pour demander la capitulation. En 1069, en se basant sur la raison de ne pas honorer le paiement du tribut par le Champa durant 4 ans, le roi Lý Thánh Tông décida d’emmener personnellement 100 000 soldats pour combattre le Champa, réussit à capturer Chế Củ (ou Jaya Rudravarman III) au Cambodge où il chercha refuge à cette époque et le ramena à la capitale Thăng Long. Pour racheter sa liberté et retourner dans son pays, Chế Củ proposa en échange les trois provinces septentrionales du Champa équivalant à peu près à deux provinces de Quảng Binh et Quảng Tri (Georges Cœdès : 248). On peut dire qu’à partir de cette transaction, Đại Viêt commença à s’étendre à de nouvelles terres et incita les gens à y vivre sous le règne du roi Lý Nhân Tôn après la révolte de Lý Giác dans la région de Nghệ An. Sur les conseils de ce rebelle, le roi Chế Ma Na (Jaya Indravarman II) tenta de reprendre les trois provinces échangées mais il fut vaincu ensuite par le célèbre général Lý Thường Kiệt et il dut rétrocéder cette fois définitivement ces trois provinces reprises.

Selon l’érudit Henri Maspero, sous le règne de Lý Thần Tông, notre pays a été envahi par le roi guerrier Sûryavarman II de Chenla (Chân Lạp). Ce dernier avait l’habitude de trainer souvent Champa dans la guerre en l’incitant ou en le contraignant sans cesse contre notre pays dans les régions de Nghệ An et Thanh Hóa. Puis après, les deux pays étant devenus hostiles, il y avait donc une guerre durant près de cent ans. Cela allait les affaiblir face à un pays d’Annam devenu puissant au début du XIIIème siècle avec une nouvelle dynastie, la dynastie des Trần. C’est aussi l’époque où toute la région eurasienne était envahie par les Mongols. Mais c’est aussi l’époque où les deux pays voisins Annam et Champa avaient de bonnes relations et Champa retrouvait la paix et la stabilité dans le pays avec le roi Indravarman V (1265-1285).

C’est grâce à ce rapprochement que les Vietnamiens et les Chams, unis dans un même combat et agissant ensemble contre un ennemi commun, l’empire des Yuan de Kubilai Khan (Đế Chế nhà Nguyên của Hốt Tất Liệt), réussirent à accomplir ensemble des prouesses militaires portant une grande importance historique non seulement pour notre peuple mais aussi pour l’Asie du Sud -Est. Grâce à cette union, les deux peuples vainquirent ainsi l’empire mongol. Afin de renforcer la bonne entente qui n’existait pas jusqu’à présent, entre les deux peuples, le roi Trần Nhân Tông vint visiter le royaume de Champa durant neuf mois en tant que chef spirituel de la secte zen Đại Việt en 11 mai de l’année 1301.
Grâce à cette visite, il promit d’accorder la main de sa fille, la princesse Huyền Trân (Perle de Jais), au roi Chế Mân (Jaya Simhavarman III) alors que Huyền Trân n’avait que 14 ans et Chế Mân était assez âgé. Malgré sa soutane de moine, il était toujours le roi-père du royaume Đại Việt. Il avait donc toujours une vision à long terme pour le pays et s’était rendu compte que le royaume Đại Việt avait besoin d’un territoire comme une base arrière en cas de nécessité dans le sud lorsqu’il connut bien les intentions malveillantes des Nordistes et il réussit à gagner à deux reprises la guerre de résistance contre l’armée des Yuan (1285 et 1287-1288). Au contraire, pour quelle raison le héros du peuple Cham, Chế Mân (Jaya Simhavarman III), céda-t-il les deux districts Ô-Lý à cette époque pour devenir un traître pour son peuple ? Champa est-il trop défavorisé et Đại Việt trop avantageux dans cette transaction, n’est ce pas?
C’était peut-être à cause de l’aridité de la zone cédée que Chế Mân éprouva qu’il lui était impossible de la contrôler car Quảng Trị était une zone de sol sablonneux et Thừa Thiên Huế entourée de collines était aussi une région dépourvue de plaine importante (Hồ Trung Tú:283). Il s’agit de légaliser d’ailleurs un territoire que Champa n’avait plus la capacité de gouverner depuis que Chế Củ (ou Jaya Rudravarman III) l’avait cédé en échange de sa libération il y a 236 ans. Le fait que la princesse Perle de Jais (Huyền Trân) épousa Chế Mân cinq ans plus tard (1306) avec la dot de deux mille mètres carrés des districts Ô et Lý (les provinces de Quảng Trị et Thừa Thiên Huế d’aujourd’hui) devrait être un calcul politique bien réfléchi dans le but de pérenniser la paix et porter le caractère stratégique pour les deux dynasties Đai Việt-Champa. Grâce à ce mariage, le territoire de Đai Việt s’était étendu jusqu’au nord de la rivière Thu Bồn et Champa pouvait conserver le territoire restant pour les générations futures.

Sous le regard des gens, la princesse Huyền Trân est une femme profondément admirée dans l’esprit de plusieurs générations de Vietnamiens et elle est évoquée à plusieurs reprises dans cette longue marche vers le sud à travers son histoire et son destin. Après un an de mariage, le roi Chế Mân mourut en l’an 1307. Seuls ce dernier et Trúc Lâm đại sĩ (le surnom donné au roi-père Trần Nhân Tông) réussirent à connaitre seulement la raison de ce choix mais ils étaient morts tous les deux à un an d’intervalle. Depuis lors, ce cadeau de mariage devint un sujet de discorde entre les deux pays et conduisit à des guerres continues dans lesquelles Đai Việt était toujours le pays ayant remporté de nombreuses victoires.
Grâce à la pression démographique et à la politique d’immigration sous la dynastie des Hồ, les territoires cédés par le Champa étaient devenus des régions indépendantes et autonomes grâce à l’organisation de village vietnamien (L’autorité du roi s’arrête devant les haies de bambous du village). Cela rendait plus ardue la tâche pour le Champa de récupérer plus tard ces territoires. Encore pour une fois, après le XIVème siècle, le Champa devint une puissance militaire de premier plan et engagea les batailles jusqu’à Thanh Hóa. C’était l’époque où on vit apparaître un personnage décrit dans l’histoire de la dynastie des Ming sous le nom de Ngo-ta-ngo-tcho mais dans l’histoire du peuple cham il fut connu sous le nom de Binasuor (ou Chế Bồng Nga).
Ayant profité de l’affaiblissement de la dynastie des Trần et reçu en même temps le titre du roi du Champa par la dynastie des Ming en Chine, Chế Bồng Nga attaqua le Nord Vietnam 5 fois de suite durant la période de 1361 à 1390 mais il y a 4 fois il emmena directement ses troupes dans la capitale Thăng Long. En raison de la trahison d’un subordonné de Chế Bồng Nga, de nom Ba-lậu-kê, le général Trần Khắt Chân de la dynastie des Trần réussit à repérer la jonque transportant Chế Bồng Nga et demanda à ses soldats de tirer sur cette jonque. Chế Bồng Nga fut touché ainsi de plein fouet. Selon G. Maspero, la période de Chế Bồng Nga était à son apogée, mais selon G. Cœdès, cette phrase est complètement incorrecte, mais il faut comparer les victoires militaires de Chế Bồng Nga avec la lumière bleue au coucher du soleil. (Ngô Văn Doanh : 126 ou G. Cœdès : 405).
Un général cham de nom vietnamien La Khải que les Chams ont enregistré sous le nom de Jaya Simhavarman dans leur histoire, monta sur le trône après avoir éliminé les enfants de Chế Bồng Nga. La Khải décida d’abandonner tous les territoires chams situés au nord du col de Hải Vân (les provinces actuelles de Quảng Bình, Quảng Trị et Thừa Thiên Huế).
Pour éviter une nouvelle guerre avec le Đai Việt, il céda la province d’Indrapura de Champa en 1402 correspondant à la province actuelle de Quảng Nam où se trouvait le sanctuaire Mỹ Sơn, mais il la récupéra plus tard en l’an 1407 lorsque les Ming prenaient le prétexte d’éliminer la dynastie des Hồ pour l’usurpation du trône des Trần. Ces Ming annexèrent ainsi l’Annam, recherchèrent tous les hommes de talent et de vertu et les ramenèrent en Chine pour les employer. Parmi ceux-ci figurait le jeune Nguyễn An (Ruan An) devenu plus tard un eunuque architecte vietnamien chargé de construire la Cité interdite de Pékin selon la théorie du Yin et du Yang et les 5 éléments et Nguyễn Phi Khanh, le père de Nguyễn Trãi. Après les dix années de résistance contre l’armée des Ming, Lê Lợi monta sur le trône en l’an 1428 et fonda la dynastie des Lê postérieurs. Il rétablit des relations pacifiques avec les Ming et le Champa dont le roi était le fils de La Khải de nom Virabhadravarman et connu dans les chroniques vietnamiennes sous le nom Ba Dich Lai (Indravarman VI).
Selon George Cœdès, le Champa tomba rapidement à la fin de cette dynastie dans un état de récession politique avec jusqu’à cinq rois successifs en 30 ans en raison de guerres civiles pour le pouvoir. À cette époque, en Annam, il y avait un grand roi connu Lê Thánh Tôn connu pour les arts littéraires et martiaux dans l’histoire du Việt Nam. C’est lui qui demanda à l’historien Ngô Sĩ Liên de compiler toutes les informations relatant tous les évènements historiques dans une collection d’articles connue sous le nom «Đại Việt sử ký (Les Mémoires historiques du Grand Viet) ». Il ordonna à son subordonné de retracer la carte géographique de notre pays mais il envoya secrètement quelqu’un en même temps au Champa pour dessiner une carte du Champa avec tous les recoins stratégiques, ce qui permit à son armée de prendre la capitale Đồ Bàn (Vijaya) à Chà Bàn (Bình Định) en l’an 1471 et capturer le roi Trà Toàn (Maha Sajan) ramené à Đại Việt avec 30000 prisonniers.
La prise de la capitale Vijaya pouvait être comparée à la chute de Constantinople (1453) à la même époque par les Turcs (Népote 1993 :12). Après cela, l’empereur des Ming envoya un émissaire pour lui demander de rendre le territoire de Binh Định au Champa. Mais devant son refus catégorique, l’empereur des Ming dut renoncer à toute action car le prestige de notre pays était grand au vu des tributs payés par les pays voisins comme le Laos (Ai Lao) et les Mường de l’Ouest. Désormais le Champa s’était rétréci aux seuls territoires situés au sud du cap Varella (Đại Lãnh, Phú Yên) et ne suscitait plus des obstacles majeurs dans l’avancée vers le sud du peuple vietnamien. Quant aux Chams, ils ont été dispersés en de nombreux groupes et évacués par mer et par terre: un groupe a fui vers le Cambodge et a été hébergé par le roi cambodgien Jayajettha III (Ang Sur) à Oudong, Chrui Changvar et Prêk Pra près de la capitale Phnom Penh et dans la province de Kompong Cham, un autre groupe est allé jusqu’à l’île de Hainan (Thurgood 1999:227) et Malacca et la population restante a dû se cacher dans la région de Panduranga appartenant encore à Champa ou a accepté de vivre sur place avec les Vietnamiens dans le territoire annexé.
Désormais, on y trouva des villages vietnamiens et chams établis côte à côte durant plusieurs centaines d’années. On ne sut pas non plus qui était vraiment assimilé lorsqu’il y avait le choc et l’échange culturel pacifique entre les deux grandes civilisations de l’humanité, l’Inde et la Chine. Combien de fois l’histoire de l’humanité a-t-elle démontré qu’une civilisation supérieure a un effet transformateur sur une civilisation inférieure? La Rome ancienne plus puissante, au moment de sa conquête, était soumise à l’influence de la civilisation grecque. De même, les Mongols ou les Mandchous, au moment de leur conquête en Chine étaient assimilés ensuite par cette dernière.

Notre royaume Đại Việt ne faisait pas exception non plus. Étant habitué à dénigrer et à mépriser les Chams (ou les Mans), notre Đại Việt pouvait-il avoir quelque chose dans cette conquête? Il recevait beaucoup de choses, notamment de nombreux éléments venant du Champa trouvés dans la musique royale comme le Chiêm Thành Âm (Résonances du Champa) ou le tambourin plaqué de riz bien cuit (trống cơm)(Thái Văn Kiểm 1964: 65) ou plus tard avec les « Danses du Sud (Airs des Méridionaux)» à travers les lamentations douloureuses sans fin du peuple cham telles que Hà Giang Nam (descente au sud de la rivière), Ai Giang Nam (lamentation du sud de la rivière), Nam Thương (Compassion du sud) etc… et dans l’art sculptural sous les deux dynasties des Lý et des Trần.
Il y a une époque où les Vietnamiens vivaient sous l’influence méridionale du Sud pour créer des artefacts tels que la tête d’un dragon de la dynastie Lý-Trần ressemblant à celle d’un dragon makara ou le canard siamois (vịt siêm) à l’oie Hamsa du Champa par exemple, le tout étant trouvé dans la citadelle impériale Thăng Long sur les toits de tuiles et les pignons des bâtiments jusqu’aux motifs décorés sur les bols (Hồ Trung Tú:264).
Quant aux Chams, ils n’étaient pas complètement assimilés tout de suite car ils abandonnaient justement leur langue pour parler la langue vietnamienne dans leur pays natal. Ils devaient avoir désormais un nom de famille comme les Vietnamiens sous le roi Minh Mạng. Les noms qu’ils avaient eu dans leur histoire étaient les noms de famille des rois ou ceux de la famille royale selon l’auteur Phú Trạm dans le journal Tia Sáng (2 octobre 2006). Ils utilisaient Ja (homme) ou Mu (femme) devant les noms comme les mots văn ou Thị chez les Vietnamiens. Lorsqu’ils devenaient âgés et occupaient un rôle important ou un rang dans la société, ils étaient appelés dès lors par cette fonction ou ce titre (Hồ Trung Tú: 57).
Ils créaient également pour eux-mêmes un ton accent qui n’existait pas auparavant en parlant la langue vietnamienne avec l’intonation d’un Cham autochtone. Ils parlaient, ils écoutaient, se corrigeaient, se comprenaient avec la communauté vietnamienne sur place pour produire un ton accent distinct qui ne ressemblait plus au ton original (l’intonation de Quảng Nam par exemple) lorsqu’ils avaient des contacts avec le peuple vietnamien auparavant (comme leur femme vietnamienne et leurs enfants) ou lorsqu’ils étaient des notables désignés dans les territoires appartenant au royaume Đai Việt. Ils ne perdaient pas forcément leurs racines immédiatement car ils conservaient encore les us et coutumes du peuple cham.
Plus précisément, dans des régions comme Đà Nẵng, Hội An, on continua à voir encore des gens portant encore des vêtements chams à la fin du XVIIIème siècle à travers les photos de Cristoforo Borri ou John Barrow. Les hommes portaient des kama ou des pantalons sans fond (le sarong) avec un turban assez large et les femmes des jupes longues à plusieurs plis multicolores ou au torse nu. (Hồ Trung Tú: 177).

Les Vietnamiens qui ont migré vers les zones où la population cham était dense, étaient obligés de s’y adapter et d’accepter la manière de parler la langue vietnamienne de la part des Chams, de Quảng Nam jusqu’à Phú Yên. Quant aux territoires où le nombre des Chams était faible et celui des migrants vietnamiens était élevé, l’intonation pratiquée dans ces territoires restait celle des migrants vietnamiens. Ceux-ci arrivaient à conserver entièrement leur intonation dans les territoires allant du col de Ngang jusqu’à Huế. Ils employaient fréquemment les dialectes de Nghệ An-Hà Tịnh (Hồ Trung Tú:154) ou Thanh Hóa plus tard avec le seigneur Nguyễn Hoàng.
Quant aux traits caractéristiques culturels du peuple cham, ils ont tous disparu depuis le 9ème mois de l’année du tigre, sous le règne de Minh Mạng (1828). C’était l’époque de l’édit royal destiné à interdire aux hommes du Sud de porter des kamas. Comme les Chams prétendaient ne pas savoir depuis quand et à quelle époque qu’ils avaient  un lien d’origine du Nord comme des centaines de milliers de familles vietnamiennes cohabitant sur ce territoire, ils ne se demandaient plus qui ils étaient exactement car au bout de quelques générations ils étaient devenus de « purs vietnamiens » et rejoignaient ainsi leur peuple dans la longue marche vers la pointe de Cà Mau. Depuis lors, on pouvait annoncer la fin du Champa.

Bibliographie

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Georges Cœdès: Cổ sử các quốc gia Ấn Độ Hóa ở Viễn Đông. NXB Thế Giới năm 2011
Pierre-Yves Manguin: L’introduction de l’islam au Champa. Études chames II. BEFEO. Vol 66 pp 255-287. 1979
Pierre-Yves Manguin: Une relation ibérique du Champa en 1595. Études chames IV. BEFEO  vol 70 pp. 253-269
Ngô văn Doanh: Văn hóa cổ Chămpa. NXB Dân tộc 2002.
Hồ Trung Tú: Có 500 năm như thế. NXB Đà Nẵng 2017.
Agnès de Féo: Les Chams, l’islam et la revendication identitaire. EPHE IVème section.2004
Thái Văn Kiểm: Panorama de la musique classique vietnamienne. Des origines à nos jours.  BSEI, Nouvelle Série, Tome 39, N° 1, 1964.
Thurgood Graham: From Ancient Cham to modern dialects . Two thousand years of langage contact and change. University of Hawai Press, Honolulu. 1999
Trần Trọng Kim: Việtnam sử lược, Hànội, Imprimerie Vĩnh Thanh 1928.
Đại Việt Sử Ký Toàn Thư. Nhà xuất bản Thời Đại. Năm 2013.

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