Version vietnamienne
Analogue à leur prédécesseur Qin Shi Huang Di, les empereurs de la dynastie des Han envoyèrent, durant leur règne, des émissaires à la recherche des endroits paradisiaques dans le but de chercher l’immortalité et d’accéder au monde divin. Ces terres mythiques sont associées souvent à l’île Penglai (đảo Bồng Lai) située à l’est et au mont Kunlun (Côn Lôn) à l’ouest dans les croyances de l’époque des Han. C’est la montagne où demeure la Reine Mère de l’Ouest (Tây Vương Mẫu)(Xiwangmu) ayant détenu l’élixir d’immortalité. C’est pour cette raison qu’on trouve sa présence récurrente dans le décor des tombes des Han. Cela témoigne non seulement de sa popularité mais aussi de la conception taoïste liée à la prolongation de la vie au-delà la mort. Selon certaines rumeurs non vérifiées et injustifiées, Zhang Quian fut chargé au départ par Wudi pour rechercher les recettes d’immortalité du côté du mont Kunlun, la demeure occidentale des immortels. Vêtus toujours d’une tunique longue, ceux-ci ont un visage allongé et anguleux, une large bouche au dessus d’un menton pointu, des sourcils arqués et de larges oreilles, ce qui leur donne une silhouette assez étrange et un aspect émacié. Une fois le dao atteint, ils ont des ailes aux épaules. Dans la conception taoïste de l’au-delà, pour garder l’intégrité physique du défunt et l’immortalité de son âme, il faut obturer les 9 orifices de son corps par les pièces en or et en jade. (bouche, oreilles, yeux, narines, urètre, rectum). Puis il faut faire porter au défunt un masque ou un costume de jade dont l’utilisation est régie par un protocole hiérarchique très strict. Pour les empereurs, le costume de jade est cousu de fils d’or. Quant aux rois et autres dignitaires moins importants, leur costume de jade n’a que des fils en argent ou en cuivre. L’emploi du costume reflète la croyance des Han en la pérennité de l’âme dans l’au-delà car on attribue au jade des propriétés apotropaïques permettant de favoriser l’immortalité de l’âme.
À l’époque des Han, la conception dualiste de l’âme fut évoquée dans plusieurs textes chinois comme le Huainanzi de Liu An (Hoài Nam Tữ). Chaque individu a deux âmes: l’une appelée hun va au ciel et l’autre appelée po disparaît physiquement avec le défunt. Pour empêcher l’âme hun de s’échapper par les orifices du visage, le masque ou le costume s’avère indispensable.
Cette conception dualiste de l’âme est-elle vraiment chinoise ou empruntée à une autre civilisation, celle des Baiyue? On la trouve chez les Mường, les cousins des Vietnamiens, vivant dans les coins les plus refoulés des régions montagneuses du Vietnam. Pour les Mường, il y a dans un être humain plusieurs âmes qu’ils nomment wại. Celles-ci se divisent en deux catégories: wại kang (les âmes fastueuses) et wại thặng (les âmes dures). Les premières sont supérieures et immortelles tandis que les secondes, attachées au corps, sont mauvaises. La mort n’est que la conséquence de l’évasion de ces âmes.
Il est important de rappeler que la culture du royaume de Chu (Sỡ Quốc) conquis par Qin Shi Huang Di lors de l’unification de la Chine avait une originalité particulière, une langue propre, celle des Bai Yue. Il existe à partir de l’époque des Qin-Han, une institution impériale, les fangshi qui étaient des lettrés locaux considérés comme des magiciens spécialisés dans les rites aux étoiles et dans les recettes du gouvernement.
Leur rôle consistait à recueillir chacun dans son territoire propre, les procédés rituels, les croyances, les médecines locales, les systèmes de représentations, les cosmologies, les mythes, les légendes au même titre que les produits locaux et à les soumettre à l’autorité politique afin que celle-ci pût les retenir ou non et les incorporer sous forme de règlements dans le but d’augmenter la puissance impériale dans une nation ethnologiquement très diversifiée et de donner à l’empereur les moyens de sa vocation divine. Tout devait être collecté et ajouté au service du fils du Ciel dans le but d’asseoir sa légitimité sur des territoires récemment conquis aux barbares.
___C’est l’un des traits caractéristiques de la culture chinoise : Elle sait accepter et absorber les cultures étrangères sans qu’on puisse jamais parler de vacillation ou de modifications culturelles.___
C’est ce qu’a écrit le célèbre philosophe chinois du XXème siècle Liang Shuming dans l’introduction de son ouvrage intitulé « les idées maîtresses de la culture chinoise » (traduction de Michel Masson). Cela rejoint la remarque suivante qu’a soulignée l’ethnologue et sinologue française Brigitte Baptandier dans son texte de conférence lors d’une journée d’étude de l’APRAS sur les ethnologies régionales à Paris en 1993:
La culture chinoise s’est donc formée au cours des siècles comme une sorte de mosaïque de cultures. II faut une lente perfusion de sang barbare à la Chine en réadaptant cette belle formule de l’historien F. Braudel pour la France avec les barbares.
Les brûle-parfum boshanlu (encensoir en forme de montagne Bo) étaient censés de représenter les montagnes mythiques baignées de nuages et de vapeurs qi (énergie cosmique vitale). La popularité de ces brûle -parfums était due en grande partie à la pensée des Han sur l’immortalité et au culte des monts sacrés.
Boshanlu
Selon l’estimation du doyen des archéologues chinois Wang Zhongsu, depuis 1949 il y a plus de 10.000 tombes fouillées pour la seule dynastie des Han. Grâce aux découvertes archéologiques majeures des tombes de Mme Dai et de son fils à Mawangdui (Mã Vương Đôi) (Changsa, Hunan), (168 av. J.C.) ou de la tombe du fils de l’empereur Jindi, le prince Han Liu Sheng et de son épouse Dou Wan (Mancheng, Hebei) (113 av. J.C.) ou encore de la tombe de Zhao Mo (Triệu Muội), petit-fils de Zhao Tuo (Triệu Đà) et roi de Nanyue (Xianggang, Guangzhou) (120 av. J.C.), les archéologues commencent à mieux connaître l’art des Han à travers des milliers d’objets d’exception en jade, en fer et en bronze, des céramiques, des laques etc… Ceux-ci témoignent de l’opulence et de la puissance des cours princières sous les Han. Ils sont parfois des exemplaires uniques révélant non seulement le travail technique de belle facture et la préciosité des matériaux mais aussi la particularité régionale. Lors des fouilles, les archéologues ont constaté qu’il y a une rupture dans l’art chinois, un changement profond correspondant historiquement au développement des empires unifiés (Qin et Han) et au contact des influences étrangères. La présence des objets séculaires, en particulier celle de la vaisselle en bronze qu’on est habitué à retrouver à l’époque des Zhou, cède la place au développement de l’art figuratif et des représentations imagées. Il y a incontestablement l’influence notable des autres sphères culturelles dans le domaine de l’art Han, en particulier celui de la culture matérielle. Désormais, le culte des ancêtres ne se déroulait plus au temple comme cela avait été effectué à l’âge du bronze mais il avait lieu même dans les tombes et dans les sanctuaires proches de celles-ci. De plus, à l’image de l’empereur Qin Shi Houang Di, les empereurs Han et leurs princes avaient tendance de faire de la tombe une réplique de leur demeure royale terrestre.
Cette conception remonta à l’époque des Zhou (Nhà Châu) et fut illustrée fréquemment dans les pratiques funéraires des élites du royaume de Chu.(Sỡ Quốc). Analogues à ces dernières, les Han croyaient en la pérennité de l’âme dans le monde de l’au-delà. La vision de la mort était considérée comme une continuité de la vie. Cette croyance continue à être vivace aujourd’hui en Chine lors de la fête de Qingming (lễ thanh minh) avec les sacrifices offerts aux ancêtres: des billets factices et des objets funéraires brûlés. C’est pour cette raison qu’on retrouve lors des fouilles, tout ce qu’ils possédaient de leur vivant: des objets préférés, des figurines en terre cuite représentant leur domesticité ainsi que des linceuls de jade permettant de réduire la mort à néant. Les tombes impériales des Han sont signalées par la présence d’un haut tumulus artificiel situé dans une enceinte rectangulaire où se trouvent également les sépultures et les fosses annexes. La structure de leurs tombes devient de plus en plus complexe et rivalise souvent avec celle de leur palais avec des fosses séparées et ayant chacune une fonction distincte (magasin, écurie, cuisine, salle de banquet etc…). C’est le cas du site de Liu Qi connu sous le nom d’empereur Jindi et de sa femme, l’impératrice Wang dans la banlieue Xian. C’est dans ces fosses qu’on retrouve des objets de luxe (vases, bassins, brûle-parfums, miroirs, poids pour les nattes, chaudrons, lampes, poignards etc…) ou de la vie quotidienne (céréales, tissus, viande etc…) du défunt qui laissent pantois et muets d’admiration les archéologues, à côté des figurines (ou mingqi) de terre cuite. Celles-ci peuvent être soit des figurines d’animaux domestiques soit des statuettes humaines.
Grâce à la route de la soie et à l’expansion chinoise, un grand nombre de traditions artistiques régionales, de modes étrangères et de produits nouveaux contribuaient à la floraison artistique des Han. Le cosmopolitisme joua certainement un rôle important à cette époque. La splendeur des objets de luxe retrouvés dans les tombes révèle non seulement le faste et le raffinement des cours princières mais aussi le goût de l’exotisme.
Les danses et musiques de Chu, les chants de Dian, l’art des baladins d’Asie Centrale renouvellent les divertissements de la cour. Les contacts avec les arts de la steppe favorisent l’enrichissement du répertoire décoratif.
Analogue au jade, le bronze était l’un des matériaux très prisés par les Chinois. A l’époque des Han, la popularité du bronze commença à décliner car pour le culte des ancêtres, on n’eut plus besoin des ensembles complets de vases rituels en bronze mais on préféra à leur place des objets en laque à l’imitation du royaume de Chu. Ce dernier avait eu l’occasion de les décorer fréquemment avec des motifs ou des figures d’une grande imagination selon sa mythologie propre à l’époque des Royaumes Combattants. Malgré le déclin visible dans les tombes des princes Han, le bronze était très utilisé dans les ornements de char et dans les objets de luxe retrouvés.[RETOUR]
ART DE VIVRE (SUITE)